6. Le plan
Liva avait presque atteint son but. D'après ses calculs plutôt approximatifs, il devait rester une dizaine de soldats encore en vie dans l'enceinte de la bibliothèque.
Depuis qu'elle avait pris sa décision, elle n'avait pas perdu la moindre poignée de secondes. Il fallait qu'elle agisse au plus vite, avant que les corps ne soient repérés.
La jeune fille avait déjà éliminé la plupart des caporaux, afin d'avoir le plus de temps possible devant elle. En effet, l'ordre de mettre le feu au bâtiment n'allait pas tarder à retentir, mais si personne n'était là pour le lancer, elle gagnerait du temps.
Elle avait décidé de sauver la dernière bibliothèque, par principe, par loyauté envers sa défunte mère. La vision fugace qu'elle avait eu avait suffi à éveiller en elle la volonté de lutter jusqu'au bout. De vouloir préserver ce qui lui était cher, à défaut d'avoir pu sauver ceux qui comptaient pour elle.
Elle voulait aussi sauver sa paix, retrouver son indépendance, vivre comme elle l'entendait, loin de la barbarie de l'armée.
Et si en désertant, elle pouvait éviter la destruction du dernier trésor des mémoires, alors c'était encore mieux. Elle se dépêchait donc d'agir, pour retarder le moment où les troupes ressortiraient du bâtiment pour lancer l'allumette meurtrière.
Elle avait déjà discrètement assassiné tous les soldats du rez-de-chaussée, sans alerter la vigilance des autres, ne restaient plus que ceux du premier étage. Elle attendait qu'ils descendent un à un, tapie dans l'ombre d'un recoin.
Un instant plus tard, un officier débarquait, l'air important. Sans prévenir, elle se jeta sur lui et lui lacéra la gorge d'un geste habile. Depuis qu'elle s'était retrouvée seule, sans son petit ami avec qui elle vivait depuis plusieurs mois, elle avait appris à se défendre, à se battre, à prendre des vies pour garder la sienne. Tuer lui procurait presque du soulagement, désormais. Elle songeait que c'était toujours un pourri en moins sur cette Terre.
- ...Aussitôt qu'on sortira. Mais j'attends l'ordre de Blauret, qui devait déjà m'avoir appelé, maintenant...
Liva frémit en reconnaissant la voix du sergent qu'elle détestait tant - quoiqu'elle n'appréciait de toute façon personne dans son bataillon -. L'homme descendait les marches de l'escalier du premier étage, accompagné d'un camarade.
"Mince, s'ils sont deux, j'aurais plus de mal à les avoir par surprise, s'inquiéta la jeune femme, les mains agitées de soubresauts incontrôlables. Mais il ne faut surtout pas trainer, sinon ils s'apercevront tout de suite qu'il n'y a plus personne ici..."
Les pas se rapprochaient, les deux hommes s'apprêtaient à entrer dans la salle. Liva prépara son couteau, anxieuse. Elle n'avait pas droit à l'erreur, ni à une seconde tentative. Si elle ratait son coup, elle mourrait.
- ...J'ai jamais compris ce principe merdique, ricana la grosse voix bourrue du sergent. Faut toujours, toujours que...
Liva s'était élancée dès que les soldats avaient dépassé sa cachette et avait décidé de liquider le plus coriace des deux en premier, afin d'en être rapidement débarrassée. Le deuxième homme poussa un hurlement d'effroi lorsque le sergent porta ses mains potelées à son cou déjà ensanglanté. Mais il n'eut pas le loisir de s'émouvoir davantage, car Liva lui planta sa lame aiguisée dans le ventre, puis dans le coeur, pour faire bonne mesure.
Cependant, le bref cri du soldat s'était répercuté en écho jusque dans la cage d'escalier, à moins d'un mètre de là. Aussitôt, Liva entendit des éclats de voix en provenance de l'étage supérieur, bientôt suivis de bruits de pas dans l'escalier.
"Je suis fichue, ça y est... songea-t-elle, les regrets enserrant sa gorge. Maintenant que j'ai été repérée, autant me servir de mon flingue..."
La jeune fille serra les dents lorsqu'elle se dissimula dans le même recoin baigné d'obscurité, se promettant qu'elle vendrait chèrement sa peau avant de rendre son ultime soupir. Elle ne voulait pas avoir fait tous ces efforts en vain et lutterait de son mieux.
- Bordel ! Le sergent !! J'me disais bien qu'y avait un cri pas...
Le pauvre griffeton ne put jamais achever sa phrase et commença à éructer alors que du sang coulait de son abdomen. Son collègue reçut à son tour une balle, cette fois entre les omoplates.
Liva n'attendit pas de les voir s'effondrer et commença à monter les marches de l'escalier quatre à quatre. Elle avait décidé de se jeter dans la gueule du loup en rejoignant l'étage, puisqu'il était trop tard pour la discrétion.
Une fois en haut, elle évalua rapidement la situation. Deux soldats tournaient déjà leur tête dans sa direction, d'autres patrouillaient entre les rayons de livres, bidons d'essence à bout de bras.
La jeune fille avait toujours eu de bons réflexes, ce qui lui permit d'anticiper la réaction de ses comparses.
Cinq tirs précis plus tard, seuls trois fantassins tenaient encore debout. Ils avaient cependant eu le temps de dégainer leur arme. Un homme aux longs cheveux gras, le regard dément, tira quatre coups consécutifs en direction de la jeune fille, qui sentit aussitôt une intense douleur dans son genou gauche et hurla de douleur.
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