Chapitre 28 : Les roses rouges de Maître Gafori (première partie)
Malgré la fatigue qui se fait sentir pour eux trois, en voyant cette grande rougeur dans le lointain, aucun ne souhaite s'arrêter. Alora a frissonné en entendant Olaf murmurer :
- Nous allons arriver trop tard...
Ce à quoi, Owen avait répondu avant de lancer Ingir au galop dans la plaine :
- Peut-être pas...
Ils ont profité du terrain désormais plat sous les sabots des chevaux pour avancer encore un peu, mais il a bien fallu qu'ils acceptent de s'arrêter un moment. S'ils veulent atteindre la ville le lendemain, il leur faut prendre du repos. Ils font halte près d'un petit bois, laissent les chevaux brouter. Ils n'allument aucun feu et se couchent sur leurs manteaux et une couverture. Owen et Olaf vont alterner la veille, à nouveau. Mais ils n'ont nul besoin de secouer longtemps Alora, car après quelques heures de repos, la jeune adolescente est à nouveau prête à repartir. Son sommeil a été agité, peuplé de rêves étranges, de visions terribles. Ni Olaf, ni Owen n'ont mieux dormi et, alors qu'ils mangent tous les trois un morceau, Alora leur raconte ses cauchemars. Ceux qu'ils ont faits sont semblables.
- La mort et la désolation, murmure Olaf. J'espère que nous pourrons encore en sauver quelques-uns...
Owen s'est isolé un instant, a porté son disque vers son étoile. Le visage de Kaïra s'y inscrit. Enfin. Chaque soir, depuis qu'il s'apprêtait à quitter le Conseil des Gardiens, il a cherché son signal. Elle est encore en vie, mais elle l'appelle. Le danger est à leurs portes.
Tous les trois remontent rapidement en selle et lancent à nouveau leurs chevaux au galop dans la plaine. Une aube teintée de feu se lève et, plus ils s'avancent vers la capitale, plus le ciel se charge de rouge. Et, bientôt, avant le midi, alors que se dessinent au loin les murs de la ville, ils y voient ce qu'ils ont craint depuis qu'ils ont quitté le défilé : un immense incendie. Mais ce dernier semble diminuer d'intensité et quand ils s'approchent, ils peuvent constater qu'il est en train de s'éteindre. Les murs de la ville ont résisté aux flammes.
Mais le spectacle qui les attend est bien celui de la mort et de la désolation.
Déjà, en traversant la plaine, ils ont vu des villages détruits, incendiés. Ils ne s'y sont pas arrêtés : ils ne percevaient aucune onde de vivants.
Les traces d'un violent combat sont partout visibles, et plus ils approchent, plus ils en voient les stigmates. Soldats massacrés, armes abandonnées, chevaux errants en solitaire, sans cavaliers. De nombreux archers Aériens sont tombés. Mais chez les ennemis aussi, les pertes sont nombreuses. Des soldats portant les couleurs du Seigneur des Ténèbres, mais aussi celles de Sala.
- Le prince Bramé est bien le serviteur du Mal, dit Olaf alors qu'ils traversent un rang de soldats morts portant ses couleurs.
- Oui. Cela ne fait aucun doute pour moi, et depuis longtemps, dit Owen.
- Quelles ondes perçois-tu ?
- Quelques traces de vivants, répond Owen en fixant la ville encore loin. Mais le Seigneur des Ténèbres n'est déjà plus ici.
- Il va en Salarin, crois-tu ?
- Oui. Mais il va trouver les nôtres sur son chemin, dit Owen avec conviction. Allons jusqu'à la ville, puis nous nous lancerons sur ses traces.
**
Plus ils approchent de la ville et plus ils peuvent constater la violence des combats. De grands oiseaux noirs commencent à tournoyer au-dessus des charniers et l'odeur de mort est partout présente. Alora a bien du mal à supporter le spectacle qui s'offre à ses yeux. Depuis son plus jeune âge, elle a appris à œuvrer pour la paix, l'entente entre les Hommes. Pas à supporter la violence, même si elle sait qu'elle pourra être amenée à l'affronter, parfois. Mais pas sous une forme aussi inouïe, aussi poussée. La mort d'êtres innocents est pour elle un choc, comme pour Olaf et Owen.
Les voilà maintenant aux portes de la ville et le visage d'Olaf s'est creusé. Même s'il reste des survivants, ils ont failli. C'est une défaite pour eux. Il suit cependant Owen qui semble ne rien vouloir lâcher, aller plus loin, toujours plus loin, vers le palais royal.
La grande place, là où s'étaient déroulés le couronnement de Kaïra et l'épreuve du Blanc Cerf, est jonchée de morts. Soldats du Seigneur des Ténèbres et nombreux archers. Le rivage est calme ; sur la plage, ils voient quelques cadavres de Delphiniens, mais finalement fort peu. Sans doute leur milieu de vie a-t-il été un abri pour eux.
Ils descendent de cheval, Owen se porte en avant, l'épée à la main, et monte vivement les marches. Il s'arrête soudain et s'agenouille devant une dépouille. C'est celle de Lorrek. Le Premier Conseiller est mort, touché par un coup de poignard. Mais c'est certainement le fait d'être tombé au sol qui l'a tué, comme nombre de ses semblables qui, simplement blessés, n'ont pu trouver refuge dans les arbres, ni être secourus, et ont chuté.
- Lorrek est mort, annonce-t-il d'une voix blanche à Olaf. Il s'est battu aux côtés des siens.
Olaf s'approche, mais reste debout. Son regard fait le tour de toute la place. L'impression, en ce plein midi, est effrayante. Ils sont comme les seuls survivants au milieu d'un monde mort. Olaf monte quelques marches et ajoute :
- Et le Seigneur Van'dal également...
Owen se relève et court presque dans le palais. Là aussi, des morts, partout. Dans le grand hall, dans les escaliers, dans les couloirs. Il hésite un instant à monter à l'étage, mais traverse finalement le grand hall pour redescendre dans les jardins. Une force puissante, supérieure à sa volonté, l'y entraîne. Olaf et Alora le suivent aussi vite qu'ils le peuvent, l'adolescente n'ayant aucune envie de rester en arrière.
Il franchit en courant la terrasse et dévale les escaliers vers le jardin. Quelques cadavres, tout au plus. Mais le cri d'Owen fige soudain Olaf et Alora qui voient le jeune homme se laisser tomber au sol devant deux formes qu'ils ne parviennent pas encore à identifier.
- Non !!!!
Owen porte un instant les mains à son visage, puis les retire et regarde devant lui. Maître Gafori gît au milieu de ses rosiers, ayant tenté de protéger, jusqu'au dernier moment, la licorne. Son flanc laisse échapper un sang bleu pâle, mais un dernier souffle habite encore la gracieuse créature. Sentant une présence, elle ouvre les yeux et semble sourire en voyant Owen.
- Gardien... Tu es venu... La reine est sauve... Les jeunes femmes aussi... Ton ami... Siwu... les a emmenées. Elle est protégée... Je lui ai donné...
Les yeux de la licorne se ferment un instant. Elle les rouvre pour dire :
- ... donné la feuille... Prends... Quand je serai morte... Prends ma corne... Tu en auras... besoin.
Et la jolie tête retombe, sans vie, sur la main du Maître jardinier.
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