Chapitre 19 : Face à ses pairs (première partie)

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Owen reste immobile, mais tourné vers la foule. Instinctivement, il se place entre Kaïra et la menace. Il a senti venir un danger. Il perçoit très bien que les trois Gardiens sont concentrés sur la licorne et sur lui-même, et non sur un mouvement diffus dans la foule.

Une voix s'élève. C'est celle de Lorrek.

- N'y a-t-il plus personne pour prétendre à la main de la reine Kaïra ?

Le silence lui répond.

- L'épreuve du Blanc Cerf est désormais close. La reine et son Conseil vont délibérer.

Une autre voix s'élève, cette fois parmi la foule.

- Comment le pourrez-vous si vous ignorez tout du dernier prétendant ?

Et l'on voit s'avancer Messiar, l'âme damnée du prince Bramé. Lorrek va pour prendre la parole, mais Maîtresse Alana est plus rapide que lui. Elle aussi s'avance vers la reine. Un instant, fugace, Owen se demande si elle aussi a perçu le danger. Car Messiar est le danger. Elle dit :

- Ce mystère sera éclairci, mais il ne peut l'être devant vous tous. Une licorne est un être venu de l'autre monde. Seuls les Gardiens peuvent y accéder. Au nom de l'Ordre des Gardiens des Origines, je demande la possibilité pour moi-même et mes compagnons d'interroger cet homme, à huis-clos. Ce que nous en apprendrons sera révélé à la reine et à son Conseil.

- Comment l'impartialité de l'épreuve pourra-t-elle être garantie ?

A cet instant, la reine se lève et dit d'une voix forte et autoritaire :

- Nul ici ne peut mettre en doute la parole et la valeur des Gardiens des Origines. Ils agissent dans le sens de l'intérêt de tous, garantissent la paix et l'équilibre de notre monde. Je ne tolèrerai pas en mes terres qu'on leur porte atteinte, par le geste ou la parole. Si l'un des prétendants le fait, qu'il sache alors que je ne considérerai même pas sa demande.

La menace pour le prince Bramé est claire. Messiar s'incline et recule, retourne près de son suzerain. Malgré tout, Owen perçoit toujours la menace. "Bramé a toujours été une menace. Depuis que nous sommes entrés en Salarin, l'an passé. Que cache-t-il ? Quel pouvoir a-t-il ?"

Lorrek parvient enfin à prendre la parole et annonce que la reine, le Conseil et les Gardiens vont se retirer. Que leur proposition d'interroger le dernier prétendant est acceptée et que le choix de la reine sera annoncé avant la fin du troisième jour qui vient.

La foule commence alors à se retirer, mais chacun, avant de quitter la place ou les ruelles, jette un regard en arrière, espérant apercevoir encore une fois la jolie licorne.

**

Kaïra s'était levée pour répondre à Messiar et demeure debout, regardant la foule qui se disperse tranquillement, guidée parfois par quelques gardes. L'inconnu se tient devant elle, dans une posture qui n'est pas sans lui rappeler celle d'Owen s'interposant entre Bramé et elle, dans sa chambre. Il n'a pas dégainé d'arme, mais elle le sent attentif, tendu, prêt à réagir.

Amour, courage et volonté sur vous désormais vont veiller.

Les mots prononcés par la licorne lui reviennent à l'esprit. De la volonté, cet homme n'en manque pas. Du courage, il semble bien qu'il en soit de même. Quant à l'amour... Une pensée vive et brûlante comme un éclat de feu la transperce : Owen ! Se peut-il que ce soit Owen, là, devant elle ? Bravant tous les interdits ? Son regard s'attarde sur ses épaules, sa silhouette qu'elle ne peut que deviner. Oui, il est aussi grand qu'Owen, paraît en avoir la force. Mais des hommes grands et forts, il n'en manque pas, et il n'en a pas manqué à passer devant elle aujourd'hui...

Les mots de Dame Hilayna la tirent de ses pensées :

- Majesté, vous pouvez désormais regagner le palais.

- Soit, Dame Hilayna, nous le pouvons. Flonara ?

- Oui, Majesté.

