Note aux lecteurs : Petit retour en arrière...

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Une aube lourde et grise se lève sur les terres de Rankir. Peu d'entre eux ont dormi au cours de la nuit. Une atmosphère étrange s'est répandue tout le pays, mélange de peur, d'inconnu, de souffrance. En son palais, Kaïra avait regardé longtemps l'étoile d'Owen. Elle brillait toujours, nette et claire, malgré les nuages de chaleur qui s'amoncelaient dans le ciel et tentaient de voiler l'éclat des étoiles.

Elle est encore dans sa chambre, ses suivantes autour d'elle, lorsque Lorrek demande audience, en urgence. Elle le fait entrer aussitôt. Prévenue, Dame Hilayna arrive peu après et écoute les nouvelles apportées par le Premier Conseiller.

- Majesté, une armée nombreuse et bien équipée fait route vers notre cité. Elle approche de la grande plaine, par le nord. Plusieurs villages ont été détruits sur son passage. Des villageois se sont enfuis et ont été recueillis au cours de la nuit. Ils sont terrorisés. Cette armée… semble plus puissante que tout ce que nous pouvons imaginer.

- Quelles sont nos forces ? demande aussitôt Kaïra.

- J'ai déjà fait battre le rappel avant de venir, dit-il. J'ai prévenu les miens également et l'armée aérienne se rassemble. J'ai envoyé plusieurs archers en éclaireurs. J'attends de leurs nouvelles d'un moment à l'autre.

- Bien, nous allons convoquer immédiatement un Conseil. Faites prévenir le conseiller Van'dal et la conseillère Flonara, ainsi que Maître Olek. Que chacun se mette en alerte. Faisons vite.

- Bien, Majesté, dit Lorrek en saluant avant de quitter la chambre royale.

Les quatre jeunes filles s'activent en silence autour de Kaïra, terminant rapidement les préparatifs. Puis, accompagnée de Dame Hilayna et escortée par Limur et quelques gardes, elle gagne la Salle du Conseil. Si Van'dal s'y trouve déjà en compagnie du Gardien, Lorrek et Flonara arrivent après la reine. Cette dernière demande à Limur d'assister également au Conseil.

Avec concision, mais précision, Lorrek rapporte les derniers éléments en sa possession. Les éclaireurs sont revenus et confirment les dires des villageois. L'armée qui s'avance est nombreuse et la menace est réelle.

- Nous allons nous préparer au combat, décide Kaïra. Nous tiendrons autant que nous le pourrons, en attendant des renforts. Messire Van'dal, je vais vous confier la tâche de prévenir les prétendants qui se trouvent encore parmi nous. Informez-les de ce qui se passe et proposez-leur de s'abriter dans le palais ou de nous quitter si cela est encore possible. Ils n'ont pas à demeurer ici, leur vie peut être menacée.

- Bien, Majesté, dit Van'dal en s'inclinant.

- Limur, fidèle ami, vous enverrez l'un des vôtres, parmi les plus rapides, les plus discrets et les plus sûrs. Qu'il rejoigne au plus vite le Conseil des Gardiens pour prévenir le Grand Maître de ce qui se trame. Il est possible qu'il soit déjà informé, plus ou moins précisément, de l'existence de cette armée et que les Gardiens soient déjà en chemin pour nous apporter leur soutien. Mais nous ne pouvons pas attendre leur venue. Nous devrons peut-être combattre avant qu'ils n'arrivent. Conseiller Lorrek, et vous, mon amie Flonara, faites savoir à chacun des nôtres, du plus noble au plus humble, de se mettre à l'abri s'il ne peut combattre. Que les femmes, les enfants, les malades, les vieillards, trouvent refuge dans les forêts profondes ou dans les eaux.

- Les miens viendront soutenir le combat, dit Flonara. Mais nous pouvons aussi guider les villageois proches du rivage vers les grottes. Nous pourrons leur fournir de la nourriture et un abri.

- C'est une proposition que j'accepte bien volontiers, dit Kaïra. Allons maintenant. Quant à moi, je m'en vais trouver la licorne. Il est possible qu'elle puisse aussi nous aider. Je tenterai cependant de la convaincre de se mettre à l'abri, car je redoute tout autant le danger pour elle que pour nous.

A cet instant, Olek se permet d'intervenir :

- Majesté, je demande à m'entretenir seul avec vous quelques instants.

Son regard est sombre, mais Kaïra comprend. Sans doute veut-il évoquer le disque sacré. Les trois conseillers, Limur et Hilayna ne se permettent aucune remarque : eux aussi sentent qu'il ne faut pas perdre de temps.

- Je m'en vais voir la licorne, décide Kaïra. Je n'en aurai pas pour longtemps, Maître Olek. Attendez-moi dans mon petit salon.

- Comme il vous plaira, Majesté, salue-t-il avec respect.

La séance du Conseil est alors levée et chacun s'affaire avec diligence. Au fil des heures, alors que le ciel se couvre d'une lueur étrange, presque orageuse, les bruits de l'armée en marche se font entendre de plus en plus nettement à travers la plaine.

