Aaron

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Chapitre 3

19 Juillet 2019, 17H37 Beaurecueil France

Aaron Ascher fixait son adversaire avec défi. Autour du ring, la foule des adhérents de la salle criait et s’agitait. Son adversaire, un boxeur avec une vraie carrure de poids lourd, le dépassait de toute sa masse. Les membres du club lançaient des paris avec une excitation digne des grands soirs.

Aaron semblait bien fragile avec son mètre soixante-dix et sa musculature sèche. Il esquivait et sautait comme s’il fuyait le combat. Son opposant s’essoufflait et il le voyait.

Vas-y, énerve-toi, perds patience, frappe comme une brute ! Tant de muscles et si peu de cervelle... Toujours le même genre d'abruti. Ça finit par devenir lassant.

Décidant qu’il était plus que temps d’en finir, il lança à son adversaire :

« Alors mademoiselle, on fatigue ? Tu avais une plus grande gueule tout à l’heure… »

Le visage du boxeur se contracta de fureur et de rage. Souriant, Aaron sut qu’il avait atteint son but. Son adversaire lui lançait des crochets, des uppercuts, sans rien toucher, frappant encore et encore, transpirant et le souffle court. Puis, enfin, une ouverture dans sa garde.

Tu vas comprendre... Tu t’es frotté à la mauvaise personne ! Se moquer de ma taille… »

Le genou d’Aaron frappa les côtes exposées qui produisirent un craquement qu’il jugea satisfaisant. Quelques-unes avaient cassé a priori, mais cela n’était pas suffisant pour laver l’affront : il fallait que ce boxeur insolent comprenne qui était l’alpha. Il devait tomber dans la poussière et y rester. Son adversaire s’effondra sous la violence du coup : le coude d’Aaron venait de s’abattre juste à côté de la colonne. L’homme au sol hurla de douleur en essayant de se relever devant la foule muette.

« Appelez une ambulance. Il s’en remettra et devrait pouvoir se remettre debout d’ici quelques mois... Mais je crois qu'il ne portera plus rien de lourd… »

Il cracha ses derniers mots comme une injure avant de descendre du ring, satisfait. Malgré la supériorité physique manifeste du boxeur, jamais ce dernier n’avait eu la moindre chance face à un assassin entraîné au Krav Maga par les meilleurs spécialistes de l’Organisation. Aaron empocha l’argent qui lui revenait et quitta les lieux. Assis dans sa décapotable, il savourait sa victoire. Certes, il aurait pu laisser passer : il l’avait juste traité de nain en se marrant... Mais personne ne se moquait de lui. Le téléphone sonna : il décrocha.

« Aaron j’écoute. »

« Bonjour Aaron. Nous avons un travail pour vous. Montez sur Paris : un avion vous attend à l’aérodrome d’Aix-les-Milles. »

Mlle Locke ! Il resta sans voix un instant. Si l’assistante de M. Joshua l’appelait, c’était sérieux. En temps normal il recevait ses ordres de mission de l’agent de supervision national et, dans les cas sensibles, européen. Là, l’ordre venait de l’assistante du bras droit de White en personne.

« Réunissez votre équipe : je vous brieferai durant le vol. »

« Bien, je me mets en… »

Elle avait déjà raccroché. Aaron sentit une pointe de colère monter en lui. Il décida de ne pas gâcher sa journée parfaite et prit la route de sa bastide. Après tout, elle devait être très occupée et il devait se doucher et se changer avant de prendre l’avion.

*****

La nuit était déjà avancée à son arrivée sur le tarmac où l’attendait un Gullstream G700. Aaron ajusta sa tenue : il devait faire bonne impression. Il ne l’avait vue que deux fois et de loin. Mais il l’avait toujours trouvée tout à fait plaisante à regarder avec ses tenues très provocantes.

