Del 5
Av barn, fyllon och dårar får man höra sanningen.
Après avoir annoncé à Raphaël qu’il m’accompagnerait jeudi pour mon rendez-vous, Elodie lui a montré ce qu’on faisait en attendant les solliciteurs. Entre la retranscription des archives sur l’ordinateur, l’identification et inventaire des caisses de babioles poussiéreuses qu’on ne savait même pas si elles étaient enchantées ou non et faire le ménage, il a étrangement préféré les boîtes de saletés d’un autre âge. Ne me demandez pas pourquoi. Moi, j’aurais pris le balai.
Lorsqu’Elodie s’est mise à parler des horaires et autres banalités barbantes, je me suis donné congé pour aller fumer ma deuxième clope de la journée. Elodie n’a pas essayé de me retenir. Je pense que ça l’arrangeait que je sorte, j’avais dû pas mal lui échauffer les nerfs. Dehors, le ciel était toujours aussi bleu. Déprimant…
J’ai bien pris mon temps pour ma pause-clope, histoire de réfléchir un peu à Raphaël. Il avait finalement plus de bons aspects que je ne le prévoyais : il semblait motivé, réagissait à mes provocations et en savait plus que ce que l’EEM voulait bien dispenser à ses élèves. Je me demandais d’ailleurs d’où il tenait ses infos.
Pour ne rien gâcher, il était plutôt bandant. La photo sur son dossier n’avait pas menti. On se serait croisés en boîte de nuit, ce se serait fini dans les backrooms. Dommage…
Après, je le trouvais quand même un peu coincé du cul. Il était fait pour s’entendre avec Elodie.
En fin de compte, ce stage allait peut-être se dérouler mieux que prévu. On allait voir… Jeudi serait un test pour voir si je pouvais l’amener sur le terrain. Dans ma tête, j’espérais que son côté collet-monté compense mon sale caractère devant les solliciteurs. D’autant plus qu’Elodie ne m’accompagnait plus en mission.
Les gens n’avaient pas confiance parce qu’elle était un fantôme, ils se comportaient mal et ça se finissait souvent avec moi qui leur disait d’aller se faire foutre. Enfin merde ! Quand tu demandes de l’aide à quelqu’un, tu vas pas le faire chier, bordel !
Le pire, c’est qu’après, on était obligé d’aller libérer l’esprit en loucedé vu qu’obliger un fantôme à rester sur Terre, ça se fait pas. En plus, un jour, un type s’est rendu compte qu’il n’y avait plus d’esprit chez lui. Il s’est alors cru malin et est venu nous dire que « gné gné gné, on est des charlatans, le fantôme est parti tout seul ». Elodie m’avait fait promettre de rien dire dans ces cas-là, de laisser couler. Elle a dû aussi me faire jurer de pas balancer une malédiction sur l’autre connard. Ça a été dur, mais j’ai réussi à tenir mes engagements. Il n’empêche que depuis, j’allais seul chez les solliciteurs. Je me suis senti mal pour Elodie, d’ailleurs.
Bref. On ferme la parenthèse.
Une fois ma pause finie environ trente minutes plus tard, je suis remontée et ai trouvé les deux lurons en train de farfouiller dans un coffre que je me souvenais avoir déjà vu dans l’hypogée. Elodie avait dû demander à Raphaël de le monter pour qu’il commence son travail, et puisqu’elle adorait l’histoire, elle n’avait pas pu résister à donner un « coup de main ».
Raphaël, des traces de poussière çà et là, a alors extrait du coffre un collier à mailles miroir. Elodie l’a examiné quelques instants avant de s’écrier « Oh ! », puis elle a couru chercher un bouquin dans la bibliothèque.
J’ai décidé de les laisser faire mumuse avec les antiquités et suis retourné à mon bureau. Là, il y avait la lettre que n’avais pas réussi à lire plus tôt.
Ça m’a gonflé alors je suis finalement allé regarder les deux zigotos.
Le collier s’est révélé être un miroir à fumée [1] permettant de ne pas être remarqué. La face intérieure des mailles était gravée de l’incantation qui donnait son pouvoir au collier et Raphaël s’est mis en tête de la traduire. De son côté, Elodie feuilletait le registre héraldique qu’elle était partie chercher. Décidément, on n’avait pas les mêmes passions… Au bout d’une demi-heure, ils ont fait une sorte de compte-rendu.
