3. Solitude - Partie 3

12 minutes de lecture

Aujourd'hui était un jour spécial pour Alina, et elle souhaitait retrouver Mezhelan au plus vite. Elle termina donc de manger à toute vitesse avant de se lever de table.

"Tu vas rejoindre tes amies ?" demanda sa mère avec curiosité.

Alina se contenta d'un hochement de tête. Évidemment, elle avait été incapable d'avouer à ses parents qu'elle fréquentait un garçon, et encore plus de leur dire qu'il s'agissait du futur mage du roi. C'était précisément eux qui lui avaient expliqué que les mages prononçaient des vœux de célibat, alors elle savait mieux que quiconque que cette nouvelle serait loin d'être bien accueillie si elle le leur avouait. C'était donc un secret qu'elle gardait précieusement, un secret qu'elle leur cachait depuis bientôt deux ans maintenant. Même si Mezhelan était le seul sujet sur lequel elle leur mentait ouvertement, elle avait conscience que, mis bout-à-bout, ça faisait une quantité de mensonges assez considérable.

Elle finit par sortir des appartements de sa famille pour se rendre jusqu'aux jardins parfaitement entretenus du château. Elle savoura la fraîcheur de l'air matinal, empli des fragrances délicates des fleurs en éclosion. Les premiers rayons du soleil caressaient doucement sa peau, répandant une chaleur réconfortante pendant qu'elle se frayait un chemin à travers les allées ombragées. Les pétales humides des roses effleuraient parfois ses doigts, laissant échapper un doux parfum qui se mêlait à celui des lys tout proches.

C'est après avoir marché un long moment, qu'elle arriva à proximité d'une haute haie, puis se glissa entre deux buissons dans un endroit parfaitement dissimulé. La jeune femme se coucha ensuite au sol pour ramper sous la haie. Elle l'avait fait des centaines de fois à présent, et cela avait même très légèrement creusé le sol à son passage. Elle se redressa de l'autre côté avant d'épousseter sa robe pastel, et son cœur battait plus vite à l'idée de le retrouver. Elle sourit ensuite en trottinant en direction de l'entrée de la bibliothèque : "Mezh' ?" appela-t-elle joyeusement, accélérant le pas pour le rejoindre.

Engueran était assis sur un siège à l'intérieur et jeta un bref coup d'œil à la jeune femme tout en levant un sourcil.

Alina ne l'appréciait pas beaucoup et se sentait toujours aussi mal à l'aise en sa présence, mais il la tolérait et fermait les yeux tout comme il l'avait dit. Elle décrivit alors un geste ample en attrapant les pans de sa robe tout en fléchissant les genoux, dans une révérence élégante, égale à son rang.

Engueran grommela un : "Bonjour." en faisant un vague signe de tête, et reporta son attention sur sa lecture.

Alina se redressa avant de traverser calmement la bibliothèque pour essayer de garder des manières respectables en face de lui, puis se dirigea vers la chambre de Mezhelan pour l'étreindre spontanément dans le dos par surprise. S'il était légèrement plus petit qu'elle lors de leur première rencontre, il la dépassait maintenant de dix bons centimètres.

Mezhelan se tourna pour l'étreindre tendrement à son tour : "Bon anniversaire." chuchota-t-il d'une voix douce.

"Merci !" répondit Alina avec enthousiasme. Elle n'osait pas le formuler à voix haute bien sûr, mais une part d'elle espérait un cadeau ou une surprise spéciale pour cette occasion. Puis, elle le détailla du regard en réalisant : "Quelle est cette tenue ?" Si habituellement, Mezhelan s'habillait de vêtements extrêmement sobres et confortables, cette fois, il portait une tenue très distinguée. C'était un chemisier blanc avec un gilet de smoking noir et argent, accompagné d'une veste plus longue et entièrement noire, à l'exception de broderies argentées sur les manches et sur l'encolure descendant jusque dans son dos.

"Et si nous sortions ?" proposa Mezhelan avec amusement.

"Dans le jardin, tu veux dire ?" questionna spontanément Alina.

"Non, en dehors des quartiers magiques." répondit-il sérieusement.

"Ne me taquine pas !" s'exclama-t-elle.

"Je ne plaisante pas. Promenons-nous dehors." répéta Mezhelan.

"Mais… E-Et si on te voyait avec moi ? Je ne veux pas que tu aies des problèmes…" s'inquiéta Alina.

"Personne à la cour ne sait à quoi je ressemble, alors personne ne risque de me reconnaître. Et puis, dans le fond, c'est plutôt toi qui devrais t'inquiéter d'être vue avec moi. C'est moi l'affreux sorcier, souviens-toi." plaisanta Mezhelan.