Se placer auprès d’elle serait une excellente idée… Il s’observa dans le miroir du pare-soleil : il avait toujours eu du succès avec la gent féminine. En plus de son teint mat et de ses cheveux noirs, il avait aussi une dentition parfaite et de grands yeux en amande aux longs cils. Oui : il était certain de la séduire. Après tout, ce n’était qu’une femme.

Il monta à bord, appréciant le confort et le luxe de l’appareil, les cuirs crème, les boiseries en noyer et acajou. Assise dans un des fauteuils attendait Mlle Locke. Il prit un instant pour admirer ses longues jambes, son corps parfaitement moulé dans un tailleur de grand prix, avant de se diriger vers le fauteuil placé face à elle.

*****

La jeune femme le regarda entrer dans la cabine en se demandant comment l’avion allait pouvoir décoller avec un passager qui visiblement portait sur son visage toute l’arrogance du monde. Sa façon de la regarder l’agaça. Non : la répugna. Elle dissimula son dégoût, s’astreignant à garder un visage professionnel et glacé tout en allumant l’interphone qui la mettait en communication avec le pilote.

« Vous pouvez décoller, merci Ailean. »

Aaron s’était installé face à elle, laissant la table entre eux, ce qu’elle apprécia. Il avait un sourire suffisant dévoilant des dents parfaites qu’elle eut envie de casser.

« C’est un plaisir de vous rencontrer Mlle Locke : je n’avais jamais eu l’occasion de vous croiser auparavant et je le regrette. »

Elle lui adressa un regard glacial qui aurait mis n’importe qui mal à l’aise, mais il ne se décontenança pas pour autant.

« J’ai hâte de travailler avec vous : ce n’est pas tous les jours qu’on côtoie l’assistante de M. Joshua. Il ne s’entoure que des meilleurs. Et on ne le devient qu’en travaillant avec les plus doués. »

« Merci Aaron, mais passons au sujet de votre présence. À la suite d’une intrusion dans nos banques de données, des informations sensibles ont été volées. L’équipe à San Francisco où a eu lieu le vol n’a pas pu empêcher le transfert de ces dernières. Toutefois, ils ont réussi à trouver l’adresse de destination. »

Elle lui tendit une tablette contenant les rapports qu'il feuilleta en même temps qu’elle poursuivait. Un nom arrêta sa lecture : Barnes ? C’était lui qui avait foiré ? Aaron jubilait : on lui confiait le job que Barnes n’avait pas pu réussir. Il avait attendu ce moment depuis longtemps... Il avait un compte à régler avec lui : personne ne se moquait de lui, personne ne prenait ce qui lui revenait de droit.

Jamais je n’aurais imaginé voir ma vengeance servie sur un plateau... Et par Locke en plus !

Il l’imagina un instant en maid servile à ses pieds.

Oui... Je vais réussir le job et me taper Locke... Une belle journée !

La voix de la femme mit provisoirement un terme à ses pensées.

« Nous avons situé la réception dans un immeuble du 18eme arrondissement, au 88 rue Myrha. »

Il devait se concentrer sur le job, montrer sa supériorité sur Barnes. Oubliant Locke, il se pencha sur les images satellites, repérant les entrées et les sorties. Il était possible de sortir par l’arrière ou par les toits, de rejoindre la rue Poulet par une des boutiques ou des immeubles…

« A qui appartient l’appartement ? »

« Un certain M. Emeric Boisselot : il a investi dans des appartements et boutiques qu’il loue à des tarifs indécents dans le quartier. Plusieurs plaintes de ses locataires concernant l’insalubrité des logements sans qu’elles n’aboutissent. Mais l’endroit n’est pas sa résidence principale et il n’est pas déclaré loué »

« Je vois : rien ne dit qu’il ne loue pas de la main à la main. Parfait pour une planque. On peut le trouver où, ce monsieur ? »

« Il réside dans un autre arrondissement : je vais faire en sorte qu’il soit amené au Tacko Bonko, un salon de coiffure inoccupé qui dispose d’une cave. »

Parfait : le job devrait être facile. Une équipe par devant, une par derrière, un seul escalier. La cible était prise au piège. Il allait cependant avoir besoin de matériel.

