Chapitre 30 (deuxième partie)
Les discussions s'engagent entre Awenar, quelques autres Gronfalls dont Siwu, et Olaf, Owen, la reine et Alora. Très vite, Kaïra a du mal à suivre les échanges d'autant qu'une grande partie se mène dans la langue des Gronfalls, même si Siwu et Owen prennent le temps de traduire. Après ce qui paraît durer des heures à Dame Hilayna, mais qu'Owen parvient pourtant à mener promptement, ils abordent enfin les questions qui les préoccupent.
- Le Seigneur des Ténèbres n'est pas encore apparu, dit le jeune Gardien. Mais sa présence se fait sentir de plus en plus. Bientôt, il montrera son vrai visage, pour l'heure, il s'affiche uniquement à travers celui de ses serviteurs. Abattre ces derniers ne ferait que reculer l'échéance. Il a semé la mort et la désolation en Rankir. Il le fera ailleurs si nous ne l'arrêtons pas à temps. Tous les royaumes sont concernés, que l'on soit habitant des eaux, de l'air ou de la terre. Vous aussi pouvez en être victimes, même si les profondeurs sont encore épargnées.
- J'en ai bien conscience, Maître Owen, répond Awenar, autant par ce que vous me dites, que par ce que la reine et Siwu nous ont déjà rapporté. Plus aucun d'entre nous n'a le choix, désormais, s'il veut survivre. Mais que pouvons-nous faire ? A part offrir un asile aux réfugiés…
Owen se redresse légèrement. Kaïra est assise à ses côtés et ressent sa force de persuasion. Elle devine aussi que l'instant est grave. Owen s'apprête à révéler un lourd secret.
- Awenar, nous devons prendre l'épée de feu. Et vous savez où elle se trouve.
Le Gronfall ne dit rien, son visage ne montre aucune émotion. Puis il fouille dans sa poche, en sort une longue et fine pipe qu'il allume avec des gestes lents. Kaïra retient son souffle, alors qu'Owen fixe toujours le Gronfall.
- Comment savez-vous que nous l'avons ? demande-t-il finalement.
- C'était écrit sur l'une des parois sacrées que j'ai suivies, il y a quelques années. Elle n'était pas nommée ainsi, mais...
- C'est un des trésors de mon peuple, dit Awenar. J'ignore s'il est possible de la confier à quelqu'un.
A cet instant, Siwu prend la parole :
- Aucun humain n'a jamais pu toucher à l'épée sans mourir. Et tu voudrais le faire !
- Je sais que l'épée de feu possède un pouvoir très étendu. Mais pour vaincre le Seigneur des Ténèbres, nous en aurons besoin. L'union de tous les Gardiens des Origines permettrait peut-être de le battre, mais il nous faut aussi d'autres atouts. Et l'épée de feu est l'un d'entre eux.
Awenar hoche la tête en signe d'assentiment.
- Vous allez devoir rejoindre nos souverains, Maître Owen, pour obtenir leur accord.
- Soit, répond Owen. Mais cela signifie un long cheminement.
- Il ne peut en être autrement.
Owen n'ajoute rien. Olaf ne s'est permis aucune intervention dans cette discussion : Owen est celui qui connaît le mieux les petites personnes. Olaf se doutait que la négociation serait difficile, mais il a aussi le sentiment que son ami n'a pas tout dit.
**
Il est difficile, dans les grandes profondeurs, d'avoir conscience des heures qui passent, cependant, la fatigue des longues chevauchées et marches, celle liée aussi aux inquiétudes, aux combats, font que tous aspirent à un peu de repos. La caverne qui leur sert de refuge est cependant très confortable et meublée. Kaïra, comme ses suivantes et Dame Hilayna, y a trouvé fauteuils et lits. Pour les Gardiens, habitués aux voyages et au grand air, dormir à même le sol n'aurait pas été un problème, mais pendant qu'ils discutaient avec Awenar, des lits ont aussi été apportés pour eux trois et placés dans un autre recoin de la caverne. Intérieurement, Owen sourit. Il lui sera difficile de passer un moment seul avec Kaïra, pourtant ils doivent parler, tous les deux.
C'est elle cependant qui demande, discrètement, à Siwu la possibilité de s'isoler en toute sécurité. Ce à quoi le Gronfall répond avec malice :
- Qu'auriez-vous à craindre avec un Gardien à vos côtés, Majesté ?
- Rien, Messire Siwu, mais je veux lui parler loin d'oreilles indiscrètes.
- Même de celles de Dame Hilayna ?