En gros, le collier a été forgée pendant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle par la maison Vanelières [2] pour madame de Colubrida [3], enchanteresse personnelle de Napoléon III et, d’après la rumeur, sa maîtresse. Je ne sais pas comment ma famille avait mis la main dessus, mais en y réfléchissant, la remarque s’appliquait à beaucoup d’artefacts anciens dans la cave. Quoi qu’il en soit, la manie de s’approprier le moindre colifichet supposément enchanté avait valu aux Vermeils une réputation de collectionneurs compulsifs.
Une fois le collier identifié, Elodie et Raphaël se sont remis à fourrager dans le coffre. Ça a duré à peu près toute la journée, à l’exception de la pause repas. Je les aurais crus à la foire-fouille… En tout cas, j’avais bien raison : ils étaient faits pour s’entendre.
Au bout d’un moment, vu qu’ils avaient l’air de plutôt bien s’amuser dans leur coin, je me suis dit que j’allais utiliser la journée à bon escient, et j’ai fait une sieste.
Quand je me suis réveillé, Elodie était retournée à son bureau, occupée de nouveau avec la pince et la loupe. Raphaël s’était quant à lui trouvé une table et poursuivais l’exploration du coffre. J’ai regardé ma montre : il était 16h30. Je n’avais sans doute pas été productif, mais au moins, j’avais bien dormi.
Il ne se passa rien de plus cette journée-là. Raphaël retourna chez lui, puis je suis rentré à la maison avec Elodie. Alors que je refermais la porte, j’ai senti qu’elle allait me ressortir les incidents de l’indic et de l’hackeuse, et rien que d’y penser me soûlait déjà. J’avais d’ailleurs raison puisqu’au moment où on traversait le parc municipal, elle a rompu le silence.
- Matthias, ôte-moi d’un doute. Si tu as fait monter Raphaël seul, ce matin, est-ce que c’était pour voir s’il réagissait bien face à un fantôme ?
Pas la remarque à laquelle je m’attendais, mais une remarque chiante malgré tout…
- Pas du tout. Je ne vois pas pourquoi tu penses ça.
- J’ai donc ma réponse.
- J’ai dit non, Elodie ! Tu te fais des films.
- Je me fais peut-être des films, mais tu n’es visiblement pas doué pour le théâtre. Sauf pour paraître odieux devant les stagiaires…
- Lâche-moi avec ça, tu veux ?
Elodie eut un léger sourire face à mon air boudeur. Ça m’a agacé, alors je me suis tu.
- Bon, sinon : tes premières impressions sur Raphaël ?
- Grumpf…
- Oh, arrête un peu ton boudin, là. C’est ta cogestionnaire qui te poses une question vis-à-vis du stagiaire, pas ta sœur qui t’embête.
Je ne savais pas trop quoi répondre, alors j’ai méticuleusement pesé chacun de mes mots afin d’exprimer le plus exactement possible mon ressenti.
- Ça va…
- C’est un peu court, jeune homme…
- Je m’attendais à pire.
- Mais encore ?
- Il réagit quand on le bouscule.
- Heureusement pour lui. Maintenant, je ne suis plus aussi sûre de celui de vous deux tuera l’autre.
- Ah ha… Très drôle. Et toi, ton avis ?
- Il me semble motivé, dynamique, passionné de manciologie, soigné…
- En tout cas, vous aviez l’air de drôlement bien vous entendre… Tu en as eu marre de correspondre avec Alban ?
Elodie a froncé les sourcils. Elle n’avait pas du bien prendre la pique à propos de son copain épistolaire.
- Je trouve ça bien hypocrite de la part de la personne qui a éhontément maté son derrière.
- Mais n’importe quoi !
- Je t’en prie ! Tu le tripotais tellement du regard qu’il a dû sentir une main sur ses fesses au bout d’un moment.
- Oh, c’est bon. J’ai bien le droit d’évaluer la marchandise…
- J’ai eu peur. Pendant un instant, j’ai bien cru que tu allais dire « viande ».
- Laisse-moi rêver, steup. J’ai bien le droit de le toucher avec les yeux vu que tu voudras pas que je le touche en vrai. On peut encore profiter de la vue, non ?
Elle a eu l’air amusée. Je ne voyais pas ce qu’il y avait de si drôle.