« Il va me falloir deux motos rapides et maniables, un utilitaire et un drone. Je veux garder à l’œil les toits et m’assurer de garder un visuel tactique pour l’équipe. »

Mlle Locke était au téléphone et fit un signe de tête dans sa direction. Elle nomma l’agent de supervision Europe, demandant le matériel requis par Aaron. Toutefois, une question le taraudait : comment Barnes avait-il foiré ? Les informations sur bouboule, comme il avait choisi de le surnommer, ne montrait pas un adversaire redoutable.

« J’ai une question : selon le rapport, ce Williams n’est pas vraiment une menace... Que s’est-il passé exactement ? »

« C’est une excellente question, Aaron. Il s’avère que M. Williams a été alerté par l’action téméraire d’un de nos agents. Il semble qu’un individu acculé soit plus dangereux que l’on imagine. Pour le reste, M. Barnes a cru déceler une autre piste et souhaite la suivre, ce que nous lui avons accordé. »

M. Barnes ? Et elle ne l’appelait qu’Aaron ! Alors comme ça ce vieux Barnes avait une autre piste... Mais alors, la sienne…

« Êtes-vous certaine que les données sont arrivées dans cet appartement ? Je veux dire... Si Barnes pense qu’il existe une autre piste... »

« Les services informatiques ont utilisé l’Hydre pour retrouver sa trace. Avec ce programme, rien ne peut nous échapper, aucun flux de donnée. Je suis certaine que la piste mène droit à cet appartement. »

Aaron se cala dans son siège. Que mijotait donc Barnes ? Encore un de ses mauvais tours, comme à Téhéran quand il avait failli faire foirer son plan et qu’il l’en avait blâmé.

Mais pas cette fois mon gars, je connais tes tours de passe-passe.

Il connaissait tous ses trucs et il allait se méfier. La situation était simple, mais pas à prendre à la légère. Il devait marquer le coup.

« Tout est bon pour vous, Aaron ? »

« On manque d’information : nous ne savons pas si quelqu’un réside dans l’appartement, ou si c’est une simple planque, une boite postale… Mais je suis confiant en mon équipe pour mener cette mission à bien. »

Oui, il se sentait en veine aujourd’hui. Demain, à l’aube, il allait prouver sa compétence, et grimper les échelons. Il laissa glisser son regard sur la femme assise en face de lui.

En parlant de grimper…

Il lui adressa un sourire, amical et un brin charmeur : elle ne pourrait y résister.

« Ce sont les données la priorité : trouvez-les et découvrez si elles ont été partagées et avec qui. »

« Bien sûr, j’y veillerai. Il nous reste un peu de temps devant nous avant Paris et je crois que nous avons fait le tour du sujet. Nous pourrions en profiter pour faire connaissance ? Je suis très curieux d’en savoir plus à votre sujet. »

Il s’était avancé vers elle, un sourire charmeur aux lèvres, le regard de velours. Il était beau garçon selon les standards, pensa Mlle Locke. Mais ce n’était qu’une petite brute à peine éduquée, sans morale ni honneur, habituée à gagner facilement.

« Vous devriez vous préparer Aaron : M. White tient à ce que cette mission se déroule au mieux, sans anicroche. Il ne pardonnera pas un échec et saura vous le faire savoir : il est très agacé par la situation. »

Le nom de White le refroidit instantanément. Il ne l’avait jamais croisé mais tout le monde le connaissait et il savait qu’il ne s’agissait pas d’un mythe. Une fois, alors qu’il était débutant dans l’Organisation, il avait dû nettoyer les restes d’un agent qui avait failli. Il en avait fait des cauchemars pendant des semaines.

