Chapitre 3 (quatrième partie)
Durant deux jours, ils ne quittent guère les hommes de Bosserin pour les aider. Très vite cependant, Olaf a pu estimer qu'ils seraient prêts à partir dans les délais qu'il préconisait. Le soir du deuxième jour, après une journée bien remplie et après avoir pris un peu de repos, Owen redescend dans les jardins. Il y croise vite l'homme qui parlait avec la jeune reine, la veille au matin, et comprend qu'il s'agit de Maître Gafori, le jardinier en chef. Il le salue, l'homme lui manifeste un profond respect et, ensemble, ils cheminent dans les allées, Gafori parlant avec enthousiasme, répondant volontiers aux nombreuses questions du jeune homme. Ils s'arrêtent finalement auprès d'un grand buisson, portant de petites fleurs blanches très odorantes.
- Cet arbre me rappelle un semblable qui poussait près de mon village, quand j'étais enfant, dit Owen. Comment l'appelez-vous ?
- L'Arbre des Nécessiteux. Sa sève a la particularité de soigner certaines fièvres et le parfum de ses fleurs apaise les tourments. Lorsque la reine était enfant, Dame Hilayna demandait souvent à ce qu'une branche soit disposée dans un vase, dans sa chambre, pour l'aider à s'endormir.
- Avais-je donc tant de mal à trouver le sommeil, Maître Gafori ? demande une voix douce derrière eux.
Surpris, Owen et Gafori se retournent et saluent respectueusement la reine, suivie d'une seule de ses servantes, Nijma.
- Majesté, pardonnez-moi d'avoir raconté cette anecdote à Maître Owen, répond humblement le jardinier.
- Vous êtes pardonné, Maître Gafori, car j'aime toujours entendre les histoires que vous inspirent nos jardins et vos plantations. Ainsi, Maître Owen, vous avez croisé la route de ce redoutable beau parleur, sourit-elle en direction du Gardien.
- En effet, votre Majesté, répond-il en lui souriant en retour, et j'ai grand plaisir moi aussi à l'écouter.
- Notre Arbre des Nécessiteux vous interpelle donc ?
- Il ressemble à un arbuste qui poussait près de mon village, quand j'étais enfant. Mes souvenirs sont lointains, mais j'en ai gardé certains bien nettement en mémoire.
- Votre village est loin ?
- Il l'est, répond-il.
- Y êtes-vous retourné ?
- Jamais encore. Mais je sais les miens en bonne santé et heureux, cela me suffit.
- Ainsi, vous êtes loin des vôtres..., dit-elle en reprenant sa promenade.
Gafori et Nijma les suivent, à quelques mètres en arrière. Avec un Gardien auprès d'elle, ils peuvent se permettre de laisser la reine à une petite distance, lui octroyant ainsi un moment d'intimité auquel elle a rarement droit.
- Je ne le suis pas vraiment, répond le jeune homme en calant son pas sur celui de la souveraine. Etre Appelé signifie s'éloigner un temps des siens, de sa famille, mais c'est aussi pour devenir proche de tous, et se mettre au service de notre Ordre.
- N'est-ce pas une charge trop lourde ? interroge encore la jeune fille.
- Et bien, je ne l'ai jamais considérée comme telle, même s'il m'est arrivé de douter, parfois, de pouvoir devenir un Gardien. Car la formation est longue, exigeante.
- Cela fait-il longtemps que vous l'êtes ?
- Depuis moins longtemps que vous régnez, Majesté.
- Mais cependant, vous connaissez le poids de cet engagement et de ce lien avec votre Ordre.
- Oui, j'en ai conscience. De même que vous avez conscience de votre propre engagement auprès de votre peuple.
La jeune souveraine ne répond pas immédiatement. A cet instant, l'allée sur laquelle ils cheminent tranquillement se rétrécit pour former un passage entre deux haies de chèvrefeuilles et de seringas. Owen s'efface pour la laisser passer, prenant toujours soin de ne pas la toucher. Elle sourit légèrement.
- Passez devant, Maître Owen, des fois qu'une mauvaise rencontre m'attendrait au bout de cette allée.
- Auriez-vous quelque chose à craindre au cœur de vos propres jardins ?
- Je ne le pense pas, mais il ne convient pas que je m'engage la première...
- Soit, dit-il en passant devant elle.
Elle le suit et ils arrivent dans un espace plus dégagé où de magnifiques rosiers croulent sous des fleurs odorantes.
- La roseraie est un des trésors de Maître Gafori, précise la jeune souveraine en jetant un regard en arrière alors que le jardinier et sa suivante s'approchent. Mais venez, ajoute-elle avant qu'ils ne les aient rejoints, je vais vous montrer une de mes fleurs préférées.
Ils longent la roseraie, sans s'engager dans les petites allées qui la composent et qui permettent d'approcher chaque rosier. Le long d'un vieux mur de pierre, d'un mètre de hauteur environ, pousse un arbuste qui produit des fleurs ressemblant à des roses, mais dont les pétales évoquent un papier léger, soyeux. Leur cœur est jaune, lumineux, et les pétales sont d'un rose assez soutenu.
- J'aime celles-ci pour leur beauté, leur délicatesse, dit Kaïra. Mais Gafori sait aussi combien j'aime le parfum des roses et, pour rendre ce petit endroit plus agréable pour moi, il fait pousser un vieux rosier qui, lui, embaume.
