Chapitre 12 (troisième partie)
Messiar repart avec sa délégation deux jours après avoir fait son entrée en Rankir. Un peu dépité de repartir aussi vite, il n'a pas non plus revu la reine. Pas directement. Il n'a fait que l'apercevoir se promenant la veille dans ses jardins, avec un homme un peu âgé, visiblement le jardinier. Il n'a eu comme interlocuteur depuis leur repas pris en commun que le Premier Conseiller, Lorrek. A aucun moment il ne s'est senti à l'aise, avec cette créature ailée, planant face à lui. Il avait l'impression de parler à un être immatériel. En y repensant, il ne peut réprimer un frisson.
"Quels êtres étranges, quand même… et les Delphiniens ! C'est encore pire… Ils n'ont pas de membres ou si peu… Comment peut-on considérer ces êtres comme nos égaux ? Nous sommes humains, supérieurs à eux !"
Même si Messiar n'est pas sans ignorer l'existence d'autres peuples, comme les Gronfalls notamment, jamais il n'a eu l'occasion d'en côtoyer de près. C'est aussi la première fois qu'il a à faire à des Aériens et à des Delphiniens. Il aurait préféré parler au conseiller Van'dal. Avec lui, au moins, il se serait senti à l'aise…
Et que dire de ce dragon de Dame Hilayna ? C'est certainement elle qui a oeuvré pour que la reine lui fasse transmettre rapidement sa réponse et les oblige ainsi à reprendre la route.
"Quelle vieille pie ! Je ne sais ce que la reine a répondu à mon suzerain, mais je ne reviens pas avec de bonnes impressions. Si seulement elle pouvait accepter ce mariage ! Galiané serait alors bien obligé de reconnaître sa défaite sans que nous ayons à prendre les armes… Mais elle a fréquenté Galiané à la réunion des Régnants. Se peut-il qu'elle le préfère à mon maître ? Galiané n'est qu'un arriviste sans vision politique. Avec lui, notre royaume ne fera que vivoter. Nous pouvons avoir de plus grandes ambitions ! Nous sommes l'un des principaux royaumes ! Nous pourrions parvenir à de grandes avancées ! Et le soutien de la reine de Rankir serait prépondérant. En unissant nos deux terres, nul ne pourrait nous résister ou s'opposer à nous… Je pourrais devenir un grand chef de guerre !"
Ruminant ainsi ses propres ambitions qui ne peuvent que coïncider avec celles de Bramé - du moins l'imagine-t-il - il chevauche vers la frontière de Salarin. Quand lui et sa troupe l'atteignent, un vent froid soufflant du nord les saisit. Une tempête de neige est proche. Leurs terres ne bénéficient pas du doux climat maritime qui baigne Rankir. Ils prennent abri et logement dans un village où se trouve déjà une petite troupe de soldats.
Les deux escortes s'évitent soigneusement : ce sont des hommes de Galiané.
**
Kaïra pensait être désormais plus sereine, maintenant que l'envoyé de Bramé avait quitté le palais, mais cette sérénité est bien vite entachée par l'annonce de la venue d'une autre délégation en provenance de Salarin. Cette fois, au nom du prince Galiané.
Elle est menée par Norik. Kaïra ne l'a jamais vu, mais Dame Hilayna ainsi que Limur se souviennent de lui. Ils ont eu l'occasion de l'apercevoir dans la délégation accompagnant Galiané. L'homme est tout aussi rusé que Messiar, mais sait mieux dissimuler ses propos, ses ambitions et celles de son maître. Mais son but est le même : obtenir la main de Kaïra pour son prince. Seulement… il va tenter de le faire d'une manière bien différente, moins franche, plus sournoise.
Et contrairement à Messiar, il révèle aussi plus de choses sur ce qui se passe désormais en Salarin. De par ses propos, Van'dal, Lorrek et Flonara comprennent que les troubles grandissent dans le royaume voisin. Des brigands séviraient toujours et, cette fois, pas uniquement dans les contrées du nord. Si le calme règne dans la capitale, il semblerait que le prince Bramé ait fait de Ménaru sa résidence, qu'il y ait regroupé des troupes nombreuses et bien aguerries, prêtes à mener l'assaut contre Sala pour prendre, par la force, le pouvoir.