- Tu le penses vraiment ? Que je t’empêcherais de l’approcher ? Selon toi, je serais la… le dragon de vertu, la duègne protégeant la pauvre infante innocente de ta libidineuse personne ? Sois sérieux, voyons… Il a vingt-trois ans, Matthias ; tu en as vingt-cinq. Vous êtes tous les deux des adultes majeurs. Tant que ça n’interfère pas dans le travail, je ne vois pas pourquoi je t’empêcherais de le toucher, comme tu dis. Je ne suis pas la police des mœurs. Tu peux le courtiser si ça te chante, encore que ça m’a l’air plutôt mal parti.
Je devais admettre que je n’avais pas prévu ça… Pendant un instant, je me suis dit que peut-être… et puis non. Mon petit doigt m’a fait savoir que ce n’était pas une bonne idée. Je ne savais pas vraiment pourquoi, mais l’instinct n’a pas besoin de justifications. Surtout quand ça m’arrangeait.
- J’ai pas dit que j’en voulais. » ai-je finalement annoncé à Elodie.
- Tu viens pourtant de me demander de te laisser rêver…
- Ouais, ben ça restera du rêve. Il est peut-être agréable à l’œil mais il est trop coincé à mon goût.
- Quand tu dis « coincé », tu parles du fait qu’il ait mis de la distance entre vous après que tu as été désagréable avec lui ?
- Gné gné gné... Et puis de toute façon, il y a plein d’autres poisson dans la mer.
- Si tu le dis. Et après tout, ce ne sont pas mes affaires…
La conversation s’est arrêtée là ; j’en ai profité pour m’allumer une cigarette. La cinquième, m’a rapidement rappelé Madame Casse-burnes. De quoi elle se mêlait, franchement ? Est-ce que je venais m’ingérer dans ses jeux de pouvoir ? Je l’ai emmerdé très fort, mais comme je n’avais pas vraiment envie qu’elle me pique encore un paquet, j’ai décidé que ce serait la dernière clope de la journée.
Après ça, on est arrivé à la maison, je me suis fait à manger et Elodie est partie sur l’ordi, sans doute un rendez-vous discord Alban. Les deux s’étaient rencontrés dans un jeu en ligne il y a plusieurs années, et étaient depuis devenus amis. En vérité, je sentais bien qu’Elodie l’aimait autrement qu’un ami, mais elle avait peur que ça aille plus loin ; peur qu’il rompt tout contact en apprenant qu’elle était un fantôme ; peur de perdre quelqu’un auquel elle tenait à cause de cette histoire à la con. Je la comprenais un peu ; je connaissais peu de mecs qui prendraient bien le fait d’apprendre que leur copine est une apparition… Enfin, copine… pas encore.
Au risque de passer pour un type correct, je tiens à préciser que j’espérais vraiment que ça se passe bien entre les deux. Même la poisse devait avoir ses limites… Elodie avait dû se priver de suffisamment de choses à cause de sa condition de fantôme pour avoir un sauf-conduit au bonheur.
Vers vingt-trois heures, alors que j’étais en train de regarder les autres poissons dans la mer sur mon téléphone, on a toqué à ma porte. C’était Elodie, et je lui ai dit d’entrer. Elle s’est contentée de passer la tête par l’embrasure.
- Juste un rappel tant que j’y pense : pas de spectres ou autres pour Raphaël pour le moment, ok ?
- Oui, c’est bon. Tu l’as déjà dit.
- Je l’ai effectivement déjà dit et tu en as malgré tout parlé aujourd’hui. C’est pour ça que c’est un rappel.
- Ouais, ben il connaissait déjà de toute façon…
- Ça, tu ne le savais pas avant. En tout cas, il est hors de question de le mettre en danger inutilement.
- Bah, s’il veut devenir chaïréticien, il faudra bien qu’il en rencontre un jour.
- Il y a un temps pour tout, Matthias. On décidera ensemble du moment où on lui en parlera.
- Dac’.
- Ensemble, capisce ?
J’ai soupiré avant de dire ok. Elodie m’a alors souhaité bonne nuit puis est sortie, me laissant seul dans ma chambre. Il commençait à se faire tard, mais je n’avais pas envie de dormir ; je suis donc allé sexter sur Grindr… [4]
[1] Miroir à fumée est le nom habituellement donné aux instruments utilisés pour l’hypnose. Le terme a été emprunté à l’anglais au XVIIème siècle.