La femme se leva. Une distraction bienvenue : ses formes délicieuses remplaçèrent le souvenir atroce. Elle le fixa avec un regard froid et il se surprit à trembler légèrement.

« Aaron, je vais vous prévenir une seule fois. Vous êtes un agent prometteur, mais rappelez-vous cela : je suis votre supérieure et je ne rends compte qu’à deux personnes : M. Joshua et M. White. Le Monsieur est un signe de respect que vous n’avez ni gagné, ni mérité. »

Aaron la regarda, surpris. Personne ne l’avait jamais repoussé... Qu’est-ce qui lui prenait à cette garce ? Il recula légèrement lorsqu’elle se pencha vers lui et se fustigea en dedans tandis qu’elle poursuivait avec une lueur meurtrière dans le regard.

« Une dernière chose, pour votre santé. Regardez-moi encore comme vous le faites et je vous arrache les yeux avant de vous les faire manger. Alors restez à votre place : Je ne suis pas une de ces petites poules dont vous avez l’habitude. »

Elle quitta la cabine pour se rendre dans le bureau un peu plus loin, le laissant seul jusqu’à Paris. L’utilitaire l’attendait à l’aéroport avec son équipe : quatre agents entraînés. Il les dirigeait depuis trois ans. Il n’avait pas de sympathie pour eux mais ils étaient compétents et efficaces, alors il leur laissait croire qu’il était des leurs, un chef autant qu’un ami.

Il regardait le paysage, repassant le plan dans sa tête. Le vol avait eu lieu la veille peu après minuit, le transfert sur les coups de quinze à seize heure. Soit une trentaine d’heures qui s’étaient écoulées.

« Patron, on est arrivés. »

La devanture du coiffeur peinte en rouge ne payait pas de mine. Il restait encore quelques affiches montrant des femmes de couleur aux cheveux lissés. Les volets métalliques étaient relevés, mais la vitrine arborait un panneau à louer. Il entra dans le magasin suivi d’un de ses hommes.

Dans la cave humide et mal éclairée, un homme en sous-vêtements attaché sur une chaise pleurait et suppliait. Il était terrorisé, sentait la peur, la sueur et visiblement avait souillé son caleçon. Aaron le dévisagea sans la moindre émotion, s’adressant à un autre homme debout dans un coin.

« C’est lui ? »

« Ouais... Je vous le laisse, je vais m'en griller une. Quand vous aurez fini, appelez-moi. »

Il attendit que l’homme soit en haut des escaliers avant de parler à M. Boisselot.

« Bonjour Emeric... Je peux vous appeler Emeric ? »

« Oui, je... Pas de problème ! Tout ce que vous voulez ! »

Une amertume envahit Aaron. Une frustration sournoise, comme un manque. Son esprit tourna quelques instants et, finalement, cela lui revint.

« Oui qui ? »

Le prisonnier, le fixait, les pupilles dilatées par la peur, la morve coulant de son nez jusqu’au menton. Aaron répéta :

« Oui qui ? »

« Oui… Monsieur. »

« Voila, vous voyez, si vous restez coopératif, tout va bien se passer. Nous, tout ce qu’on veut c’est savoir à qui vous louez l’appartement du quatrième au 88 de la rue Myrha. »

Emeric le regarda d’un air ahuri et Aaron fit un signe à son collègue qui gifla l'homme si fort qu’il lui fendit la lèvre.

« Attention ! Mon costume… Je reprends Emeric, et je veux que tu sois réactif ! C’est important : le temps est limité. Si tu te trompes, c’est Augustin qui s’occupe de toi. »

Le prisonnier pleura de plus belle, bredouillant d’une voix brisée par l’angoisse.

« J’ai rien fait de mal, c’est pas moi, je sais pas ce qu’elle a fait mais j’ai rien fait moi ! »

Haussant la voix, Aaron coupa Emeric.

