Chapitre 33 : Le prince Jarbek (première partie)
Le jour est déjà levé depuis un moment, quand la petite troupe des Gardiens et des appelés s'avance à travers la plaine vers la ville de Sala, s'approchant de l'entrée principale. Sur la route qui serpente à travers champs, il y a beaucoup de monde. Des paysans entrent dans la ville pour y vendre quelques produits, des chariots chargés de biens roulent au pas, des soldats, nombreux, vont et viennent, entrant ou sortant de la cité. Mais tous s'écartent pour laisser passer les Gardiens des Origines. Alors qu'ils ne sont plus qu'à une demi-lieue de la porte principale, quelques soldats sortent précipitamment et se dirigent droit vers eux. Le Grand Maître, qui mène les siens, fait arrêter sa petite troupe. Un soldat s'avance vers lui :
- Grand Maître, soyez le bienvenu en Sala. Le prince Galiané n'est pas revenu en sa ville, mais la princesse Jébora est toujours présente. Elle nous a envoyés pour vous escorter jusqu'au palais royal.
- Merci à vous, répond le Grand Maître. Nous sommes nombreux, peut-être sera-t-il plus simple que nous restions en-dehors de la ville.
- Vous êtes tous conviés auprès de la princesse, répond le soldat.
Le Grand Maître comprend à l'attitude des hommes qui le suivent qu'il vaut mieux obtempérer. Certes, les siens pourraient aisément mettre à mal ces quelques soldats, mais le but n'est pas de combattre. Il dit alors simplement :
- Nous vous suivons.
Si les Gardiens ne laissent rien apparaître, les appelés quant à eux franchissent la grande porte de la ville avec une certaine appréhension. Tous ont ressenti les signes néfastes, certains ont fait des rêves cruels. La plupart de ces jeunes gens et jeunes filles ne sont pas encore bien armés pour les décrypter, malgré le soutien de leurs Maîtres et Maîtresses, et ils s'interrogent sur leur séjour en Sala.
La petite troupe de soldats les escorte à travers la ville, les menant jusqu'au palais. Le Grand Maître connaît bien les lieux, pour y être déjà venu plusieurs fois, y compris récemment. Il est surtout attentif au comportement des gens dans la rue, aux ondes qu'il peut percevoir au-delà des murs. Il ressent assez précisément des présences négatives et, sous le calme et la nonchalance apparents, il devine bien des traîtrises. Et, déjà, il s'inquiète d'avoir laissé Onev seul ici et se dit qu'il ordonnera aux siens de ne jamais rester isolés.
Ils pénètrent dans la grande cour pavée du palais et, aussitôt, des palefreniers viennent s'occuper de leurs chevaux. Des serviteurs les conduisent jusqu'à une grande et belle salle où ils peuvent prendre un peu de repos, mais le Grand Maître demande bien vite à pouvoir s'entretenir avec Jébora. Elle le reçoit sans tarder et il se rend auprès d'elle en compagnie d'Alana.
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- Grand Maître, bienvenue à vous, dit Jébora en s'inclinant légèrement avec déférence devant lui.
- Merci de votre accueil, Princesse.
- Vous êtes bien nombreux à venir jusqu'à nous.
- En effet, répond le Grand Maître avec autorité. Nous avons quitté le Conseil des Gardiens tous ensemble, y compris avec les appelés, car l'heure est très grave.
- Que se passe-t-il donc ? s'alarme Jébora.
- Des forces contraires à l'équilibre de ce monde sont à l'œuvre, Princesse. Et certaines de ces forces agissent depuis votre royaume. Il est plus que nécessaire que nous intervenions. J'espère recevoir votre assentiment, voire votre aide.
- Mes frères sont absents, comme vous le savez, et je tiens seule les rênes du royaume. Je ne peux prendre de décisions d'envergure en leur absence, mais je vous aiderai au mieux.
- Je vous remercie de votre soutien. Avez-vous des nouvelles de vos frères ?
Le visage de Jébora se ferme :
- Pas depuis de longues journées. Cela devient préoccupant. Comment se fait-il qu'ils restent si longtemps en Rankir ? La reine n'a-t-elle pas trouvé un époux ?
- La décision de la reine est suspendue, répond d'une voix tout aussi ferme le Grand Maître. Pour l'heure, nous avons des choses bien plus préoccupantes à régler que le choix d'un époux pour une souveraine.
- Alors il serait temps que mes frères rentrent ici ! Ils n'ont plus rien à faire en Rankir ! s'écrie Jébora.
- Il va falloir les faire prévenir, en effet, répond le Grand Maître. Mais tout d'abord, Princesse, sachez que nous sommes aussi venus car ce qui nous a alertés sont des signes que nous avons reçus concernant l'un des nôtres, Maître Onev, à qui j'avais demandé de rester auprès de vous.
Jébora se détourne et va reprendre place dans son fauteuil, légèrement surélevé, presque un trône, comme ne manquent pas de le remarquer le Grand Maître et Alana.
- J'ignore ce qui s'est produit, dit-elle. Mais son séjour se déroulait sans soucis, j'avais eu l'occasion de m'entretenir avec lui plusieurs fois. Mon jeune frère aussi, d'ailleurs. Puis, un matin, j'ai été alertée. Il avait disparu. Nous avons mis plus d'une journée à retrouver… son corps. Ignorante de vos pratiques, j'ai fait cependant procéder à deux journées de deuil et à une cérémonie, ainsi que, bien entendu, à la conservation du corps selon nos rites. Il se trouve dans la crypte sacrée, la crypte royale.
Alana perçoit la sincérité de Jébora. Autant elle a deviné bien des silences et des doubles-sens à ses précédentes paroles, autant elle la sait sincère quand elle parle de la mort d'Onev.
- Je vous demande la possibilité de le voir, dit le Grand Maître. Nous devons procéder à certains rites, en effet.
- Je vais demander à ce que vous soyez conduits à la crypte, dit Jébora.
Le Grand Maître et Alana prennent alors congé et vont rejoindre les autres Gardiens. L'annonce de la confirmation de la mort d'Onev les plonge tous dans un profond silence et une grande peine : ainsi ce qu'ils avaient craint s'est bien produit. L'un des leurs est tombé. Mais il leur faudra attendre que le Grand Maître ait pu voir le corps pour en conclure qu'il a bien été tué par le Seigneur des Ténèbres, ou du moins, un de ses bras armés.
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