Bientôt
Gérard ne décolère pas. Cela fait deux mois qu’il a déposé la pétition au domicile du maire et rien. Pas un mot lors du dernier conseil municipal. Pas même un échange de regards appuyés pour le défier de parler. Un camouflet pour l’ARCRC et pour lui personnellement. Il n’y en a eu que pour la nouvelle cantine centrale. « Un atout pour accueillir plus de nouveaux habitants, insistait le maire, avec sa jovialité forcée. Un atout car elle permettait dès à présent de servir des repas préparés à Galniche pour les élèves de l’école et le centre d’accueil des anciens ». Gérard veut bien entendre que c’est un progrès : en tant qu’instituteur, il a largement pesté contre les retards lors de la livraison des plateaux. La ville la plus proche étant à trente minutes d’une route en lacets, les plateaux arrivaient froids, et leur contenu mélangé par les virages successifs était peu ragoutant.
Rien de cela ne résolvait le problème des chats. Ils étaient plus discrets depuis une semaine. Gérard était sûr que toutes les femelles couvaient de futurs ennuis. Il allait devoir s’en mêler et vite.
Ces mots, il se les répète en boucle depuis des semaines sans avoir trouver le temps d’agir. Le printemps est une course perpétuelle pour un enseignant : finir le programme, réaliser la sortie annuelle, préparer le spectacle et surveiller les enfants rendus turbulents par les beaux jours et la promesse des vacances en approche.
Gérard a bien vu que les vieilles dames détournent désormais le regard à son approche. Elles ne lui font plus confiance pour les protéger des chats. Il y a eu deux accidents dont l’un s’est soldé par un fémur cassé et une longue hospitalisation loin de Galniche. Les anciens restent de plus en plus à l’intérieur du centre d’accueil. Les chats ont les rues pour eux.
—Vendredi prochain, vendredi prochain, je parlerai au maire, se dit-il.
Une semaine passe. Puis deux.
Tout est prêt. Le moment d’agir est imminent. L’action doit avoir lieu avant la grande migration de l’été, sinon les bipèdes quitteront le village en désordre, ne respectant plus leurs habitudes et il faudra attendre l’automne pour tous les tuer.
La dernière portée a grandi vite, très vite. La gestation a été plus courte de deux semaines que les précédentes et les chatons ont presque atteint leurs tailles adultes.
Siam est concentré : sa tête triangulaire tournée vers la droite surveille l’entrainement des jeunes recrues tandis que son oreille gauche est tournée vers l’arrière pour entendre les explications données à Birm. La belle chatte birmane est de passage au Terrier. Elle est venue pour avoir les détails de son affectation pour le plan. Elle fera d’abord partie des récolteurs de poisons. Puis donnera l’assaut sur l’école lorsque les adultes reviendront chercher leurs petits.
Les exécutions individuelles lui seront épargnées. Elle a donné sa vie pour la cause. Les autres se chargeront du sale travail sans elle. Ensuite, elle sera libre.
Birm s’approche dans son dos. Sur un signe de Siam, les combats cessent. Quatre chats fins, noirs du museau aux yeux, s’approchent : leurs héritiers. Ils sont beaux avec leurs longs poils dorés. Leurs particularité ne saute pas aux yeux mais Siam qui les entraine depuis plusieurs jours le sait : ces chats-là sont nettement plus rapides que les autres, et leurs griffes crissent très fortement lors des séances d’affutage. Ils vont faire des merveilles contre les deux-pattes. La femelle donne quelques coups de langue à chacun d’eux. Les chatons miaulent de plaisir sous la caresse. Si jeunes et déjà en guerre, soupire-t-elle intérieurement. Puis sans un regard pour leur géniteur, elle s’éloigne.
Siam se renfrogne. Ainsi Birm n’accepte pas qu’il ait obtenu leur garde. Comment les entrainer s’ils sont soumis aux mêmes contraintes qu’elle. Ces guerriers sont nés au terrier en toute discrétion et ne l’ont pas quitté. Birm a dû cacher son état et abandonner la fratrie une grande partie de la journée pour maintenir sa couverture et s’assurer que « ses » bipèdes ne changent pas leurs habitudes. Siam est conscient du désagréable de sa situation. Mais Birm le sait, le plan passe avant tout.
Tout se passe comme prévu. Toutes les tanières des deux-pattes ont été visitées. Leur accès sera facile le moment venu. L’oreille gauche de Siam tressaute et ses yeux s’étrécissent. Presque toutes les maisons. Celle de Gérard est restée hermétique. Telle une onde, les muscles de Siam se déroulent sous sa peau tandis qu’il avance posément. Il n’y aura aucun problème avec Gérard se dit-il, il devra bien en sortir. Que ce soit devant sa porte ou à l’école, il n’en réchappera pas plus que les autres.
A l’autre bout du village, Birm a des pensées bien différentes. Elle observe le jeune quatre-pattes qui tente de se redresser en se tenant au mur. Evidemment, il échoue et retombe brutalement au sol. La chatte scrute sa réaction. Il jette un œil autour de lui, sa mère n’est pas dans les parages. Il se frotte un peu le front et repart à quatre-pattes vers la boule de poils doux. Birm l’accueille sans reculer, lui laisse le temps de se mettre sur son postérieur et passe autour de lui pour le caresser de sa fourrure soyeuse. Noam savoure et se tait. Ce petit doit vivre. Voilà ce que Birm se répète depuis des semaines. Cependant elle cherche encore la solution. Les adultes se disputent à l’extérieur. Curieuse, Birm abandonne l’enfant pour étudier ses « maitres ». Un frémissement de plaisir anticipé lui parcourt l’échine. Ils viennent de lui offrir une solution.
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