- Venez-vous avec nous un moment ? La journée n'a-t-elle pas été trop éprouvante pour vous ?

- Il est vrai que j'apprécierais de retrouver un moment la mer, mais je peux rester encore auprès de vous si ma présence vous est nécessaire.

- Allez vous réconforter, amie. Nous nous reverrons demain. Je vous ferai prévenir en cas de besoin.

- Merci, Majesté, répond la Delphinienne avec un petit mouvement de sa courte main.

**

Le Conseil et la reine regagnent le palais, suivis par les trois Gardiens et l'inconnu, entourés par plusieurs gardes, parmi lesquels quelques archers Aériens dont Limur. Owen a senti que les ondes de ses compagnons se relâchaient autour de lui. "Ils réagissent vraiment en Gardiens", songe-t-il. "Ils ont compris que je les suivrais et que je ne représentais pas un danger. Je ne vais plus pouvoir leur cacher qui je suis. Mais me laisseront-ils voir la reine ?"

Elle marche quelques pas devant lui, entourée de Dame Hilayna et du conseiller Van'dal. Lorrek les précède. Mu par une pulsion soudaine, Owen prend la parole :

- Permettez, Majesté, un instant.

Le petit groupe s'arrête, tous se retournent. Les Gardiens se mettent aussitôt mentalement sur la défensive. Owen sent leurs ondes le presser, mais il maintient encore sa propre défense. Il veut que Kaïra soit la première à le reconnaître. Il veut qu'elle sache qu'il est là. Il ne veut pas la laisser dans l'ignorance plus longtemps.

Il franchit en quelques pas la courte distance qui les sépare. Toujours soigneusement dissimulé par son capuchon et son long manteau, il la fixe cependant. Nul ne peut savoir qu'il la regarde à cet instant, pas même elle. Il tend la main vers la petite rose, toujours glissée dans ses cheveux et dont, magie de l'amour, la couleur et les pétales ne se sont pas altérés au cours de la journée. En veillant bien à ne pas toucher directement la reine, pas même frôler sa chevelure, il retire la petite fleur et tombe à genoux devant elle.

- Pardonnez-moi d'avoir douté de vous. Mais je suis là, dit-il cette fois sans changer sa voix.

Dès qu'il a levé la main vers la reine, Dame Hilayna a voulu s'interposer, mais elle n'a pas sa rapidité et elle a laissé retomber son propre bras, retenue par une force inconnue qui semble la maintenir hors du cercle étroit formé par la reine et par l'étranger. Kaïra frémit en sentant cette main la frôler, elle tente de deviner les traits de l'homme qui lui fait face, mais n'y parvient pas. Ses mots et sa voix qu'elle reconnaît désormais la font trembler de joie jusqu'au plus profond d'elle-même. Ainsi, l'instant d'avant, sur les marches du palais, son cœur l'a-t-il bien reconnu. L'homme qui se tient agenouillé devant elle est bien Owen ! Maintenant, elle en est certaine.

Elle prend une profonde inspiration, sait qu'elle doit parler, mais les Gardiens ne lui en laissent pas le temps. Olek pose une main sur l'épaule de l'étranger, le forçant à se relever avec fermeté, mais sans brutalité.

- Vous devez nous suivre, maintenant.

Sans un mot et sans insister plus auprès de la reine, Owen se détourne et les suit.

Limur guide les Gardiens vers une salle du premier étage, dans laquelle brûlent de grandes torches, projetant une chaude lumière. Tous les trois y entrent, accompagnés d'Owen. Il perçoit combien l'archer Aérien peut être intrigué par sa présence et la révélation de la licorne. Il aimerait aussi le rassurer.

La porte se referme sur eux quatre.

Owen fait face aux trois Gardiens. Tous sont restés debout. Olek tourne le dos à une belle cheminée, Alana fait face à deux grandes fenêtres, alors qu'Agora se tient dos à la porte. Ils forment comme un petit arc de cercle face à lui. Alana est la première à prendre la parole. Sa voix est ferme, mais non dépourvue d'intérêt.

