L'histoire - 15 -
— Tu as un peu romancé…
— Oui, mais nous avons très peu d’éléments. Il y a ces lettres où on devine interrogations et craintes. C’est ce que j’ai essayé de transcrire. Imagine-toi ce trou perdu de province : quelle vision pouvaient-ils avoir ? Quelles informations ?
— Ils étaient des bourgeois terriens ! Terriens comme les nobles, mais bourgeois, hors du pouvoir et des élites, donc peu concernés par la vindicte populaire.
— J’ai trouvé dans les archives une petite anecdote qui va t’étonner. On a remarqué ensemble le gros chêne qui est au milieu de la place…
— Oui…
— C’est l’arbre de la Liberté, planté le 23 juin 1792. Écoute, c’est le procès-verbal :
« Après s’être procuré un chesne de France (nous sommes encore un peu dans le Quercy !) franc et vigoureux, avoir recommandé et fait faire le bonnet décoré de tous les attributs du civisme, les officiers municipaux (dont Augustin, le maire !) ont arrêté que pour donner toute la pompe qui est en leur pouvoir à cette cérémonie civique, un jeune cultivateur porterait le bonnet, quatre jeunes demoiselles tenant les rubans, et quatre vétérans tenant chacun une pique à la main, accompagneraient le cortège, que les maires, les officiers municipaux du canton et le juge de paix et toute la Garde nationale seraient invités à y assister. (Je passe)
Toutes les dispositions prises, l’heure de cinq après-midi étant arrivée, la Garde nationale, rangée sur deux rangs avec tambour et drapeaux, cette cérémonie civique est sortie de la maison commune. Le cortège et une foule immense de citoyens de la ville et du canton, faisant tous retentir des airs et des cris d’allégresse, fit en cet état le tour de la ville. Il s’est rendu avec le plus grand ordre au lieu destiné, où le Bonnet a été posé sur l’arbre fait pour le recevoir. Au même instant se sont perdus dans les airs tous les cris de « Vive la Liberté », la rénovation de Serment civique et d’exterminer [sic] tous les tirans qui s’opposeraient au bonheur et à la prospérité de la République en méconnaissant les droits sacrés de l’homme. Pour que nos neveux n’en prétendent cause d’ignorance et puissent un jour à l’ombre de l’arbre chéri de la Liberté se raconter avec enthousiasme les époques de la révolution, nous avons rédigé le présent acte, lesdits jour et an. »
— Émouvant ! Avec la fontaine et l’arbre, les traces d’Augustin sont toujours visibles, plus de deux cents ans plus tard !
— Il devait aussi avoir bonne réputation avec les distributions de nourriture. Car cela continue l’année suivante avec sa participation au financement d’un grand banquet qui réunit près de cent personnes et dont les restes sont distribués aux indigents :
— Bon, heureusement qu’il y a la Révolution pour mettre un peu d’animation dans votre histoire familiale. Je sens que tu as hâte d’arriver à ta grand-mère, la meurtrière de ses enfants !
— Oui ! Mais en même temps, il faut voir d’où elle vient, ce qu’elle trimbale comme patates chaudes.
— Tu es prêt à l’absoudre ! Ce n’était pas l’opinion de ton père !
— Justement ! Nous devons comprendre avant de juger.
— Allons-y ! On a encore du chemin. D’abord Victor ! Le colonel de Napoléon !
— Oui, celui qui a frappé mon enfance d’interrogations avec sa statue aux Invalides.
— Non ! Ce n’est pas sa statue. Juste un mannequin qui porte l’uniforme que ton père a eu sous les yeux toute son enfance.
— OK ! Je rectifie. Cela dit, on n’a rien sur lui à part ça ! Son grade et des coupures du Bulletin de la Grande Armée. Plus le papier où il voulait écrire ses mémoires : quelques noms, sans doute les batailles qui l’ont le plus marqué… Je n’ai pas eu envie de faire des recherches. Il y a déjà tant à lire sur Napoléon et son épopée…
— D’accord ! Passons sur Victor.
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