Alina était toujours hésitante. Elle n'avait jamais eu beaucoup d'amis à la cour, donc elle ne s'inquiétait pas trop des on-dit de leur part, en revanche, elle était plus inquiète de ce qui pourrait arriver aux oreilles de ses parents.

"Nous ne sommes pas forcés de rester au château, nous pouvons aussi aller en ville. Je te promets que tu seras en sécurité avec moi, mais tu devras peut-être jouer un peu les guides par contre…" argumenta Mezhelan.

"Hmmm…" réfléchit Alina. Ce n'était pas la première fois qu'elle exprimait à Mezhelan son envie d'être autre part et de faire autre chose en sa compagnie, alors c'était sûrement la raison qui le poussait à faire une telle suggestion. Et s'ils ne restaient pas au château, alors il y avait peu de risque que qui que ce soit les voit ensemble : "Ton maître… t'a autorisé à sortir ?"

"Pas vraiment… Enfin, disons que oui, mais indirectement. Tu sais comment il est." dit Mezhelan.

"Comment ça, indirectement ?" questionna Alina sans comprendre.

"Je lui ai dit que je voulais sortir aujourd'hui, il ne m'a rien répondu mais il a laissé la porte ouverte." expliqua Mezhelan.

"Je vois… et je dois bien avouer que ça me plairait beaucoup, mais tu es sûr qu'on peut ?" demanda Alina avec hésitation.

Mezhelan prit la main d'Alina puis se dirigea avec elle jusque dans la bibliothèque, avant d'annoncer à Engueran : "Nous sortons."

Engueran les fixa quelques instants en levant un sourcil, puis les ignora royalement.

Bien que le sourire esquissé par Mezhelan à cet instant semblât davantage une routine qu'un élan sincère, quelqu'un qui le côtoyait régulièrement pouvait déceler un certain engouement. Il l'emmena ensuite jusqu'à la grande porte renforcée des quartiers, avant de s'arrêter devant.

Alina tourna la tête pour le regarder, et il avait l'air un peu hésitant. Elle savait qu'il n'était sorti de ces quartiers qu'à de très rares occasions, et toujours chaperonné d'Engueran. De plus, l'idée de sortir de la cour devait le rendre d'autant plus nerveux. Même si elle savait qu'il faisait ce pas en avant en premier lieu pour lui faire plaisir, elle savait aussi que ça ne pouvait être qu'une bonne chose pour lui. Rester enfermé ici lui pesait plus qu'il ne voulait bien le dire.

Mezhelan était quelqu'un qui restait digne en toutes circonstances et enfouissait sa souffrance, ne se confiant dessus que très rarement. Et ce côté positif avait largement contribué à ce qu'elle l'aime autant. Il était son premier amour, mais surtout son tout premier ami, l'un des rares qu'elle avait. Même s'ils étaient jeunes, elle savait qu'elle faisait l'expérience d'un amour véritable, et elle ne parvenait pas à envisager qu'elle pourrait en être privée un jour.

Elle posa alors un baiser sur son épaule, puis lui lâcha la main pour pousser les portes d'elle-même : "Allez, allons-y." encouragea-t-elle avec un sourire complice.

Mezhelan fit un léger hochement de tête puis la suivit avant de refermer les portes derrière eux.

Alina guida alors Mezhelan à travers les couloirs du château en passant volontairement par les quartiers des serviteurs, de cette manière, elle avait moins de chances de croiser des nobles qu'elle connaissait, ou qu'on lui pose des questions sur la personne qui l'accompagnait. Elle jetait de temps en temps des coups d'œil timides et admiratifs sur le jeune homme à ses côtés, car il avait vraiment fière allure. Et même s'il semblait un peu perdu, il ressemblait en tout point à un noble. Si elle prenait en compte les rumeurs qui circulaient à son sujet et celles de son maître, il n'y avait aucun risque qu'on devine son identité.

Alors qu'ils traversaient les cuisines du château pour ressortir par la cour du quartier des domestiques, une vieille femme avec un chignon s'étonna de voir deux jeunes gens aussi bien habillés ici, et les intercepta avec curiosité : "Que faites-vous là, tous les deux ?"

Alina et Mezhelan se tournèrent spontanément vers la dame pour s'excuser du dérangement.

"Nous ne faisons que traverser, Madame, nous ne voulions pas vous interrompre." argumenta aussitôt Alina d'un ton coupable.

