Prologue : 15 jours plus tôt
Le jour du mariage, Louis s’était levé avec la sensation que quelque chose de terrible se préparait.
Mais comment aurait-il pu en être autrement ? D’une certaine façon, il se passait toujours quelque chose de terrible lors des mariages ; si c’était le début d’une nouvelle ère, c’était aussi la fin d’une autre.
Lors de celui de Naïwenn et Alexander, soixante ans plus tôt, cinq espions s’étaient faufilés parmi les invités. Bien sûr, ils n’avaient pas réussi à tromper la vigilance de Thomas qui avait su lire dans leurs émotions leurs mauvaises intentions. Certains rois n’avaient jamais vécu que pour la guerre et voyaient ce mariage d’un très mauvais œil. Thomas avait fait arrêter les intrus en toute discrétion et avait préféré taire cette histoire au nom de la paix que cette union fondait, si bien que ni sa sœur, ni son époux ne le surent jamais.
Ce souvenir extirpa un soupir à Louis tandis qu’il scrutait les bois pour parer toute menace possible. Il avait fait part de ses inquiétudes à Thomas, deux semaines plus tôt, par une matinée pluvieuse. Il était persuadé que l’ultimatum proposé par le Président, précipitant cette union, ne venait pas vraiment de lui. Mais Thomas n’avait rien voulu entendre, le pensant troublé par ses sentiments. L’entrainement qui avait suivi fut des plus violents. Si son corps n’en portait plus les traces, l’esprit de Louis restait marqué par la douleur qu’ils s’étaient infligés. Ils ne se disputaient presque jamais : l’avantage de l’hypersensibilité de Thomas. D’un autre côté, ils restaient inexpérimentés en réconciliation et ne s’était plus parlé depuis lors. Cependant, Louis était un soldat aguerri, ancien membre de l’Escorte, élite de l’armée tellusienne et si cette vie lui avait appris quelque chose, c’était bien l’importance de se fier à son instinct. Il n’en démordrait pas.
- C’est toi, Louis ? demanda une voix à ces côtés.
Louis examina un instant l’homme curieux. Il était blond, avait les cheveux longs, le visage anguleux et n’était pas plus épais qu’une brindille. Il était évident qu’il ne connaissait rien à l’art du combat. Tout comme il était flagrant qu’il n’était en aucun cas un hybride, issue de l’union d’un des Enfants de Tellusa et d’un Homo sapiens. Vu son âge, l’homme devait être le fils ou le petit-fils d’un Prude –lui-même ne portant pas la marque du Baptême- de Salomon. Nami se serrait attelée à l’étoffer davantage. Salomon, à contrario, ne donnait que peu de crédit aux combattants.
Si, comme le pensait Louis, il était tellusien d’origine, il avait dû grandir dans ses rites, ses coutumes mais n’y avait jamais mis les pieds. L’idée que ce jeune garçon soit prêt à sacrifier sa vie au nom d’une terre dont il n’avait jamais rien vu sinon les représentations figées sur du papier glace emplie Louis d’un sentiment de compassion sincère et profond.
Les sept royaumes de Tellusa manquaient à Louis, que ce soit la froideur d’Elidrys ou la chaleur étouffante de Carhka, la grandeur d’Amnésia, les couleurs de Reiv, l’étroitesse de Situl, la sérénité de Thhar-Yam ou même Alusdhur, aussi terrifiant soit-il.
Pendant presque trois siècles, Louis n’avait connu pour maison que l’une de ses geôles. Son père ne l’autorisait à sortir de la forteresse dans laquelle il était né que pour rejoindre le champ de batailles. Il ne vivait que pour la guerre, ne côtoyant personne d’autre que sa petite sœur Elena. S’il avait dû avoir des sentiments, à l’époque, cela aurait était pour elle. Ils n’avaient que peu de choses en commun : Louis était un hybride, un fils illégitime, elle était une princesse respectée et adulée ; elle était aussi téméraire et désinvolte qu’il était prudent et formel. La seule chose qu’ils partageaient, mis à part leur télékinésie, était leur dégoût pour Nicolas, le benjamin de la fratrie.
- C’est moi, avait répondu Louis à contrecœur.
Il avait voulu nier, se doutant de ce qui allait suivre. Mais cela ne servait à rien, et il le savait pertinemment. Même après quatre cents ans d’existence, Louis restait impressionné par l’énergie que les êtres humains pouvaient déployer pour se tenir au courant des derniers potins. « S’ils mettaient autant de temps et d’énergie à régler leur propre vie, le monde ne s’en porterait que mieux », pensait souvent Louis quand il les regardait discuter de celle des autres.
- Ça doit être pénible pour toi. Je suis désolé. En même temps, s’il est prêt à te faire ça uniquement pour le statut, tu es bien mieux sans lui !
- Je ne vois pas en quoi ça te regarde.
Le garçon se renfrogna et s’éloigna penaud. Il avait voulu lui apporter du soutient, Louis le savait très bien. D’ailleurs, il avait répondu plus sèchement qu’il ne l’avait voulu, ne se reconnaissant pas dans une telle animosité. D’un autre côté, il ne se sentait plus vraiment lui-même depuis quelque temps.
S’il avait été seul pendant longtemps, Louis avait changé aux côtés de Thomas. Ce dernier lui avait permis d’accepter son humanité, ses émotions. Petit à petit, Thomas avait mis à mal l’armure que Louis s’était construite et qui le maintenait à distance des vivants. Comment aurait-il pu en être autrement ? Il lisait en lui comme dans un livre ouvert. A ses côtés, Louis avait appris à s’ouvrir aux autres. Il avait même vu la profonde méfiance qu’il ressentait envers les rois et reines se réduire significativement. C’était peut-être là sa plus belle réussite.
Pourtant, Thomas l’avait déçu. Non pas parce qu’il honorait une vieille parole, mais parce que Thomas se refusait de l’écouter, comme si cette histoire ne concernait pas Louis, comme si Thomas, de par son statut était le seul à pouvoir comprendre une telle situation. Il n’était pas rare, pourtant, que le roi face appel à son amant pour avoir des conseils. Il écoutait, toujours avec beaucoup d’attention, ce que l’homme de terrain qu’il était pensait. Mais là, il se contentait du silence et s’entêtait à le maintenir à distance.
Les houles de la foule se firent entendre derrière les portes et Louis comprit que le mariage avait été déclaré. Il ravala la boule qui lui montait à la gorge et se concentra plus encore sur son inspection pour ne pas penser à la suite des événements.
« Il se passe quelque chose, lui apprit la voix pressée de Shoshana dans sa tête. Les arbres parlent entre eux. Nous ne sommes pas seuls. »
Sans perdre une seconde, Louis tapa le code d’urgence sur le panneau numérique dissimulé sous la carcasse du robot humanoïde qui l’accompagnait. Une alarme se fit entendre dans toute la Citadelle.
De là à ce qu’une silhouette charnue et blonde apparaisse dans les fourrés, il n’avait fallu que quelques secondes. Holly, habillée d’une tenue blanche qui moulait son corps et le couvrait de la tête au pied, apparue dans une démarche victorieuse.
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