Chapitre 7 : Si une rose pouvait parler (première partie)
Nemna a vu revenir avec soulagement sa souveraine. Elle ignorait les raisons pour lesquelles la jeune femme voulait absolument sortir, seule. Elle n'a pas pu lui désobéir, mais Nemna s'inquiète. Elle n'aurait jamais pensé que ce voyage serait si dense, si périlleux aussi, que sa reine courrait autant de dangers. Elle aimerait déjà être à Petimont... Non, en fait, Nemna voudrait déjà être de retour en Rankir.
La nuit a été calme pour tous et, au petit matin, un franc soleil perce à travers les feuillages, les invitant à repartir avec entrain. Même si Kaïra souffre moins que la veille, ils avancent cependant lentement. Et c'est en fin de matinée qu'ils voient se dessiner l'orée de la forêt. Chacun sent son cœur s'alléger, en espérant que leurs amis seront au rendez-vous. Owen fait, par prudence, demeurer leur petite troupe sous le couvert des arbres. Il a convenu avec Lorrek et Limur que tant que le convoi mené par Olaf n'apparaîtrait pas, ils resteraient ainsi sous la protection des arbres. Mais la plaine qui s'étend devant eux est vide, et le demeure jusqu'au soir. Owen décide alors de monter le campement dans la forêt. Limur se propose d'attendre la nuit pour trouver l'autre chemin et le suivre pour voir si leurs amis sont en approche. Lorrek, bien que soucieux, accepte sa proposition et Owen aussi. Une fois le campement endormi, et en attendant le retour de Limur et de l'autre Aérien qui l'accompagne, il consulte une nouvelle fois son disque qui demeure clair. Pour lui, tout va bien. Mais son calme n'a pas rassuré Lorrek et il sait Kaïra inquiète pour les siens.
Il passe le relais en milieu de nuit, à un soldat, alors que Limur et son ami ne sont toujours pas revenus. Ceux-ci ne refont leur apparition qu'un peu avant l'aube. Owen devine leur présence avant même qu'ils n'aient atteint le campement et se relève pour les attendre.
- Ami, j'apporte de bonnes nouvelles, dit Limur. Les nôtres sont en chemin, mais à encore une bonne journée de marche. Ils ont mené un dur combat contre une bande de brigands. Mais des hommes de Bramé les ont aidés. Ils revenaient de la frontière et ont croisé leur chemin. Cependant, de ce que m'en a dit Maître Olaf, il est sur ses gardes. Il n'a aucune confiance en ces hommes. Il fait avancer le convoi lentement, car il y a des blessés. Mais il vous demande de poursuivre la route avec la reine. Nous sommes à deux jours de la frontière. Une fois que nous serons à Petimont, elle sera totalement en sécurité et nous n'aurons plus à craindre de traîtrise de la part des hommes de Bramé.
- Comment vont Dame Hilayna, le conseiller Van'dal...
- Ils vont bien, nous pourrons rassurer notre souveraine. Nuka aussi va bien.
- Bien, la reine se repose encore. Nous la tiendrons informée de ces nouvelles à son réveil. Le conseiller Lorrek se trouve par là, dit-il en désignant des arbres. Il sera heureux de vous entendre.
Limur comprend qu'ainsi Owen lui laisse la liberté d'en informer son chef, mais que c'est aussi à lui de transmettre les souhaits, pour ne pas dire les ordres, de Maître Olaf. Comme si Owen préférait qu'un autre que lui annonce au Premier Conseiller qu'il faut continuer sans attendre. Alors que Limur s'envole vers l'arbre, Owen retourne près du feu, le ravive. Un à un, les soldats de l'escorte se réveillent. Lorsque Kaïra apparaît à son tour, elle devine que de bonnes nouvelles l'attendent. C'est Lorrek qui l'en informe, Limur confirmant les dires du Premier Conseiller, apportant parfois un détail, une précision à une question de la jeune souveraine. Mais quand Lorrek lui fait part de la demande d'Olaf de poursuivre la route sans les attendre, Owen la voit se tourner enfin vers lui :
- Maître Owen, que pensez-vous de cela ? Devons-nous les attendre, pour voyager groupés, ou partir pour rejoindre le plus rapidement les frontières de Petimont ?
- Je suis tenté de suivre les conseils de Maître Olaf, répond-il avec autorité. Je soupçonne une sombre machination derrière l'arrivée providentielle des troupes de Bramé. Peut-être ont-ils acheté ces brigands pour attaquer nos amis plutôt que de le faire eux-mêmes ?