La femme dévisagea alors les deux jeunes, avant de s'attarder sur le garçon pour demander avec incertitude : "Mezhelan ?"

Alina fut extrêmement surprise et se tourna vers lui avec nervosité, seulement pour remarquer une expression troublée sur son visage. Personne n'était censé pouvoir le reconnaître, pourtant.

"Nanie ?" réalisa Mezhelan avec surprise.

La dame avait bien du mal à le reconnaître et hocha la tête avant d'interroger avec inquiétude : "Que fais-tu là ? On t'a laissé sortir ?"

Mezhelan ne put contenir sa joie : "Quel plaisir de te revoir !"

La dame était aussitôt émue et sourit pour répondre : "Moi aussi…"

"Tu la connais ?" demanda alors Alina, légèrement perdue par la tournure des évènements.

"Oui, c'était ma nourrice." résuma Mezhelan.

"Je dois m'inquiéter ?" questionna la vieille femme, tracassée.

"Non." déclara Mezhelan en allant spontanément vers elle pour la prendre très brièvement dans ses bras : "Nanie, tu ne nous as pas vus !" déclara-t-il ensuite en faisant un quart de tour rapide pour attraper le poignet d'Alina et fuir les cuisines.

Passée la surprise, Alina se mit à rire alors qu'elle était entraînée à sa suite.

Ils commencèrent à courir comme des enfants fuyant le lieu d'une bêtise.

Mezhelan se mit à rire, lui aussi, tout en continuant de courir jusque dans la cour.

Malgré le temps passé avec lui ces deux dernières années, la jeune femme n'avait pas entendu Mezhelan rire plus de deux ou trois fois, et se sentit vraiment euphorique à l'écoute de ce son subtil et radieux. Même si elle lui avait appris à sourire, c'était loin d'être quelque chose de spontané chez lui. Ce n'est qu'au moment où elle manqua de trébucher dans sa robe une fois dehors, qu'il stoppa sa course pour la rattraper : "Quels réflexes." remarqua-t-elle avec amusement, en se tenant à son bras pour essayer de reprendre son souffle.

"N'ai-je pas dit que je te protégerais ?" s'amusa Mezhelan.

"Si, mais tu as aussi dit que je devrais te guider une fois dehors, alors sais-tu seulement où on va ?" rétorqua-t-elle avec taquinerie.

"Je n'en ai aucune idée." avoua-t-il en riant encore légèrement, un sourire charmant toujours suspendu à ses lèvres.

Alina trouva son visage irrésistiblement sincère et fit son plus beau sourire en retour : "Par ici." dit-elle, les guidant ainsi vers la sortie des quartiers des serviteurs menant sur les marchés de Dafan, la capitale du royaume : "Tâche de conserver l'attitude d'un gentilhomme." conseilla-t-elle avec un clin d'œil, avant de focaliser son attention sur les gardes postés devant la herse levée.

"Je ne sais pas comment je suis censé le prendre." bougonna Mezhelan.

Alina sourit respectueusement aux gardes pour leur dire avec aplomb : "Je suis Demoiselle De Milan, je sors faire des emplettes."

L'un des gardes regarda la jeune dame devant lui, puis le jeune homme qui l'accompagnait, avant de dire : "Soyez prudente, Demoiselle, il y a des voleurs sur le marché ces derniers temps."

Alina jeta un coup d'œil sur Mezhelan, avant de répondre avec une légère révérence : "Bien, nous en tiendrons compte, merci pour votre sollicitude, Monsieur."

Le garde se tourna vers ses collègues avant de leur faire signe de laisser passer.

Cette porte donnait directement sur un pont de pierres au-dessus d'un canal qui sillonnait toute la cité, et Alina prit les devants pour traverser : "Trop facile !" chuchota-t-elle fièrement.

La bonne humeur de Mezhelan demeurait évidente tandis qu'il inspectait les environs, découvrant cet endroit pour la toute première fois.

Alina le guida vers le marché en observant tendrement ses réactions. Il semblait s'émerveiller de ce qu'il voyait, et elle aimait le voir ainsi : si vivant et curieux. Cela renforçait chaque jour un peu plus ses sentiments pour lui. Et aujourd'hui, ils ressemblaient à des gens du commun, cela lui faisait beaucoup de bien.

Ils déambulaient parmi les étals colorés, enveloppés dans un tourbillon de senteurs enivrantes : le parfum sucré des fruits mûrs, le fumet alléchant des plats mijotés, et l'arôme enivrant des épices exotiques. Les vendeurs vantaient leurs produits à grands renforts de gestes théâtraux, et les acheteurs négociaient avec une ferveur palpable. Les cris de ces commerçants, mêlés aux rires des enfants et aux discussions animées des clients, créaient une cacophonie joviale et pleine de vie. Les rayons du soleil, filtrés à travers les auvents des échoppes, dessinaient des motifs lumineux sur les pavés usés, ajoutant une touche de magie à l'ambiance déjà festive du marché.

