Les Domestiques
Résumé des chapitres précédents : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie ont émergé dans un monde inconnu dont les jours sont bercés de deux soleils. Par un concours de circonstances obscur, Julie a appris la langue locale. Le groupe s'est fait par la suite capturer par des soldats chevauchant des griffons, qui les ont emmenés vers une forteresse. Tandis que leur ravisseur a tenté de les faire disparaître après plusieurs mois en prison, ils ont été sauvés par un inconnu appelé Sayur, d'un peuple venant de l'Est lointain. Le groupe a alors découvert avec stupéfaction des animaux nouveaux qui n'existent pas chez eux. Les voici arrivés à la cité de Vertval, à la demeure de la famille De Grandvaux chez qui Sayur devait les amener. Ils ont été accueillis par la maîtresse des lieux Obianne De Grandvaux et le doyen des mages Palil d'Adk.
Sitôt passé l'encadrement de la grande porte de la villa, le groupe se fit dévisager par des créatures chimériques qui s'affairaient un peu partout dans la gigantesque demeure. Lorsqu'ils passèrent à leur hauteur, de nombreuses paires d'yeux restèrent rivées sur eux. Ces possibles domestiques avaient la morphologie des centaures de la mythologie antique. Mais le bas de leur corps était celui d'un cervidé et non celui d'un cheval. Leurs robes présentaient une infinité de teintes du brun au roux, parfois tachetées, parfois rayées. Leurs échines se prolongeaient vers l'avant en un torse musculeux couvert d'un poil très ras jusqu'au nombril, et vers l'arrière en une queue de crins de la même couleur que ce qui s'apparentait à leurs cheveux. Deux bras complétaient leur allure anthropomorphe. Leurs visages étaient des hybrides étranges entre cervidé et humain. Leur bouche légèrement proéminente était surplombée d'un nez plutôt plat, aux naseaux félins. Une pupille ovale fendait horizontalement leurs yeux, et leurs fronts étaient surplombés de moignons de cornes ou de bois. La section visible à quelques centimètres du crâne paraissait intentionnelle et propre. Les centaures suivirent du regard les nouveaux arrivants à mesure qu'ils avançaient dans le hall cintré de colonnes, jusqu'à ce que madame de Grandvaux fasse claquer ses doigts, ce qui les fit tous reprendre leurs tâches.
L'habitation était construite autour d'une cour centrale aménagée en espace vert. Ce jardin intérieur devait mesurer près de cinquante mètres de côté. Les différentes ailes de plain pied de la résidence s'ouvraient sur des terrasses attenantes à l'îlot de verdure. Un discret cours d'eau surgissait de sous le bâtiment, alimentait un bassin au centre de la cour arborée, puis s'enfuyait à nouveau sous terre sous l'aile opposée. Une avancée de toit périphérique couvrait les multiples terrasses, meublées de méridiennes en osier, de fleurs en pots, et de tables basses. Une véritable orfèvrerie de choix judicieux de couleurs et de disposition, impeccablement entretenue par la cohorte de centaures besogneuse. Cette demeure dégageait une atmosphère chaleureuse et accueillante. Tout y trahissait un luxe subtil, échappant à l'ostentatoire.
Les derniers rayons du soleil jaune disparaissaient peu à peu de la cour intérieure, le crépuscule gris commençait. Obianne héla deux domestiques qui s'affairaient à balayer une terrasse. Elle leur murmura des instructions discrètes. Les deux centaures cemmenèrent les visiteurs chacun dans des chambres séparées, où ils trouvèrent un lit préparé et une installation qui ressemblait à une salle de bains.
***
Dans sa chambre, un peu perdu, Miguel observait la qualité de la construction de la demeure. Malgré la technologie limitée dont devaient disposer les habitants de cet endroit, les murs étaient étonnamment d'aplomb et les matériaux raffinés. Il était en train de vérifier la rectitude d'un mur, le visage collé contre la pierre, lorsqu'un centaure mâle entra dans la pièce et déposa un tas de linge sur le lit. Il prononça une phrase que Miguel ne comprit évidemment pas. Les deux se regardèrent déconcertés pendant quelques secondes, ne sachant comment se faire comprendre. Le centaure mima à l'homme d'enlever ses vêtements.
Gêné, Miguel retira les fripes de soldat salies qu'il portait depuis l'embuscade dans la montagne. Il se retrouva en slip, son ventre poilu décadent face au centaure qui lui intimait d'enlever cette dernière pièce. N'étant pas de la même espèce, Miguel se dit qu'après tout notre nudité devait lui être complètement indifférente. Et c'était le cas. Le centaure le dirigea vers une sorte de rince-pieds dans le coin de la pièce, et activa un bras de pompe à balancier. De l'eau se mit à jaillir au dessus de Miguel qui, pris par surprise, émit un petit cri. Il était en train de prendre une douche. Tiède certes, limite froide, mais une douche tout de même. Après ces longues semaines de privation et d'enfermement, l'eau qui coulait sur son corps avait des relents de paradis.
Leurs ablutions terminées, quatre des membres du groupe furent rassemblés dans un salon par leurs accompagnateurs respectifs. Marie, trop mal en point, dut rester allongée. La longue chevauchée avait aggravé ses douleurs, et elle peinait à se tenir debout. Les quatre s'observaient incrédules. Les propriétaires des lieux leur avaient fourni des vêtements propres et assurément locaux. Leurs cheveux, à défaut d'être coiffés, étaient maintenant au moins décrassés. Leur apparence en était tellement changée qu'ils faillirent ne pas se reconnaître. Pour la première fois depuis longtemps, ils souriaient. Ils fermèrent un cercle en se tenant par les épaules, et sans dire un seul mot partagèrent ce moment de répit pendant une longue minute, soulagés que leur calvaire ait peut-être pris fin.
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