Le pont de l'Ascension
Mémère, plutôt lasse de remplir les multiples annexes de la déclaration de revenus se disait que le petit voyage prévu au pont de l’Ascension ferait merveille puisque tout était bien bordé : météo vérifiée, petits souvenirs de Paris bien calés dans les bagages-cabine mesurés, pesés et bouclés, cartes d’embarquement imprimées.
D’entrée de jeu) Pépère téléphone « tu peux m’ouvrir ? j’ai laissé mes clefs à l’atelier ». Pas de problème, mon trousseau suffira, mais pourquoi tu n’es pas à l’interphone ? « suis dehors : j’ai oublié le code ». (Vieux con !), voilà qui promet !
Le moment venu, départ sans précipitation, métro direction Opéra, jeunes gens bien élevés qui laissent leur place aux vioques et roule ma poule.
Episode 1) Quelques stations plus loin, Mémère fouillant fiévreusement son sac : « Patriiice, je ne trouve pas ma carte bleue suédoise ! ». Bon (vieille conasse !), je t’attends sur le quai, tu as le temps de retourner la chercher.
Voilà Mémère repartie en pleine panique, continuant la fouille dans le métro et… trouvant la carte qui avait glissé au fond du sac, repartant illico en sens inverse et réapparaissant à Opéra pour y voir le Roissy-bus qui venait de démarrer. Qu’à cela ne tienne : le prochain sera là dans 20 mn. Distributeur de tickets H.S : pas grave, on paiera au chauffeur.
Lequel chauffeur arrive, gare son bus et informe les voyageurs que son lecteur de CB est H.S, il faut prendre vos tickets au distributeur « oui mais, le distributeur est H.S, Monsieur » « alors vous pouvez payer en liquide » (facile de trouver 16,20 € de monnaie !) Finalement, les uns font de la monnaie pour les autres et le bus démarre… pour s’engager dans les petites rues encombrées de travaux, livreurs, vélos, terrasses (N*que Ta Maire) et rester bloqué derrière un camion en panne.
Bref, loin des 45 mn prévues, le trajet a pris deux heures et il fallait encore rejoindre le lointain terminal 2G !
Au contrôle, Pépère, ayant oublié de grouper les flacons, doit déballer toute sa pharmacopée tandis que les chaussures de Mémère déclenchent les sonneries et nous sortons comme à l’accoutumée en chaussettes et sans ceinture pour remballer n’importe quoi n’importe où avant de courir à l’embarquement.
Episode 2) Arrivés les derniers, nous gagnons nos places sans trouver le moindre espace dans les racks à bagages et, si l’hôtesse parvient à caser un sac à dos, le second finit sous mes pieds, repoussant mes genoux sous mon menton pour la durée du vol.
La générosité d’Air-France nous alloue un sandwich et un café, dont je m’empresse de renverser la moitié sur les genoux de mon mari et l’autre dans mes chaussures qui débordent ensuite sur le sac à dos précité. Après avoir contrôlé la présence de leur gilet de sauvetage, les passagers voisins nous tendent leurs serviettes avant que l’hôtesse apporte assez d’essuie-tout pour étancher la marée noire.
Il s’ensuit une période de calme et une série d’actions effectuées sans incident et conformément au planning à Mémère : débarquer sans rien oublier à bord, prendre la navette, passer au guichet de Västtrafik pour acheter nos pass, et prendre le tram jusqu’au supermarché.
Episode 3) Sereine, mémère s’active avec sa liste de courses (tachée mais lisible sous son nappage de café) effectue quelques rectifications imposées par les ruptures de stock, s’en va flâner dans les promos, repart en arrière à la recherche du filmjölk, arrive au rayon des pains Wasa et se heurte à un mari au bord du malaise couinant « quand est-ce qu’on va poser nos bagages ? ».
Constatant qu’il avait perdu plusieurs centimètres de hauteur, je m’avise du poids de son sac à dos : à croire qu’il emporte une enclume pour être sûr d’atteindre le maximum autorisé en cabine. Retour à l’entrée, roulage d’un second caddie où transférer le bagage, redéploiement du mari à sa taille habituelle mais inquiétude sur sa capacité à servir de sherpa pour la suite du trajet.
