Barnabas de Grandvaux
Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie faisaient partie d'une expédition qui visait à sécuriser une grotte dans une mine. Suite à un effondrement, ils ont émergé dans un désert inconnu. Après avoir perdu connaissance, ils se sont réveillés dans un village de montagne. Les habitants y parlent une langue inconnue et cet endroit est bercé par le cycle de deux soleils. Par un concours de circonstances obscur, Julie a appris la langue locale. Le groupe s'est fait capturer par des soldats chevauchant des griffons, qui les ont emmenés vers une forteresse. En prison depuis plusieurs semaines, ils ont reçu la visite d'un espion un peu simplet qui leur a promis de tenter de les aider.
Loin de leurs yeux, à quelques centaines de mètres de là seulement, une diligence tirée par un attelage inconnu entrait dans la forteresse. L'homme qui en descendit était un noble, au statut assurément important. Il entra avec assurance dans la salle à la grande cheminée, escorté de deux hommes en armes. Gidas l'attendait dans son fauteuil.
- Barnabas, quel plaisir de te voir ! Dit Gidas en se levant, sans précipitation. Il s'avança vers l'autre la main tendue
- Gidas, répondit l'homme en lui saisissant la main, comment-vas-tu ?
- Ma foi bien, que me vaut l'honneur de ta visite ?
- Cela faisait bien longtemps que je n'étais pas venu, je me suis dit qu'il était temps de rendre visite à un vieil ami
- Tu as l'air de bien te porter, dit Gidas en mimant le ventre dodu de Barnabas, les affaires doivent marcher avec l'Empereur, continua-t-il d'un ton éminemment sarcastique. Ta famille est à l'abri maintenant, enchaîna le maître des lieux en retournant s'asseoir
- Les affaires vont bien, et ma famille avec elles, effectivement. Tu dois le savoir de toute façon, vu que c'est toi qui supervises les commandes de l'Empire. Comment se portent tes exploitations ? J'espère qu'il n'y a pas eu de nouvel accident à déplorer avec tes abominations volantes ? rétorqua Barnabas, ce qui fit tomber le sourire de façade de Gidas.
Les deux hommes différaient physiquement en tout point. Gidas était mince et sec, le menton pointu rasé de près, les cheveux poivre et sel, plaqués en arrière, raides, longs et abondants. Barnabas affichait, lui, de l'embonpoint. Il avait le crâne dégarni, cerné d'une couronne de longs cheveux gris légèrement bouclés, et portait une épaisse barbe, longue d'une main. L'austérité face à la bonhomie.
- Les mines ont un bon rendement, ça me permet d'assurer le bien être de ma famille. Je tiens à donner le meilleur pour ma fille. Tu sais que nous ferions tout pour nos enfants.
- Même si Draosia élève l'enfant d'une autre ? provoqua Barnabas, faisant mine d'inspecter des armoiries au mur
- Elle ne trouve rien à y redire. J'imagine que tu n'es pas seulement venu demander des nouvelles de ma famille, ou me rappeler ma défunte épouse ? Que veux-tu Barnabas ? demanda Gidas un peu agacé. Veux-tu m'emprunter de l'or ? As-tu besoin de griffons ? Plusieurs couvées sont prêtes si c'est le cas.
Les deux seigneurs se connaissaient depuis longtemps, presque depuis toujours en fait. Rivaux avant l'Unification de l'Empire trente ans plus tôt, ils avaient appris à coexister depuis. Barnabas de Grandvaux et Gidas Ballin faisaient maintenant partie des hommes de confiance de l'Empereur. Ils se toisaient, cherchant chacun à déceler une faille dans la posture de l'autre.
- Je suis inquiet, Gidas, commença-t-il en faisant les cent pas. Des rumeurs courent sur un groupe secret qui cherche à défier l'Empereur Isdar. Sais-tu quelque chose à ce sujet ?
- Je n'en ai jamais entendu parler. Qui oserait s'attaquer à Isdar ?
- C'est ce que j'aimerais savoir. La paix qu'il a amenée à Ulria est un bonheur pour nos enfants, il serait regrettable qu'elle soit ébranlée. Si tu entends quelque chose, j'aimerais que tu m'envoies un faucon au plus vite. Je remonte à la capitale sous peu, j'aimerais ne pas revenir bredouille à ce propos, dit-il en finissant par s'asseoir face à Gidas.
- Ma regrettée sœur était la reine mère, Barnabas. Isdar est comme ma famille. L'héritier du trône d'Ulria est mon neveu. S'il y a une menace, cela me préoccupe autant que toi. Si j'apprends quelque chose je te le ferai savoir.
- Aucun de nous n'aurait à gagner quoi que ce soit dans une nouvelle guerre sur le Continent Ouest, dit Barnabas visiblement peu satisfait par la réponse de Gidas.
Il marqua un temps d'arrêt, incertain de la suite à donner à la conversation. Barnabas se pencha en posant ses coudes sur ses genoux, prit une grand inspiration en regardant le sol, et se lança en remontant son regard vers Gidas.
- La rumeur dit que des étrangers qui ne parlent pas notre langue ont été vus dans le Désert de Cristal.
- Je ne suis pas au courant, répondit Gidas sans se déstabiliser. D'où provient cette rumeur ?
- Peu importe. Il n'y a pas eu d'Hommes dans le Désert de Cristal depuis des siècles, cela a du marquer l'esprit des gens. La rumeur est arrivée aux oreilles de l'Empereur. Isdar souhaite les retrouver, et savoir d'où ils viennent. Il est déjà en route. Il sera à Fort Toral d'ici quelques semaines, ajouta Barnabas.
- Tu as bien fait de me prévenir, conclut Gidas, je vais envoyer des faucons à mes garnisons pour me renseigner. J'ai des comptes à terminer, je ne peux pas t'accorder plus de temps malheureusement. J'aimerais partir pour Ballinbourg avant la nuit. Tu peux rester à Fort Toral ce soir si tu le souhaites.
- Avec plaisir, répondit Barnabas
- L'intendance t'installera dans une des chambres de l'aile civile. Léon ! héla-t-il, installe ce monsieur dans la grande chambre des invités
Le simplet édenté fit une courbette à l'intention de Gidas puis vint à la rencontre du visiteur. Gidas se leva et raccompagna Barnabas vers la porte. Il posa son bras sur l'épaule de son hôte encombrant, avant de le saluer.
Lorsqu'il fut seul, le maître de la forteresse changea instantanément d'expression. Son regard se noircit, son rictus tomba. Les gardes autour de la pièce redressèrent promptement leur posture, familiers des sautes d'humeur du personnage. Il frappa violemment de son poing contre le mur, et fit les cent pas dans la pièce, réfléchissant à comment sortir de cette impasse. Il finit par murmurer quelque chose à l'oreille d'un des gardes, et s'en alla préparer son voyage vers Ballinbourg.
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