« Qui ça, elle ? »

« C’est cette nana, une blonde vulgaire, elle s’est ramenée et m’a loué l’appart ! Elle y va jamais ou presque. J’ai pensé le louer en douce mais… Elle m’a fait peur... Fallait voir sa dégaine ! Elle était en rangers avec un de ces blousons en toile ! Franchement elle faisait tueuse en série… Ou chais pas…. Fin flippante quoi ! »

« Un bomber ? »

« Ouais c’est ça ! Et elle est super carrée, on dirait un mec je vous jure ! Elle avait besoin d‘un appart’ et en ce moment le locatif dans le coin, ça marche pas fort… »

Aaron regarda les effets personnels de l’homme : rolex, chevalière en or, pince à billet bien garnie…

« Elle payait comment ? »

« En liquide ! Tous les 6 mois, la main à la main. »

Merde. Mais c’était prévisible. Enfin, ça valait la peine de demander. Il poursuivit :

« Comment tu la contactais ? Un numéro ou quelque chose ? »

« C’est elle qui me contactait : elle voulait pas me donner son numéro et moi… »

« Toi tu ne la déclarais pas… Je vois. Bref : une blonde, mauvais genre, costaude. Et sa voix ? »

« Ben heu, je sais pas, une voix de femme, je veux dire un peu grave peut-être... J’en sais pas plus je vous le jure ! »

Aaron se cala sur sa chaise. Le prisonnier avait visiblement peur d’eux. Il avait déjà mené ce genre d’interrogatoire et il savait percevoir le mensonge, mais on ne savait jamais. Il se tourna vers Augustin.

« Je te le laisse. Vérifie s’il ment. Je te donne 20 minutes : on se retrouve en haut. »

Il monta les escaliers tandis qu’Augustin sortait une pince coupante de sa poche. Le pauvre type serait mort avant même l’arrivée de son équipe : jamais de témoin. C’était la règle. Rien de personnel : il laissait ces jobs aux vrais salopards. Lui ne s’abaissait pas à ça : il n’était pas une de ces brutes. Quinze minutes plus tard, l’homme remontait en essuyant ses mains pleines de sang, l’air déçu.

« Il a clamsé patron... Fait chier. J’aurais pensé pouvoir le travailler un peu plus... Aucun respect pour le boulot bien fait de nos jours. Enfin, bref : je pense qu’il disait la vérité. Il savait que dalle. »

Au moins, ils avaient eu une description, sommaire mais intéressante.

Une femme baraquée... Encore une lesbienne frustrée de pas être un mec.

Il détestait ces sales gouines qui n’avaient juste jamais rencontré un vrai mec qui les faisait grimper aux rideaux.

« Bon allez, on y va. Deux équipes : une par devant, une par derrière. Je reste dans le van et je surveille les alentours. Je vous suis avec vidéo et on avance tranquille. Je n’ai pas de trace thermique dans l’appart’, mais on ne sait jamais… »

Il était neuf heure, soit trente-trois heures après le vol : le temps pressait. A l’arrière se trouvaient Glouton Un et Deux, tandis que Glouton Trois et Quatre entraient par devant. L’immeuble était miteux, les murs sales et répugnants, sentant l’urine et l’alcool bon marché avec quelques fragrances de marijuana.

Les deux groupes faisaient jonction. Il les suivait grâce aux caméras embarquées et, dans le même temps, le drone lui offrait un point de vue imprenable sur les toits et la cour. La progression se faisait sans heurts : pas d’ennemi, pas de fuyard. Parfait, un jeu d’enfant ! Pourtant, quelque chose inquiétait Aaron : Barnes, même s’il n’aimait pas l’admettre, n’aurait pas foiré devant un dodu.