Du coup, passons-lui le caprice inexplicable « on peut prendre du pain mou ? » (aller en Suède pour manger un genre de mauvaise baguette, c’est original !) « M’en fous du moment que j’ai mon Wasa frukost. Et ta baguette, s’il en reste tu pourras toujours te la fourrer… -oh pardon ».
Fin de l’épisode, retour au tramway d’une mémère suivie de la figure classique du gamin qui gémit « quand est-ce qu’on arrive ? » en portant, outre ses bagages, deux sacs à provisions chargés de Tetrapacks de yaourt et jus de fruits, d’une grande bouteille de Coca (quand il a des brûlures d’estomac, il les soigne au Coca. Expliquez ça si vous pouvez), d’un très gros morceau de fromage de Västerbotten, deux paquets de dammsugare, un gros tube de Kalleskaviar accompagné des indispensables citron et beurre y afférents, un pot de confiture, une caissette de biscuits à l’avoine et diverses denrées pesantes tandis que je me chargeais généreusement du pain Wasa, de la "baguette" et de deux parts de Princesstårta.
Fin de parcours sans faute : tramway, bus, débarquement vers 20 heures au pied du raidillon, traversée de la zone à moustiques et arrivée à la cabane dont, à la surprise générale, la serrure s’ouvre sans rechigner.
Episode 4) Fidèle à ses routines, Mémère pose les sacs, s’en va quérir les chaussons et actionne l’interrupteur.
C’est alors qu’il se passe… RIEN.
Il faisait encore jour et raisonnablement chaud, assez pour permettre à Pépère et Mémère d’ouvrir portes et lucarnes, dégager le compteur et appuyer sur le disjoncteur… sans succès !
D’où le programme : diner aux chandelles (froid, le diner), entassement de diverses épaisseurs de vêtements et rassemblement de toutes les couvertures disponibles. Suite à quelques claquements de dents et considérant qu’un bon niveau de ridicule était déjà atteint, Pépère ne voit aucun inconvénient à compenser l’oubli à Paris de son deuxième pull en s’affublant d’une robe de chambre duveteuse, manifestement féminine et trop petite de moitié.
Après un peu de lecture à la lumière des frontales, nuit tranquille à la faveur de l’épuisement général.
Mercredi matin : réveil sans café, et appel à Ellevio où un malheureux jeune homme perd presque 20 minutes à m’expliquer en des termes inconnus (vous savez dire « disjoncteur » en suédois ou en anglais, vous ?) comment vérifier l’installation intérieure. Il poursuivrait la recherche de pannes de réseau et rappellerait mon numéro si besoin de programmer l’intervention d’un technicien dans notre zone.
Dans cette attente, je raccroche, constate que ma charge est tombée de 40 à 10 % (« pas grave : j’ai pris la batterie de secours »), et expédie en vitesse quelques SMS aux correspondants suédois du voisinage -tous absents en cette semaine de l’Ascension- pour les aviser qu’on est là mais dans le noir.
Notons que c’est le smartphone de Mémère qui contient les numéros utiles et la SIM dont le forfait inclut les communications et l’accès à la 4G en Europe. Celui de Pépère possède une batterie en bon état mais ses communications et l’usage de la 4G seront facturés.
Episode 5) Le temps de descendre en ville pour y boire la dose de café indispensable à l’activation de quelques neurones, nous partons nous enquérir d’un hôtel à prix raisonnable.
L’office de tourisme nous donne plusieurs adresses et la première convient très bien.
Aussitôt la chambre payée, je reçois par SMS l’offre généreuse de la voisine suédoise qui, absente pour la semaine, propose de nous prêter son appartement. Le temps de la remercier, mon smartphone s’éteint. Qu’à cela ne tienne : nous sommes à l’hôtel et il y a des prises.
Hélas, arrivé à 40% de charge, le smartphone cale et affiche « chargement interrompu : surchauffe de la batterie »…
Laissant donc Pépère s’amuser avec la Wi-Fi de l’hôtel, Mémère s’en retourne à la maison récupérer le minable téléphone de secours qu’elle avait l’an passé acheté chez Kjell (astuce intraduisible, "Kjell" étant aussi imprononçable qu'un nom de meuble Ikea, "passer acheter chez Kjell" laisse tout Francophone affligé d'un noeud gordien sous le palais).
Rien à dire sur la suite du bref séjour, consacré au tourisme et aux rencontres amicales enrichies par le récit des conneries susvisées.