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C'est Siwu qui fait savoir à Kaïra que la licorne se promène dans les jardins. La reine y descend aussitôt, toujours suivie de Dame Hilayna qui n'a pas encore dit grand-chose et du Gronfall. Ce dernier a perdu sa malice et son humour, et son front se barre d'un pli soucieux. Il se demande si Owen est déjà en chemin, car il a compris et pressenti lui aussi qu'un grave danger s'annonce. Il s'interroge également sur le rôle qu'il peut jouer et, avant tout, comment protéger la reine et la licorne. Après tout, c'est pour cela qu'il avait décidé de rester à Rankir.

La licorne s'est couchée sous l'Arbre des Nécessiteux et tourne avec grâce sa jolie tête vers la reine.

- Jolie licorne, dit Kaïra en s'agenouillant près d'elle, une menace encore confuse s'avance. Je crains pour vous…

- Et moi, pour vous, répond la licorne qui poursuit :

Lourds sont les nuages au-dessus de la plaine

Loin de nous seront les journées sereines

Le démon se réveille et menace

Partez loin et vous trouverez grâce.

Dans la forêt profonde l'épée

Pourra le chevalier trouver.

Ainsi la licorne a parlé.

Puis elle tourne la tête et la repose délicatement sur ses pattes avant, fermant les yeux comme pour s'endormir profondément. Kaïra se redresse et se tourne vers Dame Hilayna et vers Siwu. Son visage affiche une grande tristesse : elle a déjà compris que la licorne ne quitterait pas Rankir, qu'elle n'a peut-être aucun endroit où aller, où se réfugier.

Kaïra fixe encore la licorne et dit simplement :

- Restez près de moi, jolie licorne, si vous ne voulez partir. Ainsi, je veillerai sur vous comme vous veillez sur moi.

Mais la licorne reste sans réactions et, peinée, Kaïra ne peut que se résoudre à regagner le palais. Alors qu'elle rentre dans ses appartements, Dame Hilayna lui fait part de ses inquiétudes :

- Majesté, j'ai confiance en la bravoure de nos soldats et je sais qu'ils se battront jusqu'au dernier face à cet ennemi venu on ne sait d'où. Mais je vous prie, que dis-je ! Je vous supplie de prévoir déjà de quitter Rankir et de vous mettre à l'abri.

- Où aller, Dame Hilayna ? Pour l'heure, il n'est pas question que je fuie. Je suis reine ici et je resterai parmi les miens. Si j'ai confiance en Lorrek pour mener nos troupes, c'est aussi à moi de prendre certaines décisions.

Hilayna va pour ajouter quelque chose, mais le Premier Conseiller se fait déjà annoncer. La dame de compagnie se dit que sa jeune souveraine est tout aussi têtue que la licorne… et qu'il est bien regrettable qu'Owen et les autres gardiens aient dû partir !

Lorrek entre dans le petit salon alors qu'Olek s'y trouve déjà, attendant la reine.

- Majesté, je viens vous informer que les préparatifs avancent et que les ordres ont été donnés pour faire quitter la ville à tous ceux qui ne combattront pas. Des armes sont distribuées. Des messagers sont partis aussi, vers l'ouest, vers l'est et le long du rivage pour alerter la population et l'inviter à se mettre à l'abri. Limur et l'un des siens attendent que vous les receviez. Voulez-vous que je rédige un message pour le Grand Maître ?

- Bien volontiers, Seigneur Lorrek.

Le Premier Conseiller salue et quitte la reine et le Gardien. Ils sont désormais seuls et Olek se tourne vers Kaïra :

- Majesté, l'heure est très grave. Je ne trouve rien à redire aux mesures que vous venez de prendre pour protéger les vôtres. Le combat sera rude et sanglant. Les signes ne trompent pas. Que ce soient ceux envoyés par les Esprits ou ceux que vos éclaireurs et villageois ont rapportés. Mais il existe un moyen plus rapide et plus sûr de prévenir le Grand Maître et le Conseil des Gardiens, vous le savez.

- Oui, mais je ne pouvais pas le dire devant les miens, n'est-ce pas ?

Olek acquiesce.

- Avez-vous le disque sur vous ?

- Oui, dit Kaïra en le sortant avec précaution d'un des volants de sa robe. Je l'ai pris dès ce matin.

- Bien, poursuit le Gardien. Nous allons unir sa magie à celle du mien.

Et sans attendre, il sort le sien d'une pochette en cuir qui ressemble assez à celle d'Owen. Olek prend les deux disques en main et les tourne vers le soleil, capte un rayon et avec des gestes semblables à ceux d'Owen lorsqu'il avait déjà manipulé le disque de Kaïra et le sien en direction de son étoile, il adresse alors sa pensée et ses préoccupations à destination du Grand Maître. Avant de redonner son disque à Kaïra, il le regarde un moment. La jeune femme n'y distingue rien de particulier, pourtant le Gardien lui demande :

- Vous l'avez déjà utilisé, n'est-ce pas ?

Kaïra reste quelques secondes silencieuses avant de répondre :

- Oui.

Olek hoche la tête, mais n'en dit pas plus. L'heure n'est plus à se préoccuper des liens entre la reine et Owen.