Chapitre 3

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Les jours suivants se ressemblèrent comme à l’accoutumée, tout le monde s’efforçant de faire comme si de rien ne s’était passé, la routine bien huilée n'en avait été affectée d'aucune manière. Tout semblait inchangé, immuable. Pourtant, cette nouvelle fracassante était dans toutes les têtes, et dans les détails, conditionnait de légères mutations à peine discernables de prime abord. Alors que je n’étais qu’un matricule comme un autre, les gens me regardaient à présent, plantaient littéralement leur regard en moi pour tenter de percer l’insondable. Ça ne durait pas bien longtemps, mais jusqu’à maintenant les gens s’en tenaient à une règle tacite qui faisait que chaque interaction avec l’autre se devait d’être la plus superficielle possible, pleine de politesse et interdisant toute profondeur dans les échanges. À présent, ces regards directs me semblaient extrêmement intrusifs et pour tout dire me mettaient très mal à l’aise.

Dorénavant, la donne avait changé. Et je n’y étais pas du tout préparé. Je mangeais seul désormais. Plus la peine de chercher une place disponible à une tablée, un espace rien que pour moi avait été installé. Il faut dire que les premiers jours, les gens, toujours très affables, s’en allaient dans une précipitation contenue, mais malgré tout bien réelle. Je pense que ça a dû perturber le fonctionnement du service de table et qu’ils n’ont trouvé que ce pis-aller pour faire au mieux. Ainsi donc j’avais maintenant ma table, solitaire. À un emplacement un peu à part et près des différentes commodités, histoire que je n’aie pas à nouveau à traverser ce très grand réfectoire en focalisant toute l’attention. Ça avait dû vraiment perturber la boîte pour qu’ils en arrivent à mettre en place ce si singulier système. Malgré tout, cette mise à l’écart m’était très pénible.

Inutile de faire le décompte des mille petites choses qui furent irrémédiablement bouleversées. Je m’efforçais de faire de mon mieux pour m’acquitter comme avant de la tâche qui m’était octroyée et pour laquelle je bénéficiais comme les autres de l’essentiel à ma subsistance. Seulement cela aussi subit un changement. Et pas des moindres. Au fil des jours de moins en moins de travail me parvenait. Je me suis dit que c’était cette « compréhension » de la part de mes chefs qui amenait cet état de fait. Pourtant, moi, j'avais besoin de me changer les idées, de me plonger dans ce travail, de faire des heures supplémentaires pour ne plus avoir à penser obsessivement à cette convocation. Je finis par retourner voir la secrétaire de ma cellule, qui fut littéralement incapable de sortir la moindre phrase intelligible de sa bouche, toute déstabilisée qu’elle était par cette requête, qui je dois bien le dire, ne devait pas être très courante vu que notre ouvrage était planifié dans les moindres détails. Que quelqu’un se permette de demander des tâches supplémentaires, c’était remettre fondamentalement en question le fonctionnement du système. Et ça aussi, c’était inédit.

En-tout-cas, je me souviendrais longtemps de sa bouche s’ouvrant et se fermant comme une carpe hors de l’eau, les yeux perdus, affolés et le teint livide. Mais rien n’y fit, j’avais toujours de moins en moins de travail et pas d’explication à cela non plus. Je m’aperçus aussi que les horaires très stricts d’embauche ne m’étaient plus appliqué. En somme, je n’avais plus aucune tâche à effectuer et je pouvais faire ce que bon me semblait. Pas banal comme situation. Que faire de cette liberté, de ce temps nouvellement inoccupé alors que je n’aspirais qu’à une seule chose, à savoir tenir mon cerveau embesogné, ne plus penser à cette convocation, aux conséquences qui bouleversaient ma vie ? Je voulais que rien n’eût changé, je voulais revenir à avant, redevenir un employé modèle comme les autres. Ni plus ni moins. Mais a priori ce ne serait pas le cas…

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