Bientôt arrive le jour du départ, dûment préparé par un tour à la bibli où imprimer nos cartes d’embarquement et un autre à la station où acquérir nos tickets de navette-aéroport.
Le moment venu, nous bouclons nos bagages sans incident notoire. Pépère emballe les provisions restantes, vêtements et menus souvenirs en répartissant équitablement la charge (=ce qui est lourd va dans son sac et ce qui est léger dans le mien).
La suite plutôt calme nous amène à l’embarquement : contrôle passé pieds nus et sans ceinture comme d’habitude, rhabillage et rassemblement des bagages éparpillés dans cinq corbeilles «Tout est là, on y va ? ».
Episode 6) Regarde : il y a un douanier qui fait des signes en montrant un sac rouge.
Oh p** (lire « travailleuse du sexe ») : c’est notre sac de bouffe !
Il s’y trouvait des restes de Nescafé, d’innocents biscuits à l’avoine et… un gros morceau de Västerbottenost ainsi qu’un tube entamé de Kalleskaviar.
Sueurs froides à l’idée de nous voir confisquer le précieux fromage introuvable en France !
Finalement le fonctionnaire (peut-être attendri de voir des Français passer un fromage dans le sens du retour) s’est montré indulgent sur les 200 grammes de Västerbottenost. Seul le demi-tube de Kalles a dû être abandonné -sans états d’âme vu la facilité d’en trouver chez Ikea (que tu crois, ma pauvre vieille : l’assortiment du rayon a été réduit comme peau de chagrin sans préavis ni explication).
Aéroport en pleins travaux, plusieurs boutiques fermées, queue au point d’eau, refus du hors-taxes pour délivrer un flacon de « liqueur du Valhalla » au vu de notre destination (pas compris mais pas pu acheter…d’ailleurs c’était juste pour le décor), départ retardé de 30 mn et enfin embarquement par fournées de dix rangs annoncés exclusivement en suédois mais finalement place suffisante dans les casiers à bagages et décollage sans histoires.
On termine en apothéose
A mi-trajet, Mémère -n’ayant pas renversé son café- s’occupe d’extraire la pochette soigneusement conçue pour grouper à portée de main la monnaie, le trousseau de clefs et les cartes Navigo nécessaires au retour.
Episode 7) Rapidement extraite, la pochette révéla que… cette vieille folle avait empaqueté les clefs DE LA CABANE SUEDOISE et les pass Västtraffik !
Episode 8 Passer l’escape-game habituel de CDG (changer d’étage, s’orienter sans panneaux ni guichets d’information entre les portes condamnées pour diverses raisons mal précisées) n’est ordinairement pas une mince affaire mais, ce samedi-là, la pagaille s’enrichissait d’un flux de voyageurs refoulés de la gare par la fermeture d’une ligne (R.E.R. ou train, pas cherché à le savoir) qu’une malheureuse et unique employée s’efforçait de réorienter vers la seule sortie accessible après une longue errance.
Tombés par pur hasard sur un distributeur de tickets (à 16,20 €uros !), Pépère et Mémère se joignirent à la file de quelque 200 voyageurs encombrés de valises qui attendait le Roissy-bus depuis ¼ heure et patientèrent encore un peu avant de pouvoir s’engouffrer dans le véhicule déjà bondé en arrivant. Bénissant les jeunes gens bien élevés qui cèdent leur place aux vieux cons, nous voilà partis pour ¾ h de cahots dans le bus brinqueballant puis rendus à Opéra sur le coup de 22 heures, hésitant à appeler la concierge pour récupérer les clefs dont elle dispose.
C’est alors que Pépère ouvrant une de ses poches mit la main sur une clef de garage glissée là par inadvertance !
Comme dans le garage il y a un jeu de clefs de la maison, il suffisait alors d’acquérir 2 tickets de métro pour conclure cette aventure avant minuit au Home, Sweet Home.
Happy end
Le lendemain, pourtant dimanche, le guichet de la RATP a réédité sans frais mon pass Navigo 5 zones (Vais-je reprendre le Roissy-Bus A-R dans le seul but de le rentabiliser ? Ce serait peut-être déraisonnable). A son retour de vacances, le voisin nous a écrit qu’il avait trouvé la panne et rétabli le courant
Le bémol est que mon Blackberry n’a jamais redémarré et la question qui m’intrigue est : pourquoi Pépère ne veut-il plus entendre parler de voyage en Suède ?
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