« On est devant la porte, monsieur. »

« Ok, repérage en câble optique et l’équipe à couvert. »

L’ombilical passa sous la porte, révélant un studio sordide et inhabité avec quelques meubles sans valeur hormis un ordinateur un peu âgé sur une table. Un frisson parcourut le dos d’Aaron : tout était trop facile…

« Glouton Un, vérifie la porte : regarde si elle est piégée. »

L’homme s’exécuta. La peinture de la porte était écaillée : le seul danger serait de choper le tétanos ou la gale, considérant la propreté de l’endroit. Il hésita : personne dedans, pas de pièges…

« Ok, vous pouvez entrer : inutile de squatter le palier. »

Glouton Deux crocheta la serrure, un modèle un peu plus solide que celui des autres portes de l’étage.

Les hommes entrèrent silencieusement et refermèrent la porte, à l’étroit dans la pièce.

« L’ordinateur est allumé patron. »

Cela confirmait les informations de Locke. Cette aguicheuse avait donc raison... Il ne restait plus qu’à vérifier les données et si elles avaient été transmises…

« Allez les gars, on fait du propre : Glouton Quatre tu te branches, tu récupères les infos et tu les ramènes. Les autres, vous restez en... »

Ses dernières instructions furent coupées net : quelque chose avait explosé. Le fauteuil était piégé : un truc à pression qui avait pulvérisé le bas-ventre de Glouton Quatre alors que des débris métalliques fusaient au travers de la pièce en mutilant les autres. Une seconde explosion dévasta l'appartement, ne laissant aucune chance aux survivants.

En une fraction de seconde, toute son équipe et ses espoirs furent balayés. Il devait se tirer, fuir. Jamais White n’allait le laisser s’en tirer. Il fallait réfléchir à une solution. Mais la seule chose qui lui venait à l’esprit, c’était ce cauchemar, ce pauvre type réduit à l’état de chose informe que l’on ne pouvait qu’à peine identifier comme humaine. Il démarra la voiture et se dirigea vers le périphérique, filant vers la grande banlieue.

****

Aaron fixait son verre, jouant négligemment avec en le faisant rouler entre ses mains. Le tintement du glaçon se répercutait dans la chambre d’hôtel où il attendait l'appel de M. White. Son regard s’arrêtait régulièrement sur le téléphone posé sur la table basse.

Comment avait-il pu en arriver là ? Après tout ce temps à gravir les échelons de l'Organisation ? Il avait rusé, trahi, utilisé. À chaque instant il avait saisi les opportunités qui s'offraient à lui et, enfin, on l'avait nommé à la tête d'une mission cruciale. L'occasion de briller, et il avait échoué.

Le verre heurta la table en bois avec un bruit sourd. Aaron s'était levé et observait la rue depuis la fenêtre au cadre en bois écaillé qui donnait aux maisons alentours un aspect cauchemardesque. Les rares passants se hâtaient sur les trottoirs défoncés, avalés par les déformations de la vitre avant de ressortir indemnes. L’absence de menace réelle ne parvenait pas à calmer son angoisse.

Il tentait de comprendre, se repassait le déroulement des événements. Quand est-ce que ça avait merdé ?

Repassant la scène dans sa tête, il visualisait les visages des clodos, essayant de se souvenir d’un détail, quelque chose qui aurait dû l’alerter, en vain. Les portes étaient restées closes. Peut-être un appel ? Non aucun n’avait été émis depuis le bâtiment.

Non. La cage d’escalier était calme, sale, mais il n’avait repéré aucune menace. Il se remémora l'appartement. Il ne comportait qu'une pièce : un frigo, une table où un ordinateur ronronnait, une chaise de bureau et, bien rangé dans un coin, un futon et un sac de couchage. L'endroit était visiblement une planque que personne n'avait visitée depuis un moment à en juger par la poussière.

Dans la chambre d’hôtel, la journée tirait à sa fin et la pièce baignait dans la pénombre. Il alluma la lampe mais les meubles en formica usé et patiné lui semblèrent encore plus déprimants en pleine lumière. L'esprit encore troublé par la violence et la soudaineté des événements, il se laissa tomber dans le fauteuil au tissu élimé, la tête entre les mains.

