Del 4.1
Den som ger sig in i leken, får leken tåla.
Lorsque le réveil se mit à sonner, j’étais déjà éveillé depuis au moins dix bonnes minutes -premier jour oblige. Je bondis de mon lit en pleine effervescence : j’allais enfin rencontrer l’agence Vermeil ! Je puis vous affirmer que ma hâte était grande.
Je suis allé prendre une douche qui se transforma rapidement en concert de rock, moi chantant dans le pommeau. Une fois sorti, je me coiffai, me rasai puis me mis à danser dans la salle de bain hélas exigüe. J’avais l’impression de pouvoir soulever des montagnes.
Une dizaine de minutes plus tard, je passai la porte de mon petit studio du quatrième étage. Je dévalai les escaliers, sortis de l’immeuble et partis d’un pas décidé vers l’agence, écouteurs enfoncés dans les oreilles. Il faisait un temps magnifique, j’étais certain que tout allait bien se passer ; un sourire se dessina sur mes lèvres…
La veille, j’avais effectué le trajet depuis mon domicile jusqu’au travail afin d’y être à l’heure sans faute. Puisque j’étais alors en avance, je décidai de passer m’acheter un croissant sur la route. J’avais entendu dire qu’ils étaient très bon en France, ce qui fut testé et approuvé.
Enfin, j’arrivai allée des Rouvres au quinze de laquelle se trouvait l’agence Vermeil. La ruelle était déserte à l’exception d’un fumeur et d’un chat. Je m’approchai de la grande porte en bois digne d’un cabinet d’avocat et m’apprêtais à sonner lorsque le fumeur m’interpela.
- Raphaël Parsen ?
Ma surprise dut paraître plus que je ne l’aurais souhaité car l’homme ne me laissa pas le temps de répondre.
- Matthias Vermeil.
Et il me tendit la main ; le temps de rassembler mes pensées et je la lui serrai. Je rencontrais donc le fameux frère dont madame Vermeil m’avait parlé. Ce premier contact était, ma foi, déstabilisant, mais je choisis de ne pas m’en formaliser.
Je profitai de la poignée de mains pour le détailler un peu plus. Il était assez jeune, ou du moins en avait l’air. Moins de la trentaine en tout cas. Les cheveux bruns bouclés, une barbe de dix jours plutôt mal taillée, l’oreille droite percée d’un anneau, les yeux marrons bordés de profonde cernes… Rectification : seul son œil gauche était marron. Le droit, dissimulé derrière sa mèche, était bien plus terne, l’iris presque gris. Le détail m’intrigua.
A part cela, vêtu de sa veste en jean et une cigarette au coin des lèvres, il avait tout d’un de ces bad-boys à moto que l'on pouvait trouver en boîte de nuit. Pas exactement ce à quoi je m’attendais.
Je tentai un sourire.
- Ravi de vous rencontrer, monsieur Vermeil.
Il resta impassible, se contentant de tirer une bouffée de sa cigarette.
- Matthias. Et pas la peine de me vouvoyer.
Je compris ce qu’Elodie Vermeil avait voulu dire lorsqu’elle m’avait prévenu que son frère était « parfois difficile ». Au vu de ses cernes, il s’agissait peut-être d’un manque de sommeil.
- Hum… bien. Je vous remercie de m’avoir accepté pour ce stage.
Il y eu un silence gênant durant lequel il sembla réfléchir à quelque chose.
- De rien.
Puis, d’un mouvement, il alla déverrouiller la porte et me la tint.
- Je te laisse monter, ma sœur est là-haut. Je vous rejoins dès que j’ai fini ma clope.
Je passai la porte avec un merci hésitant puis montai au premier étage. Après cette brève rencontre avec monsi… Matthias, il me pressait d’autant plus de rencontrer sa sœur. Elle s’était montrée très prévenante lors de notre entretien téléphonique et j’espérai trouver en elle un soutien pendant les mois à venir. Je toquai à la porte de l’agence mais il ne sembla pas y avoir de réaction à l’intérieur. Madame Vermeil était-elle sortie ?
Soudain, alors que j’allais toquer une deuxième fois, la porte s’ouvrit. Par soucis de précision, je précise même : un fantôme l’ouvrit.
Je n’irai pas jusqu’à dire que je fus stupéfait, mais la surprise fut néanmoins grande. Non pas que je n’eusse jamais vu de fantôme - j’avais eu l’occasion d’en rencontrer pendant les séances de spiritisme de mon grand-père, mais je ne m’attendais pas à en voir un ce matin. Une, en l’occurrence puisqu’il s’agissait du fantôme d’une jeune femme. Peut-être…
- Ah ! Raphaël ! Ravie d’enfin te rencontrer… Tiens ? Mon frère n’est pas avec toi ?
Son frère ? Mon intuition était donc la bonne.
- Il est… resté en bas. Il finit sa cigarette. Mais… vous êtes… Elodie Vermeil ?
- Ah, bien sûr ! J’oublie de me présenter… C’est bien moi que tu as eu au téléphone : Elodie Vermeil. Ni en chair, ni en os, par contre. Mais entre, je t’en prie.
Je m’exécutai, encore perplexe, puis elle m’indiqua une chaise. Je m’assis donc, elle fit de même sur le bureau. Ne pouvant contenir ma curiosité, je me mis à la parcourir du regard.
