Chapitre 16 : Siwu (première partie)
Après de longues chevauchées, rendues plus aisées grâce à un sol plus sec que dans les Hautes Terres, Owen voit enfin le terme de ce paysage monotone. Devant lui s'étendent de douces et belles collines, des vallées plus riantes et plus riches. Pour se rendre au Conseil, il lui faudrait les traverser, mais pour aller en Rankir, il doit seulement les longer et descendre vers le sud durant plusieurs journées, avant d'atteindre une belle et vaste forêt, royaume d'une population Nobol.
Les Nobols sont de véritables habitants des bois. Pas très grands mais très musclés, ils ont la particularité de connaître parfaitement la forêt. Certains villages sont d'ailleurs construits en partie dans les arbres. Vivant de récoltes de fruits, de la chasse de petits animaux, c'est un peuple parmi les moins nombreux des Humains. Ils sont très proches de l'Ordre des Gardiens, ayant joué un rôle important lors de sa création. Ils sont aussi très proches des Esprits, même s'ils n'ont pas accès à Leur monde. Disons plutôt que leurs légendes y plongent leurs racines.
Owen entre sans crainte en ces terres dans lesquelles il sait qu'il sera bien accueilli. Mais ce qu'il va y apprendre le confortera dans son choix de poursuivre sa route vers Rankir.
Dans cette forêt, les arbres sont hauts et le sous-bois assez aéré. Il chemine aisément et, bien vite, trouve un chemin. Il chevauche depuis une poignée d'heures quand il rencontre deux petits hommes qui portent du gibier.
- Bonjour, Chevalier, disent-ils. Où allez-vous ainsi ?
- Je me rends vers le sud, répond-il. Combien de temps me faudra-t-il pour traverser la forêt ?
- Environ quatre jours. Vous trouverez un village, un peu plus loin, vous devriez l'atteindre avant la fin du jour.
- Et vous-mêmes ?
- Nous chassons pour l'heure. Nous y reviendrons d'ici peu.
- Bien, je vais m'y rendre pour y passer la nuit. Comment s'appelle le chef de ce village ?
- Brendaw. Dites-lui que vous nous avez croisés !
- Je n'y manquerai pas ! Bonne route à vous.
En fin de journée, il parvient en effet à une grande clairière où est construit un petit village. Le lieu lui rappelle beaucoup le Conseil des Gardiens. Les maisons ressemblent à leurs propres abris. S'il ne s'est jamais trouvé dans cette forêt, il en a parcouru d'autres avec Maîtresse Adena, durant sa formation. En approchant, il descend d'Ingir, la tient par la longe et s'avance vers le village.
Deux hommes viennent au-devant de lui, visages aimables et curieux. Il les salue avec respect et se présente :
- Je suis Maître Owen, Gardien des Origines, et je fais route vers le sud. J'ai entamé la traversée de la forêt en fin de matinée et j'ai croisé deux des vôtres qui m'ont indiqué votre village. Puis-je passer la nuit parmi vous ?
- Soyez le bienvenu, Maître Owen, c'est toujours un plaisir et un grand honneur pour nous que d'accueillir l'un ou l'une des vôtres. Cela fait un long moment que ce n'est pas arrivé. Je vais vous mener à Brendaw, lui répond l'un d'entre eux.
Il le conduit vers le centre du village, au cœur de la vaste clairière. Elle a certainement été agrandie pour permettre la construction d'abris, mais aussi de tous ces lieux nécessaires à la vie en communauté : une petite place, un puits, des abris pour la nourriture, un petit atelier de filature, un autre pour travailler les métaux. Les Nobols mènent une vie assez austère et simple, se contentant des bienfaits que la forêt leur apporte pour survivre.
Brendaw est un homme dans la force de l'âge, aux cheveux bruns tombant sur ses épaules, aux yeux sombres, à la barbe fournie. Petit comme le sont tous ceux de son peuple, il arrive à peine au torse d'Owen. Les deux hommes se saluent avec plaisir.
- Maître Owen, c'est une grande joie de recevoir un Gardien des Origines chez nous. Vous faites un long voyage ?
- Je reviens des Terres de Lessar et je retourne vers le sud, dit-il sans apporter plus de précisions. Traverser la forêt me permet de gagner plusieurs jours de chevauchée.
Brendaw fait signe à un jeune garçon de s'occuper du cheval.