- Etranger, tu as participé à l'épreuve du Blanc Cerf et tu as apporté avec toi une créature venue de l'autre monde. Tu as offert à la reine le cadeau le plus beau et le plus précieux de tous ceux qui lui ont été présentés aujourd'hui. Nul doute que tu as plus que tes chances d'emporter sa main. Mais pour avoir été capable d'approcher une licorne, pour l'avoir fait parler, tu dois posséder certaines connaissances. Qui es-tu ?

Owen se tient bien droit, se sent également sûr de lui. Il n'éprouve aucune peur. Il porte lentement ses mains à sa capuche, pour dévoiler son visage. Jusqu'à l'ultime seconde, il a maintenu sa protection mentale. Aussi, quand les trois Gardiens découvrent ses traits, ont-ils bien du mal, malgré leur propre contrôle sur eux-mêmes, à ne pas manifester une certaine surprise.

- Owen ! Comment se peut-il ? Qu'as-tu fait ?

- J'ai appris la présence de la licorne alors que je revenais de Lessar et que je retournais au Conseil. Je ne pouvais la laisser libre, sans protection.

- Certes, mais cela ne signifiait pas que tu devais l'amener ici ! A la reine de Rankir ! Qui plus est, en présent d'épousailles ! dit Olek.

- Tu aurais dû la ramener au Conseil, intervient Alana. C'était ton devoir.

- Alana, en quelques mois, j'ai déjà dû affronter seul deux créatures venues de l'autre monde, un sinuire, que je n'ai fait que blesser, et un dragon, que j'ai tué. Qui parmi nous peut dire avoir eu de tels combats à mener ? La licorne est certes un présent de prix pour une reine, mais la licorne avait aussi un message à délivrer. Et il était pour la reine. Pas pour le Grand Maître ou pour l'un d'entre nous.

Les trois Gardiens échangent un long regard. Alana reprend la parole :

- Nous devons alerter le Grand Maître. Il se passe trop de choses inhabituelles. Nous ne pouvons pas prendre de décisions, seuls. Et encore moins en ce qui concerne ce que tu as fait.

- J'ai conscience d'avoir enfreint les règles de notre Ordre, dit Owen. Et de cela, je suis prêt à répondre. Mais les temps changent…

Agora hoche la tête en signe d'assentiment. Owen comprend que ses compagnons ont ressenti certaines ondes, peut-être ont-ils eu l'occasion de recevoir eux aussi des messages des Esprits.

- Je crois qu'il sera plus raisonnable de rejoindre le Conseil, et d'informer le Grand Maître que nous nous y rendons, dit Olek, après un temps de réflexion.

- Je me suis engagé auprès de la licorne à l'aider à retourner dans son monde, dit Owen.

- Tu y aurais certainement été obligé, de toute façon, dit Agora. Puisque c'est toi qui l'as trouvée.

- Oui, bien entendu, répond Owen. Mais le Grand Maître peut aussi désigner un autre Gardien ou une autre Gardienne pour cela.

- C'est vrai. La décision ne pourra se prendre qu'en Conseil, de toute façon. Nous quitterons Rankir dès que cela sera possible, reprend Alana.

- L'un d'entre nous pourra toujours rester, si nous le jugeons nécessaire, intervient Agora. Et la reine et son Conseil demanderont certainement à ce que nous leur révélions l'identité d'Owen. Ils se sont engagés à rendre l'avis du Conseil dans les trois jours. Nous ne pouvons les mettre en porte-à-faux.

- Bien, dit Olek, je propose que nous prenions tous un peu de repos et nous aviserons demain. Pour ce dernier point, aussi. Pour l'heure, Owen, puisque tu avais choisi de venir jusqu'ici dans l'anonymat, je te demande de veiller à le rester.

- Très bien, dit Owen qui ne tient pas à mettre son Ordre et ses compagnons plus en difficulté.

Tous quittent alors la pièce, Owen a remis son capuchon. Limur et deux autres archers Aériens les attendent. Alana s'adresse à eux :

- Nous avons tous besoin de prendre un peu de repos, dit-elle. Nous reverrons la reine et son Conseil demain matin.

- Qu'il en soit fait ainsi, dit Limur. Je vous raccompagne et j'informerai la reine de votre décision.

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