- Même de celles de Dame Hilayna.
Siwu semble réfléchir, puis dit :
- Venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose.
Et il lui désigne le fond de la grotte, là où le ruisseau émerge d'un chaos rocheux avant de former le grand bassin. Une petite pointe rocheuse s'avance vers l'eau et il est possible de la contourner aisément.
- Je vais dire à Owen d'aller là-bas, après le repas. Pendant que tout le monde s'activera à ranger et préparer les lits. Je vous y mènerai ensuite.
- Merci, Messire Siwu.
Le Gronfall sourit. Et Kaïra se demande s'il est dans la nature de tous les Gronfalls d'être aussi malicieux et coquins que Siwu ou si cela lui est propre.
Le repas est pris dans une ambiance plutôt sérieuse, mais très vite, les récits des petites personnes l'égaient. Owen, Olaf et Siwu sont mis à contribution pour traduire leurs paroles et avant la fin du repas, on entend résonner plus d'un éclat de rire. Même Alora accompagne les suivantes de la reine de son rire léger.
Puis, alors que Dame Hilayna veille à la préparation du lit de la reine, Siwu conduit discrètement cette dernière vers le bassin et la source. Owen l'y attend.
**
Kaïra vient se blottir dans ses bras, et ils demeurent ainsi un long moment, appréciant l'un comme l'autre de pouvoir enfin s'étreindre loin des regards.
- J'ai beaucoup à vous dire, mon aimée, commence Owen après l'avoir embrassée.
- J'ai aussi à vous dire, Owen, répond Kaïra. Mais vous, d'abord. Pensez-vous obtenir l'accord des Gronfalls pour trouver l'épée ?
Owen sourit. Kaïra a perçu l'urgence de leur situation, mais aussi son aspect délicat.
- Pas directement. Rejoindre le prince et la princesse prendrait trop de temps. Envoyer un messager et nous diriger vers l'endroit où se trouve l'épée en lui demandant de nous y rejoindre avec leur réponse, de même. Nous ne pouvons attendre. Si les Gardiens menés par le Grand Maître se retrouvent seuls face au Seigneur des Ténèbres, même avec l'union de toutes leurs forces mentales et physiques, je crains qu'ils ne parviennent à le vaincre. Nous avons besoin de forces autres que les nôtres pour y parvenir.
- Et cette épée de feu en fait partie ?
- Oui, mais elle n'est pas le seul élément dont nous aurons besoin. La corne de la licorne en est un, et...
- La licorne... Owen, dites-moi la vérité..., demande Kaïra avec le visage anxieux.
Le jeune Gardien hésite, puis dit :
- Elle est morte. Mais elle était encore à l'agonie quand nous sommes arrivés, Olaf, Alora et moi-même. Il était trop tard pour la sauver et, de toute façon, nos connaissances auraient été inutiles face à ses blessures. Elle venait d'un monde autre, et seuls les savoirs de ce monde auraient pu la sauver.
Il reste silencieux, revoyant la scène qu'il avait découverte dans les jardins. Devinant qu'il ne lui dit pas tout, Kaïra insiste :
- Vous m'avez dit, Owen... Beaucoup des miens sont morts... Qui d'autre ?
Il hésite encore, puis avoue :
- Parmi ceux que j'ai reconnus, se trouvaient vos deux conseillers. Et... et aussi, Maître Gafori.
A cette annonce, Kaïra pâlit violemment. Mais Owen poursuit, tout en resserrant son étreinte autour d'elle :
- Il se trouvait aux côtés de la licorne. De ce que j'en ai déduit, il a tenté de la protéger le plus possible... Et je pense que cette protection n'a pas été vaine, car il a permis en se sacrifiant que les blessures infligées à la licorne ne la tuent pas sur le coup. J'ignore si son agonie a été longue ou pas, sans doute que oui, mais elle a pu me délivrer un dernier message avant de mourir.
- Lequel ?
- Elle m'a dit que vous étiez sauve, ce que j'ai pu constater en visitant le palais par la suite, et de même que Dame Flonara me l'a confirmé. Mais elle m'a dit aussi qu'elle vous avait confié une petite feuille et que je pouvais prendre sa corne.
- Oui, avant que nous partions, j'ai tenté de la décider à venir avec nous, mais j'ai échoué, poursuit Kaïra d'une voix faible, encore marquée par l'annonce de ces morts. Mais elle a tenu à me donner cette petite feuille en me disant que vous en auriez besoin...
- Oui. Je vais avoir besoin de sa magie pour prendre l'épée.
