Limur regagne Rankir avec les siens alors que l'hiver s'y achève et que déjà s'avance le printemps sur les Terres Océanes. Ils sont attendus avec impatience et à peine est-il arrivé au palais qu'on le fait appeler.

Il gagne la salle du Conseil où l'attendent la reine, les trois conseillers et Dame Hilayna. Après qu'il les a salués, Lorrek s'adresse à lui et lui demande :

- Alors, Limur, quelles nouvelles nous apportez-vous ?

- Nous avons fait le voyage aussi vite que possible, et le retour de même, mais les nouvelles que nous apportions ont amené le Grand Maître à tenir un Conseil des Gardiens. Celui-ci s'est déroulé sur plusieurs journées, j'y ai été appelé à deux reprises, pour exposer les demandes et les inquiétudes de notre Majesté. Quatre Gardiens sont finalement partis en Salarin, menés par Maître Olek et Maîtresse Akama.

- Qu'attend le Grand Maître de cette expédition ? demande Kaïra, très attentive à ce que lui rapporte Limur.

- Les Gardiens sont chargés d'entendre chaque partie, de trouver une conciliation et de faire en sorte que celui qui ne sera pas désigné roi ne soit pas pour autant perdant.

- Bien, dit Van'dal. Et leur mission doit durer combien de temps ?

- Cela n'a pas été précisé, en tout cas, pas à moi. Je crois qu'ils resteront en Salarin le temps nécessaire.

- Le Grand Maître a-t-il prévu d'envoyer un ou plusieurs Gardiens jusqu'à nous ? demande la reine.

- Non, pas pour l'instant. Mais j'ai vu Maître Olaf, Majesté. Il m'a confié que le Grand Maître lui avait demandé de rester au Conseil et de se tenir prêt à partir pour Rankir si nécessaire.

Kaïra ressent un certain soulagement à ces mots, mais ne peut s'empêcher de penser à Owen. Bien entendu, elle ne demandera pas directement à l'archer Aérien s'il l'a vu, elle espère simplement qu'il y fera allusion. Mais Limur poursuit en rapportant plus précisément les propos du Grand Maître, et c'est finalement Dame Hilayna qui ose poser la question bien présente à l'esprit de la jeune reine, sans pour autant s'en douter.

- Limur, avez-vous vu Maître Owen au cours de ce séjour ?

- Non, il n'était pas revenu de la mission que lui avait confiée le Grand Maître. Mais Maître Olaf m'a fait savoir qu'il l'avait réussie et qu'il se mettrait en voyage dès que l'hiver serait achevé. Car il était parti pour les Hautes Terres où l'hiver est si long.

Un voile sombre se lève dans les beaux yeux noirs de la reine, mais nul ne la regarde à cet instant et ne peut le remarquer. Son visage reste impassible, mais l'étau qui étreint son cœur se desserre un peu. Owen est vivant et bientôt sur le retour. Et cela lui semble être une nouvelle toute aussi rassurante que l'annonce de l'envoi d'une délégation en Salarin.

**

- Maître Gafori, comment se porte notre petit rosier ?

En ce doux matin, le lendemain du retour de Limur en Rankir, la reine Kaïra parcourt son jardin. Elle est suivie de Nemna et Nuka.

- Il a bien passé l'hiver. J'ai veillé avec soin sur lui, Majesté. Venez le voir, il promet déjà deux pousses vigoureuses.

- Ne devons-nous pas craindre pour lui un retour du gel ?

- Si certains soirs s'annoncent trop froids, je le protègerai, comme les jeunes pousses des fruitiers.

Kaïra sourit.

- Avons-nous choisi une bonne place ?

- Oh oui, Majesté, cela ne fait aucun doute ! Il est en bonne compagnie avec l'Arbre des Nécessiteux. Vous avez eu une belle idée pour cet emplacement.

- Vous verrez, à l'été, Maître Gafori, combien ses roses sont petites, mais ravissantes et parfumées. J'ai été très touchée que le roi Erandur m'en offre une pousse, alors que je lui avais fait une simple remarque à son sujet. Si un jour je dois retourner en Petimont, Maître Gafori, vous viendrez avec moi. Leurs jardins sont magnifiques, vous les aimeriez beaucoup !

- Je ferai ce voyage avec plaisir, Majesté, si la vie m'est favorable.

- Maître Gafori, vous m'êtes aussi précieux que Dame Hilayna ! Ne parlez pas déjà de me quitter...

- Pardonnez-moi, Majesté, dit le jardinier en voyant que sa remarque a chagriné la reine, je ne voulais pas vous rendre triste. Je vais bien, je vous rassure. Voulez-vous voir les autres rosiers ?

- Oui, volontiers. Et surtout, si celui que j'aime tant a lui aussi senti venir le printemps.

Kaïra jette un dernier regard au petit rosier ramené de Petimont, fils de celui-là même dont Owen lui avait offert une fleur. Fleur qu'elle a fait sécher et qu'elle garde précieusement dans un petit coffre en bois sombre.