Chapitre 26 (deuxième partie)
Durant tout l'après-midi, les préparatifs vont bon train dans le camp des Gardiens. Chacun s'affaire, concentré. Owen s'isole pour se préparer. Les uns, surtout parmi les plus aguerris, ont une attitude similaire. Les autres encore aident les plus jeunes.
Le jeune homme se rend jusqu'à la rivière, en fin d'après-midi, et observe longuement les flots. "Devons-nous nous laisser emporter par la rivière ou devons-nous lutter contre le courant ?", se demande-t-il. Une pâle aura s'élève au-dessus de l'Ile des Esprits. Il la regarde, intrigué. Cela forme comme un léger nuage, vaporeux, translucide. Il sent soudain une force puissante à ses côtés, similaire à celle qui l'avait entraîné lors du voyage avec les autres Gardiens. Mais cette fois, la force ne cherche pas à l'emporter, c'est plutôt comme si elle voulait simplement se manifester, affirmer sa présence près de lui. Dans l'air, l'aura prend soudain forme. Le visage soucieux de Kaïra lui apparaît très nettement, puis celui de la licorne galopant à vive allure, comme fuyant, apeurée.
- Ce n'est pas à moi qu'il faut montrer cette vision ! lance-t-il presque avec rage. Je sais où je dois aller !
Et il se retourne vers le camp, alors que l'aura disparaît dans le soir qui s'avance.
Au cours de la soirée, l'ensemble des Gardiens retourne sur l'Ile aux Esprits. On fait brûler quelques préparations d'herbes, plongeant ainsi chacun dans un état d'esprit propice à la méditation. Alora est à nouveau assise près d'Owen, ce que ne manque pas de remarquer Olaf et il se demande si, malgré la gravité du moment, ce ne serait pas au jeune homme de prendre en charge la formation de la future Gardienne. Mais l'heure n'est pas à ces considérations.
Si le silence règne parmi les Gardiens et les jeunes appelés, autour d'eux, la clairière bruit de chuchotements, frôlements, cris d'animaux, murmures des eaux de la rivière. Même la rosée, en se déposant sur les mousses, semble leur délivrer un message. Les Esprits ne se manifestent pas vraiment, à aucun d'entre eux, mais Leur présence est clairement perceptible, y compris pour les plus jeunes. Parfois, au plein cœur de leur méditation, certains tremblent en Les sentant si proches.
A un moment, Alora ne peut s'empêcher de saisir la main d'Owen, lorsqu'elle sent un Esprit la frôler de trop près. Il a perçu lui aussi la présence et la rassure en lui serrant fort, un bref instant, la main.
C'est seulement à la nuit noire, après plusieurs heures de méditation, qu'ils quittent lentement l'Ile aux Esprits. Certains savent déjà qu'ils n'y reviendront jamais.
**
Owen a très peu dormi, habité encore par des pensées tourmentées, mais aussi par les effets de la méditation. Si, cette fois, les Esprits ne se sont pas particulièrement adressés à lui - comme à aucun des Gardiens -, il n'en demeure pas moins qu'il a senti fortement Leur présence, Leur soutien. Par les visions qu'Ils ont suscitées, par la façon dont Ils se sont manifestés au jeune homme, Owen reste persuadé qu'il doit aller en Rankir.
Il est le premier levé, bien avant l'aube. Bien décidé à partir, seul. Il quitte le campement en silence, se dirige à nouveau vers la rivière. Il sort de sa poche de cuir son disque sacré, le porte devant son étoile. Un bref éclat s'y allume et Owen y voit un nouveau signe de l'Esprit de l'Air. Cela ne fait que confirmer sa décision.
Il siffle doucement, Ingir s'approche à pas lents. Il a pris soin, la veille, de son équipement et la jument est prête. Il vérifie simplement que les rênes sont bien fixées, resserre un peu le mors.
- Tu es prête, ma belle ?
La jument frotte doucement sa tête contre son épaule. Il s'apprête à monter sur son dos, pensant s'éloigner par la rivière pour ne pas être remarqué, lorsque des pas se font entendre, discrètement, à ses côtés. Il se retourne, Olaf est là.
- Déjà prêt, Owen ?
- Oui, Olaf. Mais je ne pars pas avec vous.
Olaf soupire.
- Tu veux aller en Rankir ?
- Oui. Je ne conteste pas le fait que nous devons porter la main, tous ensemble, contre le Seigneur des Ténèbres, mais je conteste l'endroit où nous avons décidé de nous rendre. Pour moi, il va frapper à nouveau. Mais pas à Sala. A Rankir.
Olaf hoche la tête, soucieux.
- Dis-moi la vérité, Owen. Avant de partir. Quelles sont toutes les raisons qui te poussent à aller là-bas. La licorne en est une, tes visions et les appels des Esprits en sont d'autres, je le conçois et le comprends. Mais il est une autre raison que tu tais.
Le jeune homme fixe Olaf avec sérieux. Contre son épaule, la tête d'Ingir remue doucement, comme pour lui dire : "Tu peux faire confiance à Olaf".
- Si je veux aussi aller à Rankir, c'est pour protéger la reine, Olaf. Elle est menacée elle aussi, au même titre que la licorne.
- Elle est humaine, simplement, au même titre que d'autres humains. Nous devons penser à tous les humains, Owen, pas à une seule personne, tu le sais. Ai-je failli à te mettre en garde ?
- Non pas, mon ami. Mais il est des sentiments qui s'allient aux devoirs.
- La reine est jeune et belle, et je comprends que tu aies succombé, répond-il alors qu'un pli soucieux barre son front.
Owen prend une profonde inspiration et dit, dans un souffle :
- Plus que je ne le devais. Mais c'était le moyen d'assurer sa protection.
- Comment cela ?
- Je suis désormais lié à elle. Secrètement. Par respect pour la tradition du Blanc Cerf.
Olaf hoche doucement la tête.
- Alors, laisse-moi venir avec toi.
Le visage d'Owen affiche une profonde surprise. Il n'aurait jamais pensé qu'Olaf lui ferait une telle demande. Au mieux, son ami aurait couvert son départ.
- Que dis-tu ?
- Je te demande la possibilité de venir avec toi. Car je pense que tu as raison de vouloir aller d'abord en Rankir. Moi aussi, je suis persuadé que le Seigneur des Ténèbres frappera là-bas. C'est ainsi que j'ai interprété les messages des Esprits. Je pense que d'autres partagent cet avis, mais aucun n'osera contredire le Grand Maître. Il n'a d'ailleurs peut-être pas tort non plus de vouloir se rendre en Salarin. Là aussi se trouve un foyer du mal.
Owen hoche la tête à son tour.
- Soit. Alors, partons.
La monture d'Olaf est également prête, et moins d'une dizaine de minutes plus tard, les deux hommes s'éloignent sans bruit du camp. Mais une surprise les attend en amont de la rivière.
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