Après une bonne heure et demie de promenade, Alina confia : "Je passe un très bon moment, merci. Je ne pouvais rêver mieux."

Mezhelan regarda au loin en remarquant : "Il ne te faut tout de même pas grand-chose, mais je suis ravi que cela te plaise." Puis il la guida en direction du canal, dans un endroit plus calme, avant de s'asseoir sur le muret pour se pencher vers l'eau en tendant la main : "Je suis magicien, ou non ?" dit-il alors.

"Tu m'inquiètes, qu'as-tu derrière la tête ? Tu n'oserais pas arroser tous ces gens, n'est-ce pas ?" gloussa Alina derrière sa main. Puis, elle regarda Mezhelan toucher l'eau des doigts, avant de voir une traînée blanche s'envoler tout à coup du canal.

Elle ouvrit grand la bouche et leva les yeux vers le ciel pendant que les premiers flocons de neige tombaient lentement autour d'eux, étincelants sous la lumière du soleil. Elle n'avait jamais vu sa magie à si grande échelle, et c'était spectaculaire. Les flocons semblaient danser dans les airs, tournoyant gracieusement avant de se poser avec légèreté sur le sol et sur les toits des commerces alentour. Alina ressentit un frisson d'émerveillement parcourir son échine alors qu'elle observait ce spectacle hivernal imprévu. Elle tendit les mains pour attraper une poignée de ces cristaux gelés, frissonnant à la sensation glacée qui chatouillait sa peau.

Une grande agitation surgit presque immédiatement chez les commerçants et visiteurs, qui se trouvaient en dessous de ce phénomène inexpliqué. Les gens qui n'avaient jamais vu de magie n'y croyaient tout simplement pas, et tout le quartier était à la fois subjugué et effrayé par la scène à laquelle il assistait.

"Tu aimes la neige et c'est ton anniversaire, pas vrai ?" dit Mezhelan, laissant paraître toute l'affection qu'il éprouvait.

"Incroyable." affirma Alina, la main levée pour attraper la neige qui tombait du ciel bleu.

"C'est lui ! C'est lui qui a fait ça !" s'écria soudainement un homme en pointant Mezhelan du doigt.

Des visages se tournèrent instantanément vers les deux jeunes gens, alors que Mezhelan déclara : "Il est temps qu'on parte."

Alina hocha la tête tandis qu'ils décidèrent tous les deux de prendre la tangente. Peu importe le tumulte que ça venait de provoquer, ça en valait vraiment la peine. Et ils riaient joyeusement en s'éloignant rapidement de la foule sous les flocons. Ce moment était absolument inestimable à ses yeux.

Alors qu'ils n'étaient plus très loin de l'entrée des serviteurs du château, Mezhelan voyait des soldats courir droit vers eux et dit aussitôt dans la panique : "Nous avons des ennuis ! Rentre vite !"

Alina regarda Mezhelan puis les gardes, tour à tour, dans un moment d'incertitude avant de partir en courant. Elle se précipita pour regagner le pont joignant les quartiers des serviteurs, et elle comprit vite que Mezhelan avait couru dans l'autre sens pour attirer volontairement l'attention sur lui. C'était sûrement après lui seulement qu'ils en avaient. Pendant qu'elle arrivait à bout de souffle à proximité de la herse, le garde qu'elle avait rencontré plus tôt se tourna vers elle pour la regarder avec curiosité.

"Vous allez bien, Demoiselle ?" demanda-t-il en remarquant qu'elle était nerveuse et esseulée.

"Oui, oui." répondit rapidement Alina en tentant de ne pas paraître trop essoufflée. Puis, elle reprit son chemin en essayant de garder la face et de ne pas être trop étrange. Elle qui avait espéré que son anniversaire serait un jour spécial, c'était pour le moins réussi. Et il était certainement le seul à pouvoir lui offrir de la neige en été. Mais maintenant, elle se sentait aussi vraiment inquiète pour lui, qu'allait-il lui arriver ? Ces soldats ressemblaient à des hommes de la garde royale, allaient-ils lui chercher des ennuis pour avoir fait de la magie en public ? Risquait-il une sanction quelconque ?

Prochainement : Mezhelan

Commentaires

Annotations

Vous aimez lire Sherazade2384 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0