Chapitre 29 (troisième partie)
Les trois Gardiens se sont éloignés à travers la plaine. En chemin, ils ont sacralisé l'intégralité du champ de bataille. Alora s'attendait à ce qu'ils prennent la direction du nord est, vers Salarin, mais il n'en est rien : Owen les mène vers le Ponant, vers les terres des Gronfalls.
Ils chevauchent rapidement, jusqu'au soir. Au fur et à mesure qu'ils traversent les terres de Rankir, qui s'étirent loin vers le couchant, le long de la grande mer, ils mesurent aussi que la dévastation a porté loin, et pas seulement autour de la Cité du peuple triple. Mais plus ils s'éloignent, moins les stigmates des combats sont présents et, avant que la nuit ne tombe, ils atteignent enfin un village où la paix règne encore. Mais, en entendant des cavaliers approcher, les habitants qui se trouvaient au-dehors regagnent précipitamment les habitations. Les trois Gardiens perçoivent la peur, avant même de distinguer les traits précis des visages.
- Je vais m'avancer le premier, dit Olaf. Restez un peu en arrière.
Un groupe de villageois s'est rassemblé. Olaf descend rapidement de cheval, laisse sa monture en arrière et s'avance vers eux, lentement, les mains tendues. Alors qu'il se trouve à portée de voix, il s'arrête et dit :
- Nous sommes des Gardiens des Origines, dit-il. Nous venons en paix.
Sans s'avancer pour autant, un des hommes répond :
- Comment pouvez-vous venir en paix de la ville qui brûle ? Nous avons accueilli des réfugiés, quelques blessés. Tout est mort là-bas.
- Nous venions au secours des peuples de Rankir, dit Olaf. Malheureusement, nous sommes arrivés trop tard.
- Vous êtes encore en Rankir, ici, répond l'homme, toujours prudent.
- Oui, nous le savons. Votre royaume s'arrête seulement là où commence la grande forêt d'Argol.
Olaf marque une courte pause, puis dit :
- Je suis Maître Olaf, mon compagnon se nomme Maître Owen et la jeune fille qui nous accompagne est Alora. Elle n'est pas encore Gardienne.
- Maître Owen, avez-vous dit ?
C'est un autre homme, un peu en retrait, qui a parlé, cette fois.
- Oui, répond Olaf.
Des murmures se font entendre. Olaf attend la fin du conciliabule. D'où ils se trouvent, Owen et Alora ont pu saisir la conversation, mais ne bougent pas. Le premier homme qui a parlé s'avance enfin et dit :
- Peut-il venir ? Lui seul ? Pardonnez notre prudence...
- Nous la comprenons.
Olaf se retourne alors, fait un petit signe à Owen qui descend à son tour de cheval et s'avance au-delà de son ami, jusqu'au petit groupe.
- Vous êtes bien Maître Owen ?
- Oui, répond-il avec assurance.
- Il y a quelqu'un ici qui pourra nous en assurer. Suivez-nous, mais vous deux, restez en arrière.
Owen suit deux des hommes, le reste du groupe se tenant toujours à la défensive devant l'accès qui mène au village. Owen disparaît rapidement à la vue de ses compagnons, derrière les premières maisons.
**
Il est conduit jusqu'à une maison assez basse et longue. Dans l'unique pièce se trouvent plusieurs couches. Des blessés sont étendus là, certains plus gravement touchés que d'autres. Il en prend la mesure en un instant et se dit qu'Olaf et lui vont avoir à faire pour les soigner, même si les paysans leur ont déjà prodigué les premiers soins. Face aux blessures infligées par les hommes du Seigneur des Ténèbres, il faut une science et une connaissance que seuls les Gardiens possèdent.
On le mène cependant près d'un homme, au front enveloppé sommairement d'un linge qui laisse voir une trace sanglante. En s'approchant, il reconnaît Olek. Le Gardien semble dormir, mais quand il pose la main sur la sienne, il ouvre aussitôt les yeux et le fixe.
- Owen ! souffle-t-il, visiblement surpris, mais aussi heureux.
- Oui, Olek. Je suis ici avec Olaf, répond Owen qui préfère pour l'heure taire la présence d'Alora.
- Il est arrivé des choses effroyables...
- J'arrive de Rankir. Nous avons vu la ville...
Le Gardien blessé secoue la tête. Des larmes perlent à ses yeux.
- Nous nous sommes battus autant que nous pouvions... mais l'ennemi possède une force contre laquelle il était très difficile de lutter. La reine... Nous sommes parvenus à faire partir la reine. Je ne sais...
- Je pense savoir où elle peut se trouver. Je pense aussi qu'elle est toujours en vie.
Olek tente un maigre sourire.
- Alors, tout n'est pas perdu. Nous avons aussi fait évacuer vers les forêts et le long du rivage les femmes et les enfants, les vieillards. Tous ceux qui n'étaient pas en mesure de combattre. Nous les avons placés sous la protection d'une partie des Aériens. Ils doivent y être encore.
- Nous nous en assurerons. Je vais dire à Olaf de venir avec moi. Nous allons aider à vous soigner avant de repartir. Nous devons trouver la reine, puis nous aviserons…
- Le Conseil ? Qu'a décidé le Conseil ?
Olek voit le front d'Owen se plisser. Même affaibli, il perçoit les hésitations du jeune homme.
- Le Grand Maître a fait le choix de partir pour Sala. Nous avons appris la mort d'Onev…
- Je l'ai perçue aussi, dit tristement Olek. Et j'ai bien cru qu'il m'arriverait la même chose…
- Nous aurons besoin de ton avis, Olek, dit sombrement Owen. Avant de repartir. De toutes tes impressions...
- Je serai peut-être en état de vous accompagner, ou de vous rejoindre.
- Nous aviserons. Je vais chercher Olaf.
Il se redresse. Les villageois le laissent sortir sans faire de difficultés. Il perçoit déjà un changement dans leur attitude : la confiance revient.
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