- Mais nous voyagerons seuls, et cette fois, nous ne bénéficierons plus de l'abri de la forêt, intervient Lorrek, favorable au fait d'attendre le convoi.
- C'est un risque, en effet. Limur, vous qui avez parcouru la région, vous me disiez que nous en avions pour environ deux jours de voyage ? demande Owen qui connaît parfaitement la réponse, mais veut donner à Kaïra tous les éléments pour prendre sa décision.
- Deux jours, en tenant compte du fait que vous êtes souffrante, Majesté, répond l'Aérien. Ce qui signifie qu'en partant rapidement, nous n'aurions plus à passer qu'une seule nuit en terre de Salarin. Alors qu'attendre nos amis ne nous mènerait, au mieux, en Petimont que dans trois jours.
Kaïra sent peser les regards sur elle. Sa décision sera lourde de conséquences : non seulement, elle doit évaluer le risque pour elle-même, continuer avec une petite escorte ou attendre le convoi dans lequel vont se trouver des hommes de Bramé, qui pourraient à nouveau tenter quelque chose contre sa personne. Mais aussi accorder plus de confiance aux Gardiens qu'à son propre Premier Conseiller, ce qui serait lui porter un désaveu cuisant. Elle se sent partagée entre ces deux choix, et même si ce n'est pas la première fois qu'elle a à trancher, il s'agit là d'une très importante décision.
Elle fait quelques pas, pour s'éloigner du cercle des hommes rassemblés, regarde vers l'orée de la forêt. Elle sent leurs regards peser dans son dos. Elle se retourne, porte un instant ses yeux sur la haute silhouette d'Owen qui se tient droit, appuyé sur son épée, avec toujours cette apparente décontraction, ce calme dont il ne se départit pas. A ses côtés plane Lorrek qu'elle perçoit anxieux, alors que les Aériens sont réputés pour être des gens plutôt sereins. Pourtant, ces deux hommes s'opposent. Pour son bien, elle le sait, autant chez l'un que chez l'autre.
- Maître Olaf a la responsabilité de tout notre convoi, dit-elle. Il a aussi des connaissances que nous ne possédons pas, et certainement a-t-il perçu mieux que quiconque la fourberie des hommes de Bramé. Même si une dizaine d'hommes supplémentaires leur serait un renfort appréciable, je ne pense pas qu'ils aient absolument besoin de nous pour faire face à ces alliés dont on doit se méfier. Il nous demande de continuer sans attendre. Nous allons le faire. Mais nous les attendrons dès que nous aurons franchi la frontière de Petimont. Et une fois que nous estimerons que j'y serai en sécurité, alors vous retournerez sur nos pas pour les rejoindre.
Ni Lorrek, ni Owen ne prononcent le moindre mot, mais chacun incline respectueusement la tête, prenant ainsi acte de la décision royale.
Tous s'activent alors à préparer le voyage et, bien vite, ils quittent le couvert des arbres, s'engageant à travers la vaste plaine qui s'étend jusqu'à Petimont. La petite troupe avance en formation serrée, les trois archers et Lorrek assurant une veille vigilante en hauteur. Owen les mène, par la route qui lui semble la plus directe possible, et, le soir venu, sans avoir rencontré le moindre souci, ils ne sont plus qu'à six lieues environ de la frontière. Par prudence, et en accord avec Lorrek, Owen les fait arrêter près d'une rivière, loin de toute habitation. Il se méfie des villageois qui pourraient être tentés de prévenir les hommes de Bramé de leur passage. Etre tentés ou simplement agir sous la menace.
Et quand, enfin, le lendemain, peu après que le soleil a atteint son zénith, ils entrent en Petimont, tous, y compris Owen, sentent la tension les quitter. Désormais, leur souveraine est en sécurité.
Après avoir parcouru environ une lieue, ils voient s'avancer une petite troupe portant les couleurs de Petimont. Un soldat, grand, aux cheveux sombres, à la barbe fournie, s'approche en souriant et se présente aussitôt :
- Je suis le Capitaine de la garde, Chobrouk. J'ai été mandaté par le roi Erandur pour accueillir ceux qui arrivent par Salarin. Puis-je savoir si vous vous rendez à la réunion des Régnants ?
- Bonjour, Capitaine. Je suis Maître Owen, Gardien des Origines, et j'escorte ici-même la reine Kaïra, du royaume de Rankir.
