Owen se rend directement dans la grande salle où sont encore présents quelques Gardiens qui assurent la garde. En le voyant entrer, le Grand Maître vient aussitôt vers lui et lui dit :

- Nous devons parler à nouveau tous les deux. Je suis heureux que tu sois là.

- La reine se repose, Olaf et Adena sont restés auprès d'elle. Avec Siwu et Limur, bien entendu.

- Ce sont deux gardes précieux que l'archer et le Gronfall, dit le Grand Maître.

- Oui. Limur sera très prudent et il voit aussi bien des choses.

- Owen, les Esprits sont avec toi. Cela me réconforte et donne du courage à tous. Chacun, chacune, même les appelés, ont compris que tu allais jouer un rôle important. Je crois que tu es prêt, aussi, du moins, c'est ce que je perçois.

- Je sais que les Esprits seront avec nous, Grand Maître. Depuis longtemps, Ils s'inquiètent de ce qui se trame et nous ont alertés. Mais je ne serai fort qu'avec vous tous.

- Pas seulement avec nous. Ce n'est pas uniquement pour demander justice que la reine Kaïra est ici, n'est-ce pas ? Tu as fait le choix de te porter en Rankir, mais tu es arrivé trop tard pour empêcher le massacre. Même si tu y étais parvenu à temps, et qu'Olek, Olaf et toi-même aviez uni vos forces, vous n'auriez rien pu empêcher.

- Je le sais. Je n'avais pas encore l'épée, répond Owen. C'est le dernier message que la licorne m'a adressé. Celui de la trouver.

- Les Gronfalls t'ont laissé passer... Ils ne manqueront jamais de m'étonner.

- Je crois qu'ils ont compris qu'ils n'avaient pas le choix et que quelque chose nous dépassant tous était en cours. Et l'épée fait partie de ce grand tout en mouvement.

Le Grand Maître hoche la tête.

- Raconte-moi de façon plus détaillée comment tu as pu prendre l'épée. Aucun humain ne l'avait fait depuis des temps si anciens... et aucun des Grands Maîtres des Gardiens, depuis cette époque, ne se serait risqué à y poser la main.

Les deux hommes se sont un peu isolés dans la pièce, près de la grande cheminée. Les autres Gardiens qui demeuraient là se sont éloignés, comprenant que le Grand Maître et Owen doivent s'entretenir avec discrétion. Ils savent aussi que les éléments importants de cet échange leur seront communiqués par la suite. C'est aussi le propre des Gardiens de demeurer mystérieux, y compris entre eux.

- Siwu nous a conduits jusqu'à l'épée. Là, comme je vous l'ai dit, nous sentions la présence très forte des Esprits. Tous avaient Leur marque, mais, bien entendu, l'Esprit de la Terre était le plus prégnant. Mais l'Eau, l'Air, le Feu étaient là aussi. Nous avons entamé notre voyage, Olaf, Alora et moi-même. Très vite, nous avons senti la présence des Esprits autour de nous. Pour moi-même, l'Esprit du Feu était le plus présent, m'invitant à prendre l'épée. Son message était plus clair encore que ceux qu'Il m'avait adressés par le passé. Je savais ce que je devais faire et j'étais prêt à le faire. Cependant...

Owen marque une courte pause, ses sourcils se froncent un bref instant. Le Grand Maître note cette hésitation, mais ne dit rien, attendant, confiant, la suite du récit du jeune homme.

- Cependant, reprend Owen, il s'est produit quelque chose de totalement imprévu, inattendu. Alors que nous étions prêts à revenir, j'ai senti que nous n'étions pas seuls et j'ai découvert avec stupéfaction que la reine Kaïra avait été entraînée par les Esprits. Je pensais qu'elle et Siwu se trouvaient assez loin du foyer des Esprits, qu'ils étaient à l'abri...

- Comment s'est-elle retrouvée là ?

- Je l'ignore. Je sais juste qu'Olaf n'a pas perçu sa présence, de même qu'Alora. Elle était protégée par l'Esprit de l'Air. Protégée, mais aussi entraînée. Quand je suis revenu à moi, j'ai entendu Siwu qui tentait de la réveiller. Quand elle est parvenue à reprendre ses esprits, elle m'a simplement dit, je devrais même dire qu'elle m'a ordonné, de prendre l'épée. J'ai eu le sentiment que les Esprits parlaient à travers elle.

Le Grand Maître hoche la tête. Il arrive parfois, en effet, que les Esprits s'emparent d'une personne pour exprimer quelque chose. Ce phénomène est assez rare, cependant, et, lui-même n'a été témoin de cela que par deux fois. Et encore, cela s'était produit à travers des Gardiens et non de simples mortels.