Sans grande surprise, ses traits étaient semblables à ceux de son frère. Le nez grec, les cheveux bouclés, la courbe des lèvres… Son profil me fit penser aux antiques images marmoréennes de la déesse Athéna. Bien évidemment, en tant qu’apparition [1], Elodie était dépourvue de toute couleur. Sa peau était diaphane, ses lèvres livides et ses yeux, bien qu’ils brillassent d’un éclat pareil à ceux des vivants, d’un gris mortuaire. Le même gris que l’œil droit de son frère songeai-je alors. Etrange coïncidence…
Une différence autre que la coloration séparait toutefois les deux Vermeils : l’une dégageait une chaleur inattendue de la part d’un fantôme tandis que l’autre semblait tenir du pain de glace.
J’étais encore en pleine réflexion lorsque madame Vermeil repris la parole.
- Je suppose que tu as déjà rencontré Matthias. C’est lui qui t’a ouvert, non ?
- Effectivement. Mais… excusez ma curiosité… vous êtes… hum… comment dire ?
- Morte ?
Je hochai la tête non sans un certain malaise.
- Ne t’en fais pas, j’ai l’habitude. Et tu peux me tutoyer si tu le veux. Mais pour ta question, non, mon corps est encore en vie. Toutefois, à cause de… d’un accident, il est plongé dans le coma.
- Ah.
- Comme tu dis. Heureusement pour moi, mes parents s’y connaissaient plutôt bien en thaumaturgie [2] et ont réussi à libérer mon esprit de son corps.
- Une expectoration ?
- Tout à fait ! Mais tu me surprends. Très peu de gens savent ce que c’est.
- Mon grand-père est manciologue. Il est spécialisé dans les rituels et j’ai eu l’occasion de… de farfouiller un peu dans sa bibliothèque.
- Parfait ! Ça te sera sûrement très utile dans le métier. Et permet moi de te dire que ton français est très bon.
Je rougis.
- Hum… Merci. J’ai profité de ces derniers mois pour m’améliorer…
- Et dis-moi, comment s’est passé le… hu-hum, le premier contact avec mon frère ?
Je vis dans son regard qu’elle imaginait le pire. Je décidai de rester diplomate.
- Il a été…
Je me rendis rapidement compte qu’aucun adjectif ne me permettrait d’être diplomate sans mentir.
- Il m’a tenu la porte.
Madame Vermeil haussa le sourcil.
- Je vois.
Elle eut un regard vers la fenêtre avant de poursuivre.
- Je ne te cache pas qu’il peut être pénible parfois, mais il est une bien meilleure personne qu’il n’essaye de le faire croire. Une bien meilleure personne qu’il ne le croit lui-même, d’ailleurs…
Cette confidence me perturba légèrement. Bien que n’étant pas un proche, mada… Elodie me parlait déjà avec une grande confiance. J’espérai m’en montrer digne. Quant à sa remarque sur Matthias, bien que les premières impressions ne donnassent pas vraiment à espérer, je ne comptais pas m’arrêter sur mes préjugés. Je le répète, mais l’agence bénéficiait d’une réputation certes partagée mais du moins majoritairement avantageuse. Malgré son apparente rudesse, Matthias devait être compétent.
- Je ferai de mon mieux pour que tout se passe bien. » promis-je.
- Excellente résolution. » répondit Matthias, apparemment revenu.
[1] Apparition est le terme manciologique pour désigner les fantômes. Une apparition n’est toutefois pas la même chose qu’un esprit puisqu’une apparition fait référence au phénomène de persistance terrestre d’un esprit tandis qu’un esprit est une partie de l’être humain, qu’il soit lié ou non à un corps.
Il est à noter que certaines apparitions conservent l’apparence qu’avait leur corps. Toutefois, plus l’esprit reste longtemps sur Terre, plus son apparence s’altère. Il s’agit du phénomène de dissipation qui peut durer de quelques mois à plusieurs milliers d’années selon la motivation persistive de l’apparition.
[2] La thaumaturgie, littéralement « acte de faire des miracles », désigne les techniques manciologiques permettant de plier les choses à sa volonté. La réussite des miracles dépend de la profondeur de la résolution du thaumaturge ainsi que de sa compréhension des phénomènes qu’il provoque. Les applications sont nombreuses : il est possible de soigner des blessures, allumer des flammes, ouvrir des verrous, briser des objets, etc.
La thaumaturgie fait partie des cinq arts manciologiques répertoriés par Albrecht von Rabenbaum dans son ouvrage « Magie und Zauberkunst » (1481), à l’instar de la divination (art de voir au-delà de son regard), la prière (art de contacter l’Outre-monde), l’alchimie (art d’utiliser les mancies présentes dans les éléments naturels) et l’hypnose (art d’influencer les esprits).
La classification des cinq arts manciologiques est encore utilisée de nos jours. Certaines personnes demandent toutefois l’inclusion d’autres techniques manciologiques comme par exemple la nécromancie (fait d’utiliser des éléments relatifs à la mort) ou le cérémonial (pratique des rituels).
La nécromancie fut refusée en tant qu’art lors du concile de Vaunollié (1622) car déclarée contraire à l’ordre des choses. Plus d’informations dans les chapitres sur la controverse des nécromanciens, ou controverse de Vérone (1618).
Le cérémonial n’est quant à lui pas reconnu car les cinq arts font usages de rituels. Le cérémonial ne serait donc qu’une façon de procéder et non une fin en soi, à l’image des incantations.
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