Chapitre 5
Tel un gentleman cambrioleur, je parcours le couloir. Sur la pointe des pieds. Dans le plus grand des silences. J'avance vers mon objectif — la chambre de Cléandre — aplati contre le mur. Comme si j'allais commettre le pire des forfaits. L'alcool m'embrouille sans doute encore l'esprit ; une fois la main sur la porte, j'ai oublié ce que je prévoyais.
Depuis la porte de la chambre d'ami, Sarah me fait des signes incompréhensibles...et plutôt tendancieux. Face à mon air ahuri, elle soupire, brandit la boîte de préservatifs, puis tend la paume et fait mine d'y verser quelque chose.
Un sourire étire mes lèvres tandis qu'une douce chaleur naît au creux de mes reins. Bien sûr, comment ai-je pu oublier ? Nous prévoyons de passer une nuit de folie ! Mais comme mon amante d'un soir souhaite tester quelque chose d'un peu particulier, il nous manque un accessoire. D'après elle, Cléandre l'a dans sa table de nuit, alors, j'ouvre sa porte à la volée :
– Cléandre, tu aurais du...
Ma phrase s'achève dans un hoquet de stupeur. Ma bouche s'assèche, mes yeux s'écarquillent. À peine éclairée par la lumière du couloir, une vision idyllique embrase mon être. L'excitation me fait frissonner, je déglutis avec peine, bien content que ma question soit passée inaperçue. La joue collée au chambranle, je l'observe. Ou plutôt je me repais de chaque détail. Surprendre Cléandre dans cette position, avec cette occupation si intime — bien qu'inattendue —, le tube de lubrifiant convoité ouvert sur sa table de nuit, devrait me gêner, pourtant, je ne sens qu'un désir sauvage et grandissant pour lui.
– Nathéo, qu'est-ce que tu fabriques ? Tu l'espionnes ?
Le souffle de Sarah contre mon oreille me fait sursauter. Tout à mon observation, je ne l'ai pas entendue approcher. Ses bras s'enroulent autour de mes hanches, ses mains caressent ma peau dénudée, descendent le long de l'aine. Sa voix chaude s'étonne de me trouver dans cet état. Je sens son buste glisser dans mon dos alors qu'elle se hisse sur la pointe des pieds, sans doute pour regarder par-dessus mon épaule.
– Oh ! Je comprends ce qui t'a interpellé ! Vue splendide, n'est-ce pas ?
– Je ne comprends pas. Il est pas censé détester les trucs de tapettes ?
– Je t'ai dit que c'était plus compliqué que ça !
Cette fois, Cléandre nous entend. Il sursaute, puis se fige. J'imagine ses joues se teinter de rose, chose impossible à vérifier dans la pénombre. Sa main libre rabat aussitôt la couverture sur lui, il détourne le regard, bafouille des mots incompréhensibles avant de parvenir à nous demander ce qu'on fiche plantés à l'entrée de sa chambre.
Sarah me pousse en avant en me rappelant ma mission. Sauf qu'une autre idée germe dans mon crâne. Récupérer le tube, puis déserter ne me tente pas le moins du monde. L'utiliser avec la sublime créature étalée dans le lit, si. Je le veux. Je le désire.
Après une demi-seconde d'hésitation, mes jambes se décident à me propulser, non pas vers la table de chevet comme elles le devraient, mais vers le lit. Sur le lit. Je rampe vers, sur lui. Seule la couverture nous sépare. Le souffle court, le cœur au bord de l'implosion, j'attends le fatidique moment où il me repoussera. Il se contente de poser une main sur mon torse.
– Qu'est-ce que tu fais ?
– J'ai envie de t'embrasser.
- Tu es encore alcoolisé ? demande-t-il du tac au tac, d'une voix un peu rauque.
Question pour le moins étrange, il me sait dégrisé depuis un moment ; je l'étais déjà lorsqu'il nous a laissés dans sa chambre d'amis.
– As-tu besoin que je le sois encore ?
Il ne répond pas de suite. Malgré la faible luminosité, je le vois s'humecter les lèvres. Divine tentation à laquelle je résiste avec la plus grande des difficultés. Il me faut rester concentré. Un geste de trop et il se braquera.
– Où veux-tu en venir, Nathéo ?
J'opte pour le mensonge.
– Je ne sais pas trop, et toi ?
Un hoquet lui échappe. Ses doigts se crispent sur ma poitrine, puis il lâche d'une voix où perce l'amertume.
– Certainement pas t'embrasser, en tout cas.
– Tu préfères peut-être qu'il t'aide à finir ? On t'a trouvé en charmante position, roucoule Sarah.
– D'accord.
Mon corps se fige alors que j'allais rouler sur le côté. Que vient-il de dire ?
– Un baiser, continue Cléandre de sa voix si rauque. Et seulement parce que tu es encore imbibé. Et après vous déguerpissez.
Hors de question de le contredire. Hors de question de bouger. Juste attendre, le corps et le cœur en ébullition. Le premier, échaudé par l'idée espère que mon esprit ne lui joue pas des tours.
Son index effleure ma joue, sinue jusqu'à mon menton. En douceur. Avec tendresse. Je fonds. Son pouce crochète mon menton, m'incite à m'approcher de lui. L'instant d'après, je goûte ses lèvres chaudes et sensuelles. De timide, notre baiser devient passionné. Nous nous enlaçons, nous nous collons l'un à l'autre. Je bous ! Mais alors que mes hanches se pressent contre les siennes, des dents pincent ma lèvre inférieure. Il me repousse.
Je voudrais hurler, me débattre, le supplier de continuer, mais le moment est passé. Il s'essuie même la bouche d'un revers de main