Nuit froide, obscure. Le jeune Yamato se faufila dans les rues de Kyoto, quitta la poussière de l’échoppe familiale pour rejoindre, au loin, les beaux quartiers.

Que personne ne me voie, pensait-il, que personne ne me voie !

Car, à quinze ans, il désirait découvrir le monde des geishas au travers d’une fenêtre, à la faveur de la nuit.

C’était une fascination depuis qu’il en avait croisé une, merveilleuse sous l’oshiroi aux reflets de lune.

Ce fantastique tableau, il l’imaginait jusque dans ses rêves : il était temps qu’il en devine, au-delà du tracé, la véritable beauté, qu’il s’immerge dans la douceur lénifiante de ses mélodies.

C’est alors qu’il vit une femme raffinée se détacher des ombres : une geisha, dans un kimono mauve. Elle portait un voile comme il n’en avait jamais vu et elle lui fit signe de le suivre, derrière une noka.

« Me trouves-tu belle ? demanda-t-elle au jeune Yamato.

- Oui, vous êtes la plus belle geisha que j’ai vue ! s’emporta l’adolescent, fasciné par la silhouette de la jeune femme, émerveillé par son teint sélénien.

- Et maintenant, suis-je toujours aussi belle ? » marmonna-t-elle en ôtant son voile.

Yamato crut défaillir devant tant d’horreur : cette bouche immense, informe, qui striait son visage de pourpre, lui donnait l’air d’un monstre sorti d’un cauchemar plus atroce encore que ceux qu’il avait connu.

Il recula, les yeux écarquillés, et trébucha sur une pierre. Une paire de ciseau rouillée s’enfonça dans sa gorge, et Kae se pencha tout doucement. Du bout de ses lèvres déchirées, elle lui donna un baiser au goût de sakura.

Elle s’en alla par la nuit, en égrenant les pétales de ses rires sucrés.