Je devais être au collège quand ça m’est arrivé pour la première fois. En sixième ou cinquième, je ne sais plus exactement. J’étais en vacances chez ma grand-mère, du côté de Lyon. A cette époque-là, je passais la plupart de mon temps scotché devant les dessins animés, les bandes dessinées et les films d’animation. Je ne m’en lassais pas. Les classiques Disney, Spirou & Fantasio, Astérix & Obélix, Cédric, Boule et Bill, Les Mystérieuses Cité d’Or… Je ne jurais que par ceux-là. Il était impensable pour moi de me passer ne serait-ce que d’un seul tome ou d’un seul épisode de ces sagas qui me passionnaient.

Malheureusement pour moi, je n’avais rien emporté pour ces vacances et le temps commençait à se faire long, même devant les bandes dessinées et les films d’animation de deux heures… J’étais donc allé fouiller dans la bibliothèque de ma grand-mère. Il n’y avait aucune bande dessinée, ni même de comics ou encore de mangas. Nul livre où je pouvais apercevoir des images, si ce n’était des albums photos.

En fin de compte, je me dis que je pouvais éventuellement tester quelque chose d’autre et je saisis un des vieux bouquins poussiéreux au hasard. Puis je m’assis sur le canapé, sceptique. Je me rappelle ensuite m’être éternisé là. Un quart d’heure. Une demi-heure. Deux heures. Cinq heures même. Bien décidé à dévorer les pages jusqu’à ce que la faim me démange et mes paupières se ferment contre leur gré.

Je n’en croyais pas mes yeux. Comment de simples mots, tous de la même taille, tous de la même police, sans une seule image, sans couleur et sans musique pouvaient attirer autant mon attention ? Quelle était cette irrésistible attraction qui me poussait à négliger mon environnement et à me focaliser sur mon livre et rien d’autre, tel un enfant égocentrique?

A l’époque, je ne trouvais pas les réponses à mes questions. Cela ne m’aura pas empêché de reconsidérer mes maigres économies avec lesquelles je n’achetais que des confiseries pour les consacrer à l’acquisition des ouvrages de La Comtesse de Ségur, Anne Robillard, Licia Troisi ou encore Mary Higgins Clark durant de longues années.

Près d’une décennie plus tard, je pense enfin pouvoir exprimer ce que je ressens pour ce domaine si truculent qu’est le cinquième art, ou du moins en extérioriser une partie.

Car, bien qu’une image puisse valoir mille mots, bien qu’elle donne la possibilité au lecteur ou au spectateur de mieux se représenter et de visualiser sans attendre le sujet, cette dernière ne saurait égaler la littérature en matière d’invention.

Nous ne pourrions exprimer toutes les sensations éprouvées à la lecture d’une œuvre dans une courte nouvelle comme celle que vous êtes en train de lire. Toutefois, si je devais les résumer en quelques mots, je dirais que c’est d’abord une forte créativité suscitée chez le lecteur. Rares sont les individus aptes à rester passif face à un tel agencement de syllabes, que ce soit en prose ou en vers.

Lire, c’est simplement se concevoir son propre univers au fur et à mesure des lignes et s’y transposer, de gré ou de force. C’est se représenter tout un monde qu’a conçu l’auteur et y apporter sa propre vision des choses. Imaginer les visages des personnages, sentir l’odeur des plantes, visualiser les décors, entendre les chants d’une tribu comme si nous étions sur place, et tant de choses encore…

Ceci est et restera uniquement mon point de vue d’amateur effréné. Néanmoins, je suis convaincu que la littérature n’a pas dit son dernier mot. Et j’irai dire deux mots à quiconque m’affirmera le contraire.