- Nous souhaitons la paix, dit Norik en devisant avec les trois conseillers de la reine. Nous sommes un seul et même royaume, nous ne voulons pas la division.
- Pourquoi ne faites-vous pas appel aux Gardiens des Origines ? demande Van'dal.
- Mon maître l'a fait. Il attend leur venue et leur réponse. Leur soutien serait important. Par leur seule présence sur nos terres, ils peuvent éviter un conflit.
- La situation est vraiment préoccupante pour vous, intervient Flonara.
- Oui, elle l'est. Et c'est pourquoi mon maître, le prince Galiané, m'envoie vers vous et votre souveraine. Il a besoin de son appui, aussi. Il connaît les liens entre elle et l'Ordre des Gardiens, il sait combien le Grand Maître veille sur vous, quel importance vous revêtez à ses yeux, et cela est bien compréhensible : vous êtes pour nous tous, un exemple de paix et d'entente. L'Ordre des Gardiens a toujours soutenu votre royaume et à juste titre. Nul conflit ne peut naître d'une entente comme la vôtre ! Du moins, aucun d'envergure, car je suppose que vous avez des points de vue différents sur certaines questions politiques, mais vous savez en parler, les résoudre. Ce n'est hélas pas notre cas.
- Qu'attend exactement le prince Galiané de nous ? demande Lorrek.
- Il aurait besoin de votre intervention auprès du Grand Maître, de rappeler son désir de paix. Autant en son royaume qu'avec ses voisins.
- Il espère une alliance de notre part ? interroge encore Flonara.
- Sans vouloir vous obliger, mais il a besoin de votre appui, oui.
**
Kaïra accepte d'envoyer des messagers au Grand Maître, pour lui faire part de ses propres inquiétudes quant à la situation conflictuelle chez son puissant voisin. Elle confie cette mission à Limur et à un groupe d'archers : ils iront plus vite que des cavaliers et peuvent voyager autant la nuit que le jour. Avant leur départ, elle demande à Limur de venir la voir.
Elle le reçoit, seule, dans son petit salon, malgré la désapprobation de Dame Hilayna qui aurait aimé assister à l'entretien. La revêche dame de compagnie se dit qu'elle va devoir se faire une raison : sa jeune souveraine marque de plus en plus son indépendance. "Elle m'est toujours attachée, je le sais, mais elle ne se confie plus guère à moi. Pourtant, sa charge et ses devoirs sont lourds à porter. Je n'ai pas les prérogatives des conseillers, mais je connais notre monde presque aussi bien qu'eux. Sans vouloir interférer avec leurs attributions et leurs rôles, je pourrais parfois l'aider, pour des questions plus… privées. Certes, je dois reconnaître qu'elle a bien fait de refuser cette proposition saugrenue de mariage avec Bramé. Après ce qu'il a osé faire à Menaru ! Imaginer ce rustre poser les mains sur ma reine…" Elle secoue la tête avec force. Foi d'Hilayna, tant qu'il lui restera un souffle de vie, elle veillera à ce que cela n'arrive pas !
Et pendant que Dame Hilayna rumine de son côté, Kaïra confie aussi une mission un peu particulière à Limur.
- Cher ami, je vous confie une lourde responsabilité, en allant prévenir le Grand Maître de nos inquiétudes. Lorrek vous remettra avant votre départ des messages pour lui. Ne les remettez qu'à lui ou à Maître Olaf en qui nous pouvons avoir grande confiance.
- Je le ferai, Majesté. J'espère revoir Maître Olaf également, et lui transmettre de vos nouvelles.
- Merci. Vous lui transmettrez mon amitié et si vous le voyez également, vous ferez de même avec Maître Owen.
- Je n'y manquerai pas, ma Reine. Il est peut-être revenu de sa mission et se trouvera aussi au Conseil des Gardiens.
- C'est en effet possible. Faites bon voyage, Limur, et revenez-nous vite, porteur de bonnes nouvelles.
L'archer Aérien la salue avec respect et quitte le petit salon, sans remarquer le pli soucieux de la reine. Elle est cependant soulagée de pouvoir compter sur Limur.
Et sur sa discrétion.
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