- Venez près du feu, il fait encore frais le soir en cette saison. Nous allions souper.
Owen accepte bien volontiers de partager le repas des villageois, repas qui se prend en commun tant que le temps le permet. En hiver, ou quand il pleut, chaque famille mange chez elle, mais le reste du temps, ils aiment se retrouver tous ensemble, surtout pour le dernier repas de la journée. Bien vite, le jeune homme se retrouve avec entre les mains une écuelle d'une soupe épaisse au parfum qui lui rappelle aussitôt que son dernier repas est loin. Les petites gens se regroupent les uns après les autres, l'ambiance est familiale et sympathique. Owen se dit qu'il va passer là un moment agréable.
- Quelles sont les nouvelles du monde, Maître Owen ? demande Brendaw alors que le repas touche à sa fin, et après avoir écouté les récits de la journée de ses propres enfants.
- Ma foi, je ne pourrais vous en donner beaucoup. Ces derniers temps, je n'ai pas croisé grand-monde à travers la grande plaine du nord. Mais j'ai assisté à la réunion des Régnants, l'été dernier, en Petimont.
Brendaw hoche la tête.
- Notre chef s'y trouvait aussi. Il nous a fait savoir les décisions qui avaient été prises. Mais cela nous concerne peu. Il nous a dit qu'il avait vu le Grand Maître et que ce dernier se serait rendu jusqu'en Rankir.
A l'évocation de ce nom, Owen sent son intérêt s'éveiller.
- J'ai dû quitter la réunion avant son terme, explique-t-il. Je ne savais pas que le Grand Maître avait prévu un tel voyage.
Brendaw secoue la tête.
- Il doit s'en passer des choses dans les Terres du Sud, dit-il, car dans un autre de nos villages, il y a quelques jours, ils ont accueilli un voyageur porteur d'un message important. De toute ma vie, je n'avais entendu parler de cela, mais mon père se souvient de cette tradition. Il a dit que c'était étrange de faire revenir d'anciennes pratiques, mais que, certainement, la reine n'avait pas d'autres choix.
- Qu'est-ce donc ? demande Owen, très intrigué.
Brendaw se lève sans répondre, entre dans l'abri qui se trouve derrière lui, puis ressort avec un parchemin.
- Voilà une copie du message qui doit être délivré à travers toutes les terres habitées. Si vous voulez en prendre connaissance…
Owen déroule lentement le parchemin et commence à lire. Toujours maître de lui-même, il parvient à cacher les émotions qui s'emparent de lui à cette lecture.
A toutes gens des Terres Habitées,
L'épreuve du Blanc Cerf est relancée à travers toutes les Terres.
Elle est demandée par la Reine Kaïra, du Royaume de Rankir.
Chacun, grand ou petit, riche ou pauvre, habitant des plaines ou des forêts, des montagnes ou des rivages, pourra se présenter devant elle et son Conseil, le jour de la lune d'été, avec le présent qu'il jugera être le plus précieux, le plus original, le plus rare.
Celui qui emportera l'épreuve pourra prétendre au titre d'époux de la reine.
Au nom de la Reine. En ce quinzième jour de la deuxième lune de printemps.
Le Conseil de Rankir
"L'épreuve du Blanc Cerf", songe-t-il. "C'est en effet une vieille tradition… Je crois bien qu'il n'y a plus que quelques villages à la pratiquer encore, et c'est plus comme un jeu pour une jeune fille avant son mariage. Là, c'est d'une toute autre nature…"
Le jeune homme reste pensif, traversé par de multiples émotions dont il aurait bien du mal à déterminer l'exacte nature. Il sent simplement qu'il a besoin de calme et de solitude pour réfléchir à cette nouvelle.
- Que pensez-vous de cela, Maître Owen ?
- Ma foi... Je suis étonné que cette pratique soit remise au goût du jour…, répond-il sans mentir. Savez-vous si le messager est encore par ici ?
- Je ne saurais vous répondre. Il est peut-être encore chez nos voisins.
- Est-ce loin de chez vous ?
- Non. En quelques heures vous y serez. Je dirai à Eloan de vous accompagner, c'est mon deuxième fils.
- Merci.
Puis Owen s'abîme dans la contemplation du feu devant lui, avant d'accepter bien volontiers un abri pour la nuit. Le sommeil le fuit. Ses pensées se bousculent. Kaïra veut se marier !
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