Aucun danger, aucune menace ! Ouais, sauf que ces cons sont morts. C’était lui qui les avait fait entrer. Il les avait guidés en sécurité et ils avaient déconné. Un expert en informatique, tu m’en foutras ! C’est de là que tout était parti, l’ordinateur. Ils n’avaient même pas vérifié. Putain ! C’était leur job à eux ! Pas de dégâts en dehors de l’appartement, cette blonde, c’était une pro.

L’impuissance du moment lui restait encore comme une boule dans la poitrine qui l’oppressait. Il n'avait rien compris : tout s'était déroulé comme un cauchemar dont il ne sortait pas. Distraitement, il faisait claquer un élastique passé au poignet, faisant virer la peau au rouge sans qu’il ne sente quoi que ce soit.

« Comment j’aurais pu… Je pouvais pas savoir... C'est de leur faute ! Les cons. »

Il savait que ses hommes avaient agi comme il fallait : après tout, ils avaient suivi ses ordres.

« Saloperie d'Organisation ! Je pouvais pas deviner, j'ai fait avec ce qu'ils m'ont donné ! Pas ma faute si White ne m’a pas donné les informations qu'il fallait ! »

Un frisson lui glaça le dos, une angoisse à l'idée d'avoir été entendu. Il regarda tout autour de lui, la boule dans la poitrine encore plus pesante qu'un instant avant si c'était possible. La pièce n'avait pas changé. Il croisa son regard dans le miroir tâché de l'armoire : il avait l'air d'une putain de proie.

« Barnes... Le fumier, ça pouvait être que Barnes ! Quel con je suis, ça ne peut pas être White… »

Un rire nerveux secoua Aaron. Il monta le thermostat du radiateur en fonte : il était gelé, et pourtant il suait abondamment. Le tic-tac de la pendule en émail lui tapait sur le système. Il saisit son verre quand l'aiguille des heures émit un bruit sec : la pendule et le verre heurtèrent le sol dans un fracas assourdissant.

« Marre-toi, Barnes ! Mais tu m'auras pas comme ça ! Je leur dirai, tu verras ! Je t'aurai, salopard ! »

Ce fumier devait bien se marrer : il l'avait laissé se jeter dans la gueule du loup. Dégager un concurrent... Un malin, ce Barnes. Son équipe avait été balayée pour rien. Il s'en foutait, les hommes étaient remplaçables... En revanche, sa carrière risquait de se terminer dans cette chambre minable.

La sonnerie du téléphone le figea sur place. Il fixa le combiné en plastique noir comme s'il s'agissait d'un animal prêt à mordre. Le timbre de l’appareil résonnait, assourdissant comme un rire en cascade ou un hallali funèbre. D'une main qui tremblait bien trop à son goût, il décrocha.

« Aaron. »

Au moins, sa voix ne trahissait pas son état. Il fallait qu'il garde le contrôle mais le rire de ce maudit téléphone le harcelait, imitant celui de Barnes, résonnant dans la pièce, s’insinuant dans son esprit.

« Monsieur White est fort mécontent, Aaron. Il aime le travail discret. On vous avait pourtant confié une mission simple... »

Une sueur froide inonda son dos : M. White avait confié son cas à M. Joshua. Les ombres semblèrent bouger autour de lui. Aaron sentit son pouls s’accélérer. Nerveusement, il se tourna vers la fenêtre. Les maisons difformes dansaient devant lui, hilares.

« Allons, Aaron... Vous avez l'air nerveux. »

Tout son corps se raidit : il le voyait, là, maintenant. Quelqu'un l'observait, le doigt sur une gâchette : il allait mourir dans cet hôtel qui sentait le moisi et le renfermé.

