VIOLINE - ou quand deux MOI se rencontrent
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Par un après-midi d'hiver, un tracteur passe sur l'étroite route crottée du village. Les toits des maisonnées fument et invitent à venir se réchauffer. À une fenêtre, une vieille dame secoue un tapis terni par les années. Juste à côté, se tient la maison des Luvillier. Une courette parsemée de plantes, un potager largement garni, une cuisine aux odeurs alléchantes. Et un salon...ouh là ! Un salon sans dessus-dessous :
- Mon Dieu comment ai-je fait pour entasser tout ça ! Nooooooon ! C'est quoi ce vieux bouquin ! Oh là là ! Et ces vieilles fringues ! Hh ! Ma robe ! Je l'avais oubliée ! Mon Dieu quelle horreur ! Mais comment ai-je pu mettre ça ? C'est maman ça ! Qui me l'avait achetée !
- Que dalle, tu te fous de moi ?
- AA ! Oh mon Dieu !! OH MON DIEU !!
- Donne-moi ça tu l'abîmes ! C'était pas un cadeau de maman, c'est notre première paye ! Comment peux-tu l'avoir oublié !
- C'est impossible...
- Maman est tellement radine qu'elle préférerait se pendre plutôt que de faire plaisir à sa fille !
- Maman...
- Exactement !
- Maman était, Violine, maman était. Hum. Ne parle pas d'elle comme ça.
- Hh ! … Maman est morte ? Mon Dieu, mais tu es encore jeune ! Quelle âge as-tu ? Que s'est-il passé ?
- Calme-toi Violine, euh...assied-toi là, je vais te servir du thé.
- Que s'est-il passé dis-moi ?
- C'est du thé à la menthe.
- Violine ?! Combien de temps me reste-t-il avec maman ? Violine !
- Tu veux un sucre ? Bien sûr que non, quelle idiote, je devrais le savoir...
- Ma venue te bouleverse, je le vois bien. Mais j'avais tellement envie...
- Pour tout te dire, je préférerais que tu t'en ailles.
- Non, je t'en prie, laisse-moi rester !
- Ben tiens ! Comme si j'avais le choix...
- Pardon ?!
- Je ne sais même pas comment tu es arrivée.
- Hein ?! Mais Violine, tu le sais bien enfin ! Nous sommes en 1990, j'ai quinze ans et je suis allongée sur le canapé de Dan. Et je crois que j'ai enfin réussi ma première projection astrale ! Comment me vois-tu ?
- Daniel...Je me demande ce qu'il est devenu...
- Eh !! Eh oh ! Tu fais attention à moi ?
- Désolée Violine, ça remue beaucoup de souvenirs tout ça.
- Dis-moi, tu as connu ça hein, la projection ? Tu devrais avoir vécu ce que je suis en train de vivre n'est-ce-pas ?
- …
- Tu t'en souviens Violine ? Violine !
- Oui, oui, je m'en souviens. Enfin...Je me souviens de Daniel, la drogue...
- ...Et ?
- Je ne me souviens pas des délires qui s'ensuivaient.
- Déliiiiires ??? Tu te fous de moi ? Tu te fous de moi Violine ? Des déliiiires ?
- Arrête ! Ce n'est pas la peine de me parler sur ce ton ! Je ne vais pas tenter de t'expliquer ce que j'ai mis des années à réaliser ! Je suis là, profites-en pour que ce soit productif, nom de Dieu ! Tu as des questions à me poser ? Pose-les moi ! Et fais en sorte que ce soit intelligent !
- Tu touches encore à la drogue ?
- Non.
- Même pas un peu, même pas...je sais pas moi, une fois par mois ?
- Non, non Violine, j'ai complètement arrêté.
- Et tu me vois, n'est-ce-pas ? Sinon tu ne me parlerais pas ! Oh mon Dieu !!!! J'ai réussi ! J'ai réussi ! C'est bel et bien une projection!! Je suis en...en quelle année est-on ?
- 2016.
- 2016 ! 2016 ! Wouhouououououououou !!!!! 2016 !! Tu te rends comptes ?? Quand je vais dire ça à Dan...
- Ffff...
