Août, débacle à l'Est

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Jeudi 11 août 1870

Il est 5 heures du soir et quelques femmes, revenant du lavoir, posent leurs paniers et leurs brouettes débordant de linge essoré, au bas du perron de l’église, pour rejoindre les hommes agglutinés autour du panneau de bois accroché au mur du presbytère. De sa voix haut perchée, Sœur Marie-Clémence lit les dépêches du jour, que Pierre Couty, Monsieur l’instituteur, vient d’épingler.

Depuis presque un mois, la lecture des dépêches est devenue un rituel auquel les sougéens participent avec une sorte de fièvre. Les nouvelles de la campagne de l’Est ont été enthousiasmantes. Au début. C’est tout le village qui avait fêté la victoire de Sarrebruck, la semaine précédente. Quelques tonneaux avaient été percés et Pierre Hogou, le dernier Grognard du village, ne s’était pas fait prier pour raconter encore, les grandes plaines russes, le piège de San Sébastian, la fraternité de la vieille Garde, mêlant à ses souvenirs ceux, si souvent partagés, des autres vétérans sougéens de l’épopée napoléonienne, qui se rejoue aujourd’hui dans les plaines mosellanes. Enfin on l’espère …

Deux jours plus tard Sarrebruck était repris. Les prussiens passaient la frontière. La masse de leurs armées bousculaient des troupes françaises qui peinaient à se constituer. Ces nouvelles, autant que le fait qu’elles se fassent rares, avaient douché l’enthousiasme et c’est avec angoisse qu’on se retrouvait, ce soir, autour de Sœur Marie-Clémence.

Les nouvelles sont mauvaises, les défaites s’enchaînent dans des villages inconnus aux noms imprononçables. On comprend que les armées d’Alsace et de Lorraine ne sont pas de force face à des adversaires trop nombreux. Les villes, dont Strasbourg, sont assiégées et, héroïquement, tiennent, pendant que l’empereur se replie vers Châlons.

Sur la petite place de Sougé, les visages se figent, le silence est pesant. Sœur Marie-Clémence toussote et reprend : « Là, c’est une circulaire envoyée aux préfets de France par le préfet du Bas Rhin, en Alsace. Il demande de l’aide. Ils ont besoin de linges pour faire des bandages et des compresses …

- Nous nous en occupons dès demain matin ! Mesdames ….

- Oui, oui, bien sûr !

Mademoiselle Arrondeau redresse le menton, de ce geste familier que ses élèves connaissaient bien. La vieille demoiselle pivote sur elle-même lançant : « chez moi, demain matin à 8 heures. »

Lundi 15 août 1870

Pendant 4 jours, les demoiselles Arrondeau, Sophie prêtant main forte à Adèle, secondées par quelques dames, ont sillonné le village, à la recherche de linges usagés qu’elles ont coupé et assemblé en faisant des compresses et des bandages. Le ballot est lourd et Alexis Ouvrard le charge auprès de tonneaux qu’il doit livrer à Vendôme. Le ballot sera déposé à la sous-préfecture avant midi.

Ces dames ne boudent pas leur plaisir quand Mademoiselle Sophie leur propose une petite collation. Elles sont un peu dubitatives quand Adèle leur propose une nouvelle mission : recenser les chambres pouvant être mises à la disposition de Mr le Sous-Préfet, afin d’accueillir les blessés que les armées de l’est ne manqueront pas d’évacuer vers l’ouest. Adèle insiste, les villages voisins sont prêts à accueillir et à soigner les soldats, Couture, Ternay … Ces dames se regardent, Sougé est un village tout simple, sans château, sans grande maison, quoi que, peut-être ….

Sur la place du village, comme chaque soir, un petit groupe attend les dernières nouvelles en bavardant. Pierre Couty sort de la salle communale, descend quelques marches et s’adresse aux personnes présentes : « La Garde Mobile est formée. Les gars doivent se présenter mercredi, à Vendôme, au Grand Manège. Dites-le à vos garçons, qu’ils passent me voir avant de partir. »

Dimanche 27 août 1870

Installé officiellement le dimanche précédent, l’équipe municipale élue le 7 août*, se réunie autour de René Gaudissard, reconduit dans sa fonction de maire par Mr le Préfet**.

Deux sujets sont à l’ordre du jour et le premier est d’importance ! Il s’agit d’apporter une réponse à la demande de la commune voisine de Couture de disposer d’un bureau de poste dont dépendraient les villages environnants. Et ceci en remplacement de celui de Poncé qui a comme inconvénient d’être dans le département voisin. Après une démonstration imparable de l’intérêt géopolitique de la rive droite du Loir comparé à la rive gauche du Loir, le Conseil Municipal demande, à l’unanimité, à continuer de dépendre du bureau de postes de Poncé, ou, s’il était jugé important de faire dépendre toutes les communes du département, d’un bureau de poste y étant installé, de créer celui-ci à Sougé.

Ce sujet étant clos à la satisfaction générale, le Conseil Municipal choisit les six membres*** de leur assemblée qui feront partie du Conseil de Recrutement de la Garde Nationale sédentaire de la commune. C’est eux, avec le concours précieux du Capitaine Zozine Plais, revenu au village après une belle carrière militaire, qu’ils vont devoir organiser la défense de Sougé. Et pour commencer, établir la liste des hommes mobilisables.

* Gabriel Martineau, Félix Guérineau père, Jacques Richard, Louis Hogou, François Martineau Catroux, Louis Aubin, Jules Dumoulin Gaudissard, Gabriel Martin Loyau, Louis-Geoffroy Lambron Prenant, François Durand Nivault, Alexis Nivault Sédilleau

** Pendant le second empire, les maires des communes de moins de 3 000 habitants sont nommés par le Préfet

*** Félix Guérineau, Alexis Nivault, Jacques Richard, Louis Aubin, Jules Dumoulin, Gabriel Martineau

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