L'histoire - 9 -
— Je n’ai pas compris : il recevait son dû en grain ?
— Tout était en nature ! Le grain, les fruits, le vin, les volailles… Les contrats indiquaient très précisément ce qui était attendu. Tout était noté et tout a été conservé : tu comprends l’importance de ces dossiers ! J’ai compris aussi le trou d’homme sous le pigeonnier. L’entrepreneur m’avait fait la suggestion en voyant la force du plancher et les restes de maçonnerie contre les souris.
— Intéressant !
— En fait, maintenant, il faut voir la maison autrement, ainsi que la raison de sa construction. Elle était le centre économique, où étaient livrés puis entreposés tous les produits avant leur vente : l’immense grenier pour les grains, et les nombreuses caves pour les fruits, les légumes, les tonneaux de vin, les fameuses pipes.
— C’est toute la logistique…
— À ce propos, j’ai trouvé une anecdote amusante. À Rieupeyroux, c’est un notaire qui avait affermé le prélèvement du dixième, un impôt pour les guerres de Louis XV, justement instauré en 1741. Il stockait le grain dans un grenier à double plancher qui chevauchait une ruelle. Un matin, les passants furent intrigués par les poules et les pourceaux qui fouillaient la terre. Les quelques grains restants leur firent lever les yeux. Les malandrins avaient bien rebouché le trou, après sans doute avoir prélevé quelques sacs ! Le malheureux fermier criait au pillage, alors que les imposés ne dissimulaient pas leur sympathie pour les finauds.
— Amusant ! Ce qui me frappe, c’est la dureté des temps, l’enchainement des catastrophes climatiques et des disettes.
— Regarde les années : cela commence en 1728 avec un hiver terrible, la sécheresse en 1730. Puis cet hiver 1741 très rude, suivi d’un été caniculaire, rebelote en 1750, puis arrivent les séries des étés infernaux, 1756, 1759 à 1762…
— C’est encore le petit âge glaciaire ! Trois siècles de misère. Plus les guerres… Léon a mis en place un système généreux, à l’honneur de votre famille.
— L’année qui marquera le plus Léon est 1775 : une maladie inconnue ravagea les troupeaux. Faute de bêtes, ce sont les hommes et les femmes qui devaient tirer les instruments. Une famine l’achèvera, répétition de celles qui surviendra au changement de décennie. Les chroniques locales montrent bien les troubles qui accompagnent ces périodes. La maréchaussée et parfois la soldatesque répriment…
— Forcément…
— Malgré ces difficultés, on voit la progression sociale. Dès 1745, la « garden-party » se met en place !
— Ah oui ! Raconte !
— On va d’abord quitter Martin.
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