- Tu me gâches le plaisir Violine, je ne m'imaginais pas aussi rabat-joie...Comment se fait-il que tu aies l'air si triste ? Tu es en train de vivre la preuve que ce que tu as vécu il y a 26 ans, n'était pas un simple délire!! Réjouis-toi bon sang !! Pourquoi n'es-tu pas plus enjouée ?
- ...
- Violine !
- Parce que j'ai travaillé dur pour oublier ce passage de ma vie ! Cette déchéance...
- Violine...
- La drogue, la misère, le rejet de la société. Il a fallu beaucoup de temps pour réintégrer un niveau social correct tu comprends. Sans maman, je serais sûrement morte une bonne quinzaine de fois. Morte défoncée ou tabassée, ou peut-être même les deux.
- …
- Et puis tout d'un coup tu arrives, et tu me dis que j'étais dans la vérité. Que la projection a vraiment marché ! Comment dois-je le prendre ?! Ça a failli me détruire !
- Je veux continuer la projection Violine.
- Je sais.
- Dis-moi comment ? Dis-moi comment la continuer sans m'abîmer !
- Je ne crois pas que ce soit possible...
- Mais bien sûr que c'est possible ! Dis-moi comment faire ! Je t'en prie Violine, tu détiens forcément la solution !
- C'est la dépendance le problème, il te faudrait arrêter la drogue. Mais sans drogue, plus de projection.
- Il faut trouver un autre moyen de se projeter, il doit forcément y en avoir un ! Je vais en parler à Dan !
- Non ! Dan est un drogué, il va te pourrir, te faire lier connaissance avec des types dix fois plus merdeux que lui.
- Qu'est ce que tu racontes ?
- Il faut que tu le quittes ! Le plus tôt sera le mieux !! J'ai perdu beaucoup trop de notre précieux temps avec lui. C'est la première chose à faire !
- Mais il en connaît tellement...
- Foutaises ! Il ne connaît strictement rien Violine, il ne sait rien du tout, crois-moi !
- Alors je le quitte... et quoi ?
- Tu reprends les études.
- Quoi ??!
- Tu dois continuer les études !
- Tu veux rire !
- Tu dois même faire de brillantes études, chérie. Tu dois être la major de ta classe, tout le temps et dans toutes les matières !
- Mais on s'en tape de toutes ces conneries, Violine ! Nous on vise bien plus haut !
- C'est exactement ce que je te dis ma belle ! Écoute-moi bien. Il faut utiliser le système. Si tu vas à l'encontre de celui-ci, la société te démontera, t'écrasera, cherchera à t'annihiler. Non, tu es bien plus maligne que ça. Tu feras de belles études, des études scientifiques, des études dans la recherche. Tu auras même une belle renommée. Et ensuite, lorsque tu seras aisée, cultivée, intelligente et respectable, alors tu pourras faire de la recherche, la recherche que tu veux ma belle. Ta recherche dans la projection. Tu seras écoutée et soutenue. Tu auras peut-être même droit à des subventions ! Oh mon Dieu ! Ça va être grandiose !
- Waouh !
- Dommage que je ne sois pas là pour voir ça.
- Mais tu le verras Violine, je viendrai te voir.
- Tu le feras ?
- Promis. Et ce jour là je t'embrasserai.
- Ça me fait tellement bizarre...
- Quoi donc ?
- D'avoir enfin fait la paix avec moi-même...Il aura fallu toutes ces années...
- Je t'aime Violine.
- T'es mignonne. Je me sens tellement mieux subitement ! Tu as une belle destinée devant toi.
- Oh oui !! J'ai tellement hâte !
- Surtout n'oublie pas, quitte-le, quitte Dan ou il t'apportera une grande souffrance.
- Dan...
- Quitte-le Violine, ou tu ne me reverras pas.
- Bien... Bien ! Je t'en fais la promesse.
- Parfait. Il est temps pour toi d'y aller, les enfants vont arriver.
- Les enfants ?
- Ne t'en fais pas, tu les rencontreras bien assez tôt. File !
- À bientôt futur moi !
- À bientôt, autre moi. Merci de ta visite....
Dans un salon jonché de vieux cartons se faufile un rayon de lumière. Une femme est allongée sur le dos, serrant une robe contre elle. Elle rit, elle pleure, elle embrasse la vie.
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