L'histoire - 42 -

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Depuis le départ de son mari, Mathilde se consacre entièrement à son ainé, Antoine, et à Thuilec. Le 13 novembre 1942, Rodez est occupé. Le 15 décembre, les premiers Allemands sont aperçus à Lampeyrac.

Courant décembre, Mathilde est sollicitée par un conseiller général, ami de Paul. Une association parisienne d’aide aux enfants cherche une maison capable d’héberger certains d’entre eux qui ne sont plus en sécurité dans l’ex-zone libre. Mathilde suppose qu’il s’agit de petits Juifs. Elle n’aime pas trop cette race, vilipendée à longueur de pages dans les journaux qu’elle reçoit, mais ce sont des gosses. L’orphelinat, à l’écart des routes, avec de grands bâtiments, à moitié vides, semble une bonne solution. Elle convainc les responsables et bientôt les premières jeunes filles arrivent. Mathilde fait jouer d’anciennes relations de son père et obtient des cartes de tickets J1, J2 et J3. Plusieurs groupes se succèderont. Malgré la discrétion, l’information se répand. Des familles viendront également chercher refuge un temps, pour échapper aux rafles. Surtout, grâce à ses fermiers, elle parvient à préserver un approvisionnement qui permet de nourrir tout ce monde. Certains paysans, se doutant de la destination de leurs produits, lui laissent les denrées pour des sommes dérisoires. D’autres profitent de l’aubaine, n’anticipant pas un règlement de comptes qui interviendra plus tard ! Peu importe, le ravitaillement doit être assuré !

Un matin de mars 1943, les Allemands débarquent à Jonhac. Mathilde s’inquiète, car elle craint que ce soit pour elle à cause de ses activités à l’orphelinat et des enfants cachés. Ceci n’est pas leur affaire : ils cherchent des terroristes, des partisans. Mathilde, comme tout le monde alentour, sait que des groupes se sont réfugiés dans les zones difficilement accessibles de la vallée, à seulement quelques kilomètres d’ici. Ces « bandits » ont mené la veille une action contre les Allemands, avec plusieurs soldats tués. Des otages ont été fusillés à Rodez. Cette fouille ne peut être que le fruit d’une dénonciation. Mathilde sait que la ferme à côté abrite des opérations nocturnes. Après son saccage inutile, c’est la maison de maitre qui est retournée sans ménagement, dans les pleurs d’Antoine. Rien n’est trouvé.

Le jeune lieutenant, resté dehors, s’approche pour dire à Mathilde que c’est une erreur, sans doute. Il parle français, avec cet accent fort désagréable. Quand elle croise son regard, c’est trop tard : ils viennent de se rejoindre. Il achève en balbutiant et se retire avec des excuses répétées. Mathilde est éprouvée. Elle aime Paul, absent depuis deux ans maintenant, mais cet officier lui a remué le cœur.

Otto Hartmann va revenir souvent, toujours en civil. Le prétexte est de prendre des nouvelles de Mathilde et d’Antoine. Un salut, un ersatz de café, puis un diner, ses visites s’allongent. Homme cultivé, sa conversation charme la provinciale perdue. Ce n’est pas un guerrier, il fait la guerre par obligation. Dans le civil, il est professeur. La plus stricte bienséance est observée : jamais un mot déplacé, une allusion, un geste n’est échangé. Deux êtres humains se rencontrent simplement, dans la confiance et l’estime, dérisoires bulles de délassement dans ce monde en perdition. Antoine, sevré de son père, est admiratif de cet homme gentil et attentionné pour sa petite personne. Mathilde, en permanence sur les nerfs, frustrée de ferveurs masculines, est apaisée par sa présence.

Un incident va briser la réserve de cette idylle. Un soir de janvier 1944, alors que la tempête menace, il a tenu à venir, selon une habitude maintenant établie. Quand il veut repartir, la neige enserre déjà les chemins. Il est bloqué. Il ne pourra rejoindre son casernement à temps et la sanction, il le sait, sera terrible. De toute façon, il l’avait dit à Mathilde, il a toujours su qu’il ne retrouverait jamais sa femme et sa petite fille. Il se sent dévoré par le destin. À ces mots, si semblables à ceux entendus de son père, les yeux amicaux s’étaient mouillés.

Quand ils se quittent sur le palier, c’est le déferlement. La burle hurle dehors. Nuit d’amour, de tendresses, nuit sublime. Le lendemain, la situation a empiré. Jonhac est enseveli sous un mètre de neige. L’électricité est coupée, le téléphone ne marche plus. Il est déserteur. Ce mortel a accepté son sort. Il est au-delà. Il offre à Mathilde une journée et une seconde nuit merveilleuse. Même Antoine, colérique et désagréable depuis la mort de Michel, semble heureux entre sa mère et cet homme. Coupure du monde, pause dans cette guerre, journée radieuse, magique, dans le froid mordant de l’hiver.

Enfin, la route est ouverte. Otto repart. Ils savent que jamais plus… Ils s’embrassent comme pour un au revoir, ne voulant garder que cet éclat au fond de cette période sombre. Une simple carte d’Otto lui apprendra son départ pour le front de l’Est.

Quelques semaines plus tard, Mathilde découvre son état avec étonnement. Elle en est heureuse, car il y avait de l’enchantement à cet instant. Elle hésite. Puis, courageuse, affrontant les périls, elle raconte dans une longue lettre à Paul son aventure. Elle lui retrace cet élan irrésistible, ce besoin d’affection. Elle lui dit son amour, inchangé, intact, son désir de le retrouver. Elle s’en remet à lui, dont elle veut rester l’épouse dévouée.

À cette lecture, Paul est choqué, attristé par cet accident. Il aime Mathilde. Lui-même n’a pu résister pendant si longtemps. Une jeune Anglaise, puis une petite pied-noir lui ont permis de trouver un relâchement dans de tendres moments, brèves aventures, chaleureuses, mais superficielles. Il ne les rapporte pas à sa femme. Il les suggère comme des possibilités, sans avouer qu’il y a cédé. Il n’a pas fait d’enfant, lui, sans être certain dans son esprit de cette affirmation. Il prend acte de cet événement, sans le commenter. Mathilde doit comprendre à demi-mot. Il n’en sera plus question dans leurs courriers. Mathilde craint son retour et sa réaction devant cet enfant qui n’est pas le sien.


— Il en prend acte, sans le commenter… Bizarre…

— Tu as raison ! Il y a la le sujet d’un roman entier. Sa phrase exacte est : « J’entends bien ce que vous me dîtes sur cette relation avec un officier de la Wermacht ». Nous n’avons pas la lettre de Mathilde, mais j’ai pensé qu’elle lui avait tout avoué ! Sinon, comment cacher un enfant adultérin… Paul n’a ni renommée ni fortune. Il aime ou a aimé Mathilde… Je pense qu’il a accepté. Un détail dans cette époque pleine de malheurs…

— Mouais… Tu interprètes un peu trop les zones d’ombre… Comme par exemple, le comportement de ton père. Dans sa lettre…

— Dans sa lettre, il reproche cette liaison à sa mère. Mais dans son journal, Mathilde dit le plaisir qu’elle a à voir Antoine proche d’Otto.

— Il avait oublié cet aspect des choses… Reprends !

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