- Votre maître jardinier a beaucoup d'idées, dit Owen en percevant à son tour le parfum plus soutenu des roses anciennes.
Il va pour ajouter quelque chose, mais un petit pas rapide se fait entendre et la jeune reine tourne la tête vers le palais. Un instant, une ride se creuse légèrement entre ses sourcils, mais s'efface avant même que la personne qui arrive n'apparaisse à leurs yeux. C'est un des jeunes gardes.
- Majesté, dit-il en s'inclinant profondément devant elle, Dame Hilayna vous demande.
- Bien, je rentre. Allez.
Le jeune garde fait demi-tour et repart plus calmement qu'il n'est venu.
- Merci pour ces quelques minutes de promenade, Maître Owen, dit-elle doucement en regardant le jeune homme. Le devoir me rappelle maintenant. Nous nous reverrons ce soir, au dîner.
- Tout le plaisir était pour moi, Majesté, répond-il en s'inclinant légèrement. Je dois retrouver Maître Olaf également.
**
En milieu de journée, deux jours plus tard, Bosserin annonce à la reine que les préparatifs sont terminés. En accord avec Olaf et Owen, le départ est prévu le lendemain matin. N'ayant rien de particulier à faire, une fois le dernier Conseil tenu, Owen décide de se promener un peu dans la ville. Il n'en a guère eu le loisir jusqu'à présent, le seul moment de détente qu'il ait pu s'offrir ayant été la découverte des jardins. S'il a croisé nombre d'Aériens et bien entendu d'Humains, il n'a pas vu beaucoup de Delphiniens et souhaite aller à leur rencontre. Il se dirige alors tout naturellement vers le port. Quelques embarcations y sont amarrées, sortes de grandes barques à fond plat. Une certaine activité y règne et il mesure la variété des échanges entre les deux populations. Il observe un moment, puis reprend sa marche le long du quai. Celui-ci se termine en pente douce et donne sur une belle plage de sable doré. Une scène qui lui apparaît comme insolite s'y déroule et, intrigué, il s'approche.
Plusieurs jeunes Aériens planent au-dessus de la plage où sont regroupés des enfants humains. Dans l'eau, proches du rivage, se trouvent aussi des petits Delphiniens. Une seule adulte est présente, une Aérienne. Elle s'interrompt en voyant s'approcher le Gardien.
- Les enfants, dit-elle, veuillez saluer Maître Owen, Gardien des Origines, qui nous fait l'honneur de nous rendre visite.
Les visages se tournent tous vers lui et les enfants saluent en un murmure respectueux. Il est habitué à ces manifestations humbles, il sait que sa condition de Gardien incite au respect et qu'il émane de lui une autorité qu'il ne contrôle pas vraiment. Il répond par un large sourire au salut des enfants et demande :
- Puis-je rester avec vous ?
- Bien volontiers, Maître Owen, répond l'Aérienne. Je suis Lénora et j'enseigne aux enfants les liens qui nous unissent en un seul peuple. Voulez-vous écouter cette histoire ?
- Oh, avec plaisir, répond-il en s'asseyant avec souplesse sur le sable.
Les enfants sourient et reportent leur attention vers Lénora. Elle poursuit son récit, rappelant les circonstances qui ont amené leurs trois peuples qui vivaient proches, mais s'ignorant le plus souvent, à s'unir et à mieux se connaître. Owen écoute avec intérêt, mais aussi avec une certaine admiration. Ce que les peuples de Rankir ont réalisé est une œuvre digne de respect et il comprend vraiment à cet instant l'intérêt que le Grand Maître et l'Ordre des Gardiens leur portent. Là aussi s'explique l'inquiétude du Grand Maître pour la stabilité et la paix pour ces peuples. "Mais de ce que j'ai perçu, pour l'heure, la reine, malgré sa jeunesse, est tout à fait capable de mener leurs destinées. Elle écoute les avis des uns et des autres et prend les décisions en conséquence, et ce sont les plus sages. Certes, elle n'a sans doute pas l'esprit à la stratégie politique, mais elle aime les siens et se dévoue pour eux."
Alors que se termine le récit, Lénora invite les enfants à revenir deux jours plus tard : demain sera une journée particulière puisqu'ils assisteront au départ des leurs. Alors que les enfants Delphiniens replongent au cœur des eaux, Lénora raccompagne les petits humains et les Aériens vers la cité. En s'engageant dans une ruelle remontant du port, ils croisent un autre Aérien. C'est Limur, le compagnon de Lénora et un des meilleurs archers qui soient.
- Maître Owen, dit-il, je suis heureux de vous croiser. Je serai responsable des gardes et archers Aériens, lors du voyage royal. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'être présentés, mais j'ai vu ce matin Maître Olaf. Nous avons convenu d'un certain dispositif dont nous aurons l'occasion de parler en détail en chemin, pour assurer le bon déroulement du voyage.
- Je ne doute pas que Maître Olaf ait pu trouver une solution convenable, répond Owen avec sincérité. La plus grande difficulté résidera dans la traversée du royaume de Salarin.
- C'est ce que nous pensons aussi. Je connais assez bien ce royaume, car il est frontalier du nôtre et j'ai longtemps assuré la sécurité de nos propres frontières. Mais nous étions en paix, et j'ai pu faire de nombreuses incursions en ces terres.
- Alors votre connaissance des lieux nous sera précieuse.
Ils continuent à deviser avec plaisir en chemin, se séparant seulement lorsqu'ils arrivent près du palais.
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