L'homme le regarde avec étonnement. Owen poursuit :
- Nous sommes peu nombreux, comme vous pouvez le constater, car nous avons dû scinder notre troupe en deux. Nous avions eu vent d'attaques possibles de la part de brigands par l'une des routes qui traverse la grande forêt de Chenu. C'est la raison pour laquelle nous avons fait passer la reine par un autre chemin et nous avons aussi décidé de venir sans attendre jusqu'à vous. Nos amis sont en arrière et, nous l'espérons, à seulement une bonne journée de voyage de nous.
- Je comprends, Maître Owen, répond Chobrouk avec déférence car il ne lui viendrait pas à l'esprit de mettre en doute la parole d'un Gardien des Origines. Je vais vous mener jusqu'à un poste avancé de notre armée. Vous y trouverez abri et repos, et vous pourrez y attendre le reste de votre escorte. A moins que vous ne préfériez poursuivre jusqu'à la ville d'Altassaïr, et alors, ce sera un honneur pour nous de vous conduire.
- Allons déjà jusqu'à votre garnison, dit Owen. Nous pourrons y parler tranquillement et la reine pourra prendre sa décision, après s'être reposée.
L'homme les guide alors jusqu'à un vaste campement militaire, construit dans la plaine. Il a envoyé deux hommes en avant et quand la petite escorte arrive, tout est prêt pour recevoir la jeune souveraine. Durant ces derniers moments du voyage, Owen a senti le regard de Kaïra sur lui, comme si elle voulait s'accorder encore la possibilité de le regarder en toute liberté.
Une fois arrivés, elle est conduite à ce que l'on pourrait décrire comme une petite demeure, très confortable, où elle peut dîner et se reposer. Pendant ce temps, Owen, Lorrek et Chobrouk discutent avec animation. Owen se dit prêt à repartir pour rejoindre Olaf, mais Lorrek l'en dissuade :
- Maître Owen, comme vous le savez, j'étais favorable à ce que nous attendions nos amis, en sortant de la forêt. Vous avez suivi les conseils de Maître Olaf et nous sommes arrivés sans encombre en Petimont. Mais vous devez toujours assurer la sécurité de la reine ! Vous devez rester ici. Moi aussi, car je ne peux pas non plus la laisser seule. Mais nous allons renvoyer Limur et les archers vers nos amis. Ils iront vite et pourront informer Maître Olaf que nous sommes arrivés en Petimont.
Chobrouk se permet alors d'intervenir :
- Je ne peux que renvoyer une bonne troupe à la frontière, mais pas la franchir, pour attendre le reste de l'escorte royale, dit-il. A moins de constater qu'elle rencontre des difficultés, nous ne pouvons entrer en Salarin.
- Faisons ainsi, alors, dit Owen.
**
C'est seulement le lendemain soir qu'arrive tout le convoi mené par Olaf. Les hommes de Bramé les ont quittés à la frontière, ils n'avaient aucune raison d'entrer en Petimont. Olaf, mais aussi Hilayna, Van'dal et Bosserin, ont bien compris qu'ils retournaient vers leur seigneur et maître pour les informer de ce qu'il était advenu dans la forêt. Olaf se demande déjà comment se passera le voyage retour... Mais, pour l'heure, il est soulagé de savoir la reine arrivée à bon port. Quand ils entrent dans le camp militaire, ils voient rapidement se dessiner la haute silhouette d'Owen. A ses côtés se tient Kaïra.
- Ils sont donc enfin là, Owen, dit Kaïra. Cette partie du voyage aura été vraiment pleine d'aventures. J'espère qu'il n'y a pas de blessés graves, ni de morts parmi les nôtres.
- Le combat n'a pu se dérouler sans victimes, dit doucement Owen. Mais n'ayez crainte que Maître Olaf a pu leur apporter des soins appropriés. C'est un très grand guérisseur, parmi les nôtres.
- Vous l'êtes aussi, Owen.
- Comme nous tous. Mais Olaf possède une science des plantes très étendue.
- Owen, avant qu'ils ne nous rejoignent, je voudrais vous demander quelque chose.
- Je vous écoute.
- Ne parlez pas de ce qui m'est arrivé.
Il la regarde avec étonnement.
- Cela me semble difficile. Vos gens, et à commencer par vos suivantes, ne se tairont pas.
- Je le sais. Je veux dire... vous pourriez ne pas tout dire. Les rassurer sur ma santé.
- Oui, bien entendu. Vous voulez que je minimise le danger que vous avez couru ?