[2] La Maison Vanelières est la plus ancienne famille d’artisans ésotériques encore en activité en France. Etablie à Reims depuis le XVIème siècle, la maison Vanelières a établi des partenariats avec les plus grandes maisons manciologiques du pays : maison Pavoni (divination), maison Trismégiste (alchimie), maison Vermeil (chaïrétique), maison Atrope (apothicairerie), maison Ophiuchi (thaumaturgie médicinale). Son blason est formé d’un cercle de ronces tressées entourant un marteau de forge et une baguette.
Les maisons sont respectées par les travailleurs de l’au-delà car détentrices d’un savoir transmis de générations en générations. Si leur existence n’empêche pas de nouveaux concurrents de s’installer, il est souvent plus simple pour eux de se greffer aux familles (souvent par mariage).
Il arrive quelquefois que des membres d’une famille s’en détachent pour poursuivre une vie sans rapport avec l’au-delà. Les cas restent toutefois rares.
[3] Aurore Ellemont (5 janvier 1813, Brest – 28 août 1915, Neufchâtel), plus connue sous le nom de Madame de Colubrida, fut une des plus grandes manciologues du XIXème siècle (ou au moins une des plus célèbres). On sait peu de chose de sa vie avant 1937, année durant laquelle elle emménagea à Paris et monta son affaire en tant que devineresse et thaumaturge sous le pseudonyme de Madame de Colubrida.
Douée d’un sens certain du commerce, elle se fit rapidement une place dans la haute société malgré son statut d’indépendante. Sa carrière atteignit son faîte lorsque Napoléon III la prit sous sa protection en tant qu’Enchanteresse impériale en 1854. Certaines rumeurs racontent qu’elle aurait été la maîtresse de l’empereur. Il serait toutefois plus exact de supposer que Madame de Colubrida le manipulait à sa guise.
On sait en effet aujourd’hui qu’Aurore Ellemont avait signé dans les années 1840 un contrat avec Kagami, l’agge dit de la séduction. Les détails du contrat ne sont pas connus mais il est raisonnable de penser que Madame de Colubrida en avait obtenu un pouvoir certain sur le cœur des autres, d’où sa facilité à obtenir des faveurs de n’importe qui. Par exemple, le collier mentionné plus haut était un cadeau d’Eugénie de Montijo à sa « grande amie ».
Peu de temps avant la fin du Second Empire, sentant le vent tourner, Madame de Colubrida se retira dans un manoir qu’elle avait fait construire à Neufchâtel et en fit sa résidence principale. Libérée de toute responsabilité officielle, elle voyagea beaucoup jusqu’à la fin de sa vie. On pourra noter l’importante longévité de madame Ellemont qui vécut plus de cent ans, mais on ne sait si cela était lié ou non à son activité de manciologue.
Les circonstances de sa mort restent mystérieuses. Le médecin personnel de Madame de Colubrida conclut à un infarctus, mais la disparition de l’anneau d‘Eldritch de la manciologue fit se tourner un grand nombre de personnes vers la théorie d’une mort criminelle.
On soupçonna un temps le baron Giftszunge, manciologue bavarois et détracteur notoire de Madame de Colubrida, qui séjournait incidemment à Neufchâtel à cette époque. Il fut toutefois innocenté, faute de preuves.
Il n’en reste pas moins qu’Aurore Ellemont est une des figures majeures de la manciologie française. Sa vie, aujourd’hui encore nimbée de nombreux mystères, ne cesse de passionner les historiens autant que les profanes. Une rue à Brest a été renommée en son honneur en 1925, et une robe Colubrida désigne une robe à col cygne et motif éventail.
[4] Grindr est une application de rencontre destinée aux hommes. Lancée en mars 2009, elle reçoit en janvier 2011 le prix du meilleur site de rencontres mobiles aux iDates Awards.
L’entreprise, forte de son succès, lance en septembre 2011 une version ouverte à toutes les orientations sexuelles : Blendr. Elle est ensuite rachetée en 2016 par une entreprise chinoise, inspirant alors dans l’administration américaine la crainte de voir certains de ses responsables influencés via leurs données compromettantes.
La France est classé troisième dans les pays utilisant le plus Grindr en termes d’utilisateurs avec plus d’un demi-million d’inscrits (dont 80% dans l’agglomération parisienne).
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