Chapitre 2.
-Plus droite Javotte !
Ma sœur fait tomber les deux livres posés sur sa tête. Persuadé de faire mieux, je m'avance avec "l'encyclopédie des bonnes manières", la tête haute et... La fait tomber avec un bruit sourd.
-Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire, murmure Cendrillon de sa voix douce. On se détend, et on avance...
À la voir, ça a l'air si simple. Je suis persuadée qu'elle fait ça pour m'humilier ! Cendrillon ne manque pas une occasion de ma gâcher la vie. Elle marche gracieusement les bras légèrement écarté, et les trois livres reposant en parfait équilibre sur sa chevelure blonde. Quand je la vois comme ça, je ressens toujours ce... cette espèce de pincement au cœur. C'est vrai, Anastasie, c'est si simple. Pourquoi tu n'y arrives pas ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Même Cendrillon y parvient. Cendrillon est si... Non. Je ne peux pas me permettre d'avoir ce genre de pensée.
-Dommage que ce ne soit pas toi qui ailles au bal alors, rétorquai je en la poussant pour faire tomber ses livres.
Honteuse, elle se baisse pour ramasser ses pauvres bouquins. Voilà, je préfère quand c'est ainsi. Ça m'empêche toujours de penser à cet horrible sentiment qui dévore mon cœur. Mère dit que je suis supérieure à Cendrillon, et Mère a toujours raison. En parlant d'elle, la voici qui entre dans le salon.
- C'est bon pour aujourd'hui, libérez le salon, dit-elle sèchement. Quelques amies viennent prendre un thé. Cendrillon, va nettoyer la grange.
Ça faisait quelques jours que Javotte et moi suivions cet "entrainement". Quelques jours qu'on échouait lamentablement dans toutes les matières, que ce soit "dance", "maintient " ou "lever de petit doigt". Quelques jours que Cendrillon, elle, nous montrait chaque fois un peu plus son immense talent.
Je monte dans ma chambre. Je croise encore une fois un de ces rats dégoutants qu'élève la fille qui nous sert de domestique. Pourquoi vouloir une souris quand on peut avoir un chien, un poney ou encore un lézard exotique ? Franchement, il y a des choses qui me révoltent dans ce monde. Enfin, en y réfléchissant bien, si Cendrillon demandait un lézard à Mère, cela m'étonnerait qu'elle accepte. Arrivée à ma chambre, je m'affale sur mon lit avec du papier et des crayons.
Je peux enfin me remettre à mon activité favorite de ces dernières semaines : dessiner ma robe ! J'ai une image précise en tête, cela fait des jours que réfléchi à chaque détail. Je sais que le prince Henri aime le bleu. Je me vois déjà, arrivant dans la salle de réception, tous les regards posés sur moi... Ma robe brille de mille feux grâce aux parures de diamants et aux perles satinées qui la constellent, relevant le bleu profond du tissu. Les yeux clairs du prince croisent mon regard brun... Il m'observe attentivement, et trouve tout beau en moi. Même cette immonde chevelure rousse, ce nez légèrement tordu et ces cernes cachées tant bien que mal derrière une couche de fond de teint. C'est la première fois qu'il ressent quelque chose comme ça. Un amour si tendre ! Et dès les premiers instants, on sait qu'on s'aimera pour toujours. On danse, on danse et on danse... Il me fait tournoyer durant des heures, beaucoup trop courtes à mon gouts. Le prince fait passer dans ses mouvements tout les mots qu'il ne peut pas encore dire.
Je t'aime. Je t'aime tellement que je ne vois plus rien autours. Seule cette lumière brillant dans tes yeux, celle qui, je le veux, éclairera pour toujours mon chemin...
Un peu cucu, je sais. Mais bon, on a tous le droit de rêver !
Je me sens si inspirée que je dessine frénétiquement chaque détail sur le papier. Au bout d'une demi-heure, je relève enfin la tête. La voilà, la robe de mes rêves ! Celle dans laquelle mon prince me verra pour la première fois. Celle qui, peut-être, me mettra enfin en valeur et me rendra resplendissante... Fière de moi, je m'allonge et me perd dans mes rêveries.
-Anastasie ? S'enquit une voix derrière la porte.
Reconnaissant Javotte, je m'écris :
-Entre. Qu'est-ce qu'il y a ?
-As-tu finis le croquis de ta robe ? Me demande-t-elle, toute excitée. Mère veut que nous nous les montrions à ses invitées !
Fière de pouvoir montrer le fruit de semaines de réflexion, j'attrape avec précipitation mon dessin et dévale les escaliers derrière Javotte. Je sais au fond de moi que le mien sera mieux que celui de ma sœur. Elle n'a jamais été très imaginative... J'espère juste que ces Mesdames ne lui rigoleront pas au nez ouvertement.
On arrive au salon.
-Mes chères, s'exclame Dame Cécilia, Je vous présente mes filles : Javotte et Anastasie.
Les amies de Mère nous saluent avec entrain, et nous faisons de même.
- Vos filles se rendent-elles au bal du prince ? Dit Mère sans attendre de réponse. Javotte et Anastasie vont y briller ! Je vais leur faire faire des robes sur mesure, ainsi aucunes jeunes filles n'auront les mêmes qu'elles. Je vais vous montrer leurs croquis !
Javotte tend le sien avec fierté.
Les dames se le passent de mains en mains et poussant des exclamations. Il arrive finalement à ma mère, qui le regarde longuement en silence.
-Pas mal, finit-elle par lâcher.
Elle me passe le dessin pour que je puisse voir la création de ma sœur. Une robe à panier verte, avec une longue plume sur la tête. Elle me semble un peu enfantine... C'est joli, mais pas très original.
Un soubresaut me prend le cœur. À moi maintenant de montrer mon talent. J'essaye de m'empêcher de sourire en tendant mon œuvre, ce ne ferait pas très modeste, mais je n'y peux rien. Je ne vais pas le cacher, je suis fière de mon travail.
Une des invitées attrape mon dessin. Elle rajuste ses lunettes et l'observe en plissant les yeux.
-Hum... C'est sombre.
-Je n'aurais pas choisi ces perles, réplique une autre en regardant derrière ses épaules.
- Ça pourrait être beau, sans ces tissus vaporeux, rajoute une grande blonde.
Mère me jette un regard lourd de sens avant d'arracher mon croquis des mains de son amie.
Je reste sans voix. Comment ça, elles n'aiment pas ? C'est l'ascenseur émotionnel. J'ai mis des jours à la concevoir...
- Qu'est-ce que c'est, Anastasie ? S'esclaffe Mère. Tu ne pensais tout de même pas te rendre au bal ainsi ?!
Je sens les larmes monter. J'ai terriblement honte.
-Non, tu as raison. C'est stupide.
Mais qu'est-ce qui m'est passé par la tête ? Je n'en peux plus des regards d'amusement des invitées, et de compassion de ma sœur. J'étouffe ici, il faut que je parte...
-Faites-moi la même que Javotte, en rose.
Je tourne le dos et m'enfuis en courant. Les larmes coulent sans arrêt sur mes joues, rien ne peut les arrêter. Je ne sais même pas où je vais. J'aurais dû m'esclaffer, dire que c'était une blague et que je n'avais pas encore fini le croquis de ma robe... Les amies de Mère auraient ri au lieu de se moquer de moi et mon stupide dessin. Mais je n'ai rien fait de tout cela, et ai réagi comme une petite fille en me ridiculisant à la perfection.
De profonds sanglots faisant échos aux miens me ramènent au présent.
C'est Cendrillon.
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