- Comment a-t-elle supporté ce voyage ? s'inquiète le Grand Maître.

- Elle en est revenue très fatiguée. Elle fait aussi des rêves très... troublants. L'esprit du sinuire la poursuit.

- Cela était à craindre.

- Je perçois sa présence, moi aussi.

- Cela est plus normal : je t'avais dit que tu aurais à l'affronter à nouveau.

- Je le sais.

Le Grand Maître demeure un moment silencieux et Owen n'ose l'interrompre.

- Les souverains de Rankir ont toujours été proches des Gardiens, reprend le Grand Maître, rompant ainsi le silence. Ils ont été parmi les premiers, tu le sais, à reconnaître notre Ordre et à œuvrer avec nous, à leur façon, pour asseoir la paix en ce monde. Il est cependant une chose que tu ignores et qui peut expliquer pourquoi la reine Kaïra a été entraînée par les Esprits. Le dernier détenteur de l'épée de feu était de la lignée de Rankir. C'était un grand chevalier. Il aurait pu être un Gardien, il possédait bien des aptitudes pour l'être, mais il avait refusé cette possibilité.

- Est-ce à dire que seul un souverain ou seule une souveraine de Rankir pouvait autoriser quelqu'un à prendre l'épée ? demande Owen, étonné.

- En quelque sorte, oui, dit le Grand Maître. Mais je pense néanmoins qu'il fallait surtout l'accord de l'Esprit du Feu pour cela.

Owen opine : il pense en effet que si l'Esprit du Feu ne lui avait pas été favorable, il aurait, comme ceux qui avaient tenté l'aventure avant lui, péri en la touchant.

- Elle sera une arme décisive dans le combat qui s'annonce, dit le Grand Maître. Elle sera aussi notre principal atout.

- Elle ne sera pas le seul, dit Owen.

Le Grand Maître le fixe un moment, puis Owen ose demander :

- Grand Maître, je m'interroge sur ce que nous devons faire à présent. Nous savons que les serviteurs du Seigneur des Ténèbres sont à Sala, la mort a frappé le prince Galiané et quelques-uns de ses hommes. Onev a péri, ici-même, des coups portés par le Seigneur des Ténèbres. Que devons-nous faire ? Devons-nous attendre qu'il se manifeste à nouveau pour le combattre ou devons-nous provoquer sa venue ?

- C'est une grave question, soupire le Grand Maître, et je me la pose depuis que nous sommes arrivés à Sala. Et encore plus, depuis ce matin que vous nous avez rejoints. Nous sommes maintenant tous ensemble, nous pouvons tous unir nos forces, nos ondes, pour combattre. Nous possédons l'épée de feu. Tu as le soutien des Esprits. Nous pourrions en effet provoquer la venue du Seigneur des Ténèbres, afin de le combattre au moment où nous l'aurons décidé, avec toute notre force et avant que lui-même ne puisse renforcer la sienne. Mais, pour l'heure, nous ne ferons rien tant que la dépouille du prince Galiané n'aura pas été portée dans la crypte sacrée. Je ne pense pas non plus que Bramé tentera quoi que ce soit d'ici là.

Owen hoche la tête. Il partage l'avis du Grand Maître.

- Aucun élément ne nous a été donné sur la façon dont nous devions agir, n'est-ce pas ?

- Non, aucun. Les Esprits ne m'ont pas apporté la moindre précision à ce sujet. C'était aussi pour cela que je voulais vous entendre tous les quatre avec attention : peut-être auriez-vous reçu un élément pour nous guider.

- Nous aviserons donc demain, après la cérémonie, dit Owen.

- Oui, dit le Grand Maître.

Ce dernier se redresse et reste un moment debout, devant le grand feu. Owen se lève à son tour. Le Grand Maître pose la main sur son épaule et dit :

- Ce combat avant tout, Owen. Il est ce qui doit nous habiter. Nous ne devons pas faillir, et toi, encore moins que nous autres.

- Je le sais. Je ne faillirai pas.

- Alors, va. Prends un peu de repos. Tu auras besoin de toutes tes forces et de toutes tes facultés dans les heures à venir.

La main du Grand Maître est restée posée sur l'épaule d'Owen, tout le temps de ce bref échange, et le jeune homme lui répond alors en posant sa propre main sur l'épaule de leur guide. Ce geste ne passe pas inaperçu aux yeux des quelques Gardiens qui se trouvent encore dans la grande salle, même s'ils n'ont pas entendu les propos qui se tenaient. Pour eux, c'est le signe qu'Owen et le Grand Maître sont désormais comme un seule entité, deux guides, qu'ils ont le même statut.