« Vous ne dites rien ? Vous avez déçu Monsieur White : il avait tellement d'espoir pour vous... »

« C'est Barnes ! Il a dissimulé des informations ! C'est obligé ! Je n'ai pas commis d'erreur. »

« Je ne porte aucun jugement, Aaron. Vous savez comme Monsieur White nous aime. Comme ses enfants. Et il tient à ce que ses enfants les plus chers reçoivent une éducation. C'est important, l'éducation. »

L’œil dans son viseur, le visage de Joshua restait impassible. Il retint son souffle et caressa la gâchette dans un geste d'une surprenante douceur. Le projectile traversa l'espace le séparant de sa cible avec une précision parfaite, à peine ralenti par la vitre, et heurta la pommette gauche du visage d’Aaron en tailladant les chairs et l’os. La pièce se remplit de son cri tandis que les esquilles lacéraient sa joue. Le tir avait endommagé l’œil mais rien de définitif : il en serait quitte pour une guérison lente et une douleur chronique autant que lancinante.

Aaron s'effondra, cloué au sol par la douleur, les mains sur le visage, en lâchant le combiné. Il vivait encore ? Sa main renversa un vase en cherchant à saisir une serviette et l’appuya en tremblant sur sa blessure. C’est là qu’il le vit : un point rouge. Il tournait doucement sur lui-même. Aaron se figea : la lumière fit de même.

Il est là, en personne. C’est pas juste un sniper, c’est lui…

Il eut l’impression que la température avait chuté brutalement. Glacé, il observait sa respiration devenir vapeur, s’effilochant lentement.

Le point rouge s’arrêta sur sa main : il la retira vivement, le cœur battant. La lueur se remit en mouvement, narquoise. Elle glissa vers le combiné au sol sur lequel elle s’arrêta, tournant sur elle-même patiemment. Aaron, la gorge sèche, dévoré par la peur avilissante de la mort, saisit le combiné couvert de son sang : elle tremblait tellement ! Incapable de faire cesser le phénomène, il saisit le combiné et l’apporta à son oreille.

« Monsieur White vous laisse une ultime chance : la prochaine fois, la punition viendra de lui. Vous restez en attente : il semble que la situation ait évolué. La prochaine fois, n'échouez pas. »

L’homme avait raccroché. Aaron s'allongea sur le dos : ses nerfs le lâchaient. Il pleurait et riait alors que la serviette s'imbibait de sang. Finalement, la rage monta en lui. Au-delà de la volonté de survivre, il avait atteint une zone ou n'existait plus que la vengeance.

Après ce qui lui sembla des heures, il trouva la force de se relever. D’un pas mal assuré, il se rendit jusqu’au petit évier fendu à l’émail sale et écaillé. Le miroir lui renvoyait l’image de son visage plein de sang et de son œil tuméfié et fermé. Il fit couler de l’eau et nettoya la plaie.

Ses gestes étaient lents et mesurés. Il lui restait une chance, et tout était clair désormais : il devait se venger. Détruire celui qui l’avait piégé.

Mais avant tout, il devait quitter cet endroit. Le jour n’était pas encore levé quand il descendit calmement les escaliers étroits et s’arrêta dans le hall. Sans bruit, il força la porte du bureau pour y trouver une trousse de soins et les clés de la cave. Quelques minutes plus tard, une violente explosion secouait le bâtiment alors que la réserve de fuel explosait. Personne ne survivrait, personne ne parlerait de lui. Aucune trace.

Sa voiture le conduisit vers les faubourgs de la ville. Les lumières de l’autoroute baignaient la nuit agonisante dans une lumière orangée et blafarde. Il fallait que tout reprenne un sens, que tout rentre dans l’ordre. Il devait oublier son humanité pour atteindre son but, ne négliger aucun détail, retrouver sa vie. Désormais, il n’était qu’un outil acéré, et il le resterait tant que ce salaud n’aura pas payé. Pour lui-même, ou bien comme une prière, ou un vœu sacré, il lâcha d’une voix morne et sombre :

« Barnes, j’arrive. »

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