- C'est impossible autrement ?
- Aucun être humain n'a jamais pu toucher l'épée sans mourir, Siwu l'a dit tout à l'heure et c'est la vérité, répond Owen.
- Vous pensez que la feuille vous assurera une protection suffisante ?
- Je l'espère, sourit Owen.
Puis il l'attire vers lui, plonge son regard dans le sien et l'embrasse longuement. Kaïra lui répond avec passion, refermant ses bras autour de la taille du jeune homme.
- Owen..., soupire-t-elle quand ils rompent leur baiser. Survivrons-nous à cela ?
- C'est vivre ou mourir, mon aimée. Nous n'avons pas le choix... Mais vous aviez des choses à me dire aussi...
Le jeune souveraine lève son visage vers Owen et murmure :
- C'est important... Mais peut-être moins que tout ce que vous m'avez dit. Je ne suis pas sûre encore... Je veux dire, pas sûre comme une femme peut l'être habituellement, mais la licorne m'a délivré un autre message durant votre absence. J'attends notre enfant, Owen.
Il la fixe sans dire un mot, le regard brillant. Puis la reprend contre lui, l'embrassant sur la tempe avant de prendre ses lèvres à nouveau.
- Mon aimée... si tôt...
- Oui, répond-elle avec ferveur. Mais peut-être le destin le voulait-il...
- Je vais regretter une chose... C'est de ne pouvoir dormir à vos côtés dans les prochaines heures.
**
Dame Hilayna s'est accommodée du confort spartiate sans trop de difficulté. Elle a beaucoup plus souffert de leur chevauchée que d'avoir cheminé dans les entrailles de la terre et d'y attendre les Gardiens. Maintenant qu'elles ont pu prendre un peu de repos, elle s'inquiète à nouveau. Continuant à tenir son rôle, elle a veillé à ce que la couche de sa jeune souveraine soit la plus confortable possible et n'a pas manqué de demander une couverture supplémentaire aux Gronfalls.
Mais ces préparatifs étant terminés, elle se soucie maintenant de l'endroit où se trouve la reine. Maître Olaf n'étant pas loin, elle s'approche et lui demande s'il l'a vue.
- Pas depuis la fin du dîner, Dame Hilayna, répond-il simplement. Demandez à Siwu...
- Mais où est Siwu ?
Le regard de l'austère gouvernante fait le tour du vaste espace. Il s'arrête sur une petite silhouette qui se dessine en contre-jour de la lumière émanant du bassin, assez loin. Il lui semble bien que c'est leur petit ami et elle se dirige droit vers lui. En la voyant approcher, le Gronfall se relève et se dirige vers elle d'un pas décidé.
- Ah, Messire Siwu ! Je suis bien heureuse de vous trouver !
- Que puis-je pour vous, Dame Hilayna ?
- Savez-vous où est la reine ?
- Oui, je le sais.
- Fort bien ! Et donc, où se trouve-t-elle ?
- Peut-être ne souhaite-t-elle pas que je vous le dise...
- Comment cela ? En voilà bien des mystères !
Sans lui répondre, il s'éloigne un peu, ce qui laisse Dame Hilayna profondément estomaquée, avant qu'il lui fasse un petit signe. Il est monté sur un rocher. Elle s'approche, pensant qu'il va lui désigner l'endroit où se trouve Kaïra, mais il n'en est rien. Il se dresse sur la pointe de ses pieds et peut ainsi lui parler à l'oreille :
- La reine est en sécurité.
- Mais encore !?
- Elle est avec son époux.
Dame Hilayna se redresse, fronce un peu les sourcils, mais se dit qu'elle ne peut faire aucune objection à cela. Après tout, Owen a désormais des droits qu'elle ne peut contester... et qu'elle lui a même octroyés !
- Bien, bien, dit-elle en se tenant bien droite. J'espère qu'elle n'en oubliera pas de venir dormir...
- Je ne pense pas qu'elle oubliera, répond Siwu en souriant d'un air malicieux.
- Que voulez-vous dire, Messire Siwu ?
- Oh, rien...
Et il saute de son rocher pour retourner s'asseoir là où il était précédemment. Hilayna hésite à le suivre, puis comprend qu'il assure là une sorte de veille : derrière la petite pointe, il est possible que la reine et Owen s'entretiennent secrètement. Il a peut-être des choses importantes à lui dire sur ce qui s'est produit à Rankir. Elle se promet d'interroger sa souveraine dès que cela sera possible. Elle aussi se demande ce qu'il est advenu de bien des leurs...
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