Chapitre 5
Je mis la main sur la poignée de porte du Sourcilleux. J’allai pour la retirer précipitamment à ce contact glacé et métallique, mais dans le même temps, encore sous le coup de sang qui m’avait amené jusqu’ici, je ne fus pas franchement décidé à me retirer. J’y étais, j’y resterais. Cependant, je devins écarlate, la paume de ma main se fit poisseuse, moite et le sang me battit aux tempes. Des gouttes de sueur perlèrent au sol pendant que mes phalanges, à force de triturer convulsivement cette pauvre poignée, devinrent blanches. Je me cramponnai douloureusement à ce bec-de-cane qui devint chaud au contact de ma main. Brûlant pour être exact. Et l’incroyable se produisit, car sous les spasmes de ma main, la clenche finit par glisser et alors s’ouvrit la porte. L’antre s’offrait à moi.
Tout se précipita. Je lâchai la poignée, la porte s’ouvrit encore plus, en grand, tapa contre un meuble derrière elle, la lumière qui se déversait de par la fenêtre m’aveugla dans le même mouvement. Et une voix de stentor résonna aussitôt, m’invectivant sous un flot continu d’injures de tous poils. Je passai alors le chambranle dans une précipitation bien maladroite. Il le fallait bien, nom d’un chien, pour reprendre cette poignée devenue insaisissable de mouillure ! Pendant ce temps, j’agonis sous le verbe hurlé et d’une verdeur sidérante que ma mère aurait réprouvé, c’est certain ! Je finis par avoir prise sur cette satanée porte et la refermai. Moi à l’intérieur. Mais nom de Dieu, la grande question se résuma à pourquoi étais-je aussi tarte ! « Vous n’avez pas trouvé mieux pour faire pire ? Ce n’est pas possible d’être aussi con qu’une bite ! » fusèrent parmi d’autres phrases toutes aussi méchantes, blessantes et malpolies. Mon cœur battit la chamade et je vis trouble. Mais pourquoi ? Pourquoi ?! N’arrêtai-je pas de me demander, n’arrivant absolument pas à trouver une solution pour fuir ce bureau et cette furie verbale qui s’abattit sur moi comme une pluie tropicale en pleine mousson.
Et je tambourinai sur cette garce de porte ne sachant plus s’il fallut tirer ou pousser puisque rien ne l’ébranla alors que pis que pendre fut proféré à mon endroit. Mille petits objets de bureaux me furent ainsi jetés à la tête, puis des objets plus lourds se fracassèrent tout autour de moi. Si je devais continuer à filer la métaphore météorologique, il ne s’agissait plus depuis longtemps d’une pluie de mousson, mais bel et bien d’une tempête. Et ça allait s’amplifiant ! Je n’eus que le temps de me retourner pour voir jaillir sur moi dans un éclair funèbre le Sourcilleux. Je ne saisis visuellement qu’un long et épais sombre sourcil noir, de petits yeux luisants dans cette broussaille opaque et juste en dessous, à peine gêné par un gros nez volumineux et un peu rouge, des crocs. Luisants, jaunes, baveux, épais, triangulaires et claquant dans le vide. Était-il seulement possible de vivre pareille frayeur ? Je ne pensai plus, je ne fus mû que par une terreur quasi-épileptique et distribuai autant de coups qu’il me fut possible de donner, même si je me rendis bien compte qu’une bonne partie dut violenter le vide plus que ce possédé. Folie hystérique où les coups s’échangèrent dans une vraie joute, une lutte de chaque instant, ses dents mordant bien trop souvent dans mes chairs, le sang giclant en d’affreuses éclaboussures sur les murs, partout.
C’est pourtant exsangue de fatigue que ce rude combat prit fin. Nous roulâmes chacun sur le flanc, reprenant notre souffle par saccade et épuisés, nous dûmes finir par nous endormir. Je ne sais pas si cela dura cinq minutes ou plusieurs heures, la lumière arrivait pourtant avec moins d’intensité par la baie vitrée. Le bureau était littéralement retourné, ravagé, sans dessus dessous. J’avais mal partout dans les membres, mes manches de chemises étaient dévorées, tachées de sang, mes bras n’étaient que plaies d’un rouge noirâtre. Et une de mes jambes était lourdement immobilisée par un fourmillement qui devenait intolérable. Forcément, le Sourcilleux y était couché en travers de toute sa masse bouffie. Je me souvins, avant de tomber dans une sorte de transe plus ou moins consciente, lui avoir refait la mâchoire avec des objets en métal dans une véritable frénésie alors qu’il hurlait mille insanités en essayant de me dévorer tout vif. Les murs qui devaient être d’une blancheur virginale avant notre corps contre corps étaient écarlates et mouillés de sang, en grandes giclures. Mais comment étais-je encore vivant avec tout ce sang qui poissait toutes surfaces visibles ?
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