- Oui. Dame Hilayna va connaître une peur rétrospective et je voudrais lui éviter de se faire trop de souci.
Owen sourit doucement en la regardant. Puis il jette un œil autour d'eux et, comme les plus proches soldats sont hors de portée d'oreille, il dit simplement :
- Je ferai au mieux pour rassurer Dame Hilayna, n'ayez crainte, Kaïra.
- Merci, ami, sourit-elle en retour.
L'arrivée du convoi interrompt leur conversation, mais Owen ressent fortement la façon dont Kaïra se retient de courir vers leurs amis. Son soulagement à savoir les siens enfin à l'abri est visible sur son visage et, pour une fois, elle laisse parler ses sentiments, ne cherchant pas à les cacher derrière l'attitude distancée qu'elle garde le plus souvent. Elle se reprend néanmoins bien vite.
Owen s'est dirigé droit vers Olaf qui sourit légèrement en le voyant s'approcher.
- Nous voilà enfin, Owen, dit le Gardien. Cela n'a pas été sans mal, mais nous sommes donc tous arrivés en Petimont. Limur nous a dit que vous aviez mis un peu plus de temps que prévu pour traverser, mais je suis soulagé et heureux de savoir que tu as réussi.
- C'était en effet plus difficile que je ne le pensais, mais moins que pour vous. Les hommes de Bramé n'ont pas fait de difficultés ?
- Ils nous ont quittés un peu avant la frontière, comme s'ils avaient hâte de retourner auprès du prince. Je n'ai eu aucune confiance en ces hommes. Cela cache quelque chose, Owen, nous devons rester prudents. Même si Bramé n'est pas ici, il peut avoir placé quelques hommes parmi la troupe qui accompagne le prince Galiané. Sans compter que ce dernier ne vaut guère mieux que son frère...
- J'ai appris depuis notre arrivée que le Grand Maître se trouve déjà au palais du roi Erandur, en Altassaïr.
- Bonne nouvelle. Combien de temps nous faut-il pour nous y rendre ?
- Une bonne journée. En partant tôt demain matin, nous y serons demain soir.
- Bien. Reposons-nous un peu, puis nous organiserons un Conseil.
- Olaf, je dois te dire quelque chose, cependant.
- Et bien, qu'y a-t-il ?
- J'ai affronté un sinuire.
- Un sinuire ? Dans ces contrées ?
- Oui. Il avait tenté de s'emparer de la reine. Je l'ai combattu sous l'eau pour lui faire lâcher prise. La reine a été légèrement blessée. C'est pour cette raison que nous avons mis plus de temps que prévu à traverser la forêt.
- Hum... Limur ne m'avait pas fait part de cela. Il m'a juste dit que vous avanciez plus lentement...
Le grand Gardien fixe son ami droit dans les yeux. Mais n'ajoute rien.
**
- Il a manqué de discernement ! Majesté...
- Je ne veux plus entendre le moindre mot à ce sujet !
Les yeux de Kaïra lancent des éclairs et, pour la première fois, Hilayna prend presque peur face à la jeune souveraine.
- J'ai fait l'erreur de sortir de la tente, pour marcher un peu. Je n'aurais pas dû sortir seule, je le savais parfaitement. Et Maître Owen est intervenu plus vite que n'importe lequel de nos hommes ! Lui seul pouvait combattre le sinuire !
- Mais...
- Cela suffit ! Nous avons à parler d'autre chose, maintenant. Je dois rencontrer le roi Erandur tout à l'heure. De ce que j'ai entendu dire depuis que nous sommes en terre de Petimont, presque toutes les délégations sont arrivées.
- En effet, reprend Hilayna avec raideur.
Elle n'a pas encore accepté que la jeune reine lui parle ainsi. Mais elle poursuit cependant :
- Ne manque plus qu'une délégation des Gamériens et une du pays D'Argan. Mais ils sont en chemin et ne devraient plus tarder, maintenant.
- Bien. J'aimerais aussi m'entretenir avec le Grand Maître. Mais je sais qu'il est fort demandé.
- Il le souhaite aussi, Majesté. Et nous devons préparer votre rencontre avec le roi. Je vais demander aux conseillers de venir.
Kaïra n'ajoute rien. Elle aurait aimé aussi pouvoir compter sur la présence d'Olaf et Owen pour cette discussion, mais sait qu'ils devaient retrouver le Grand Maître. Elle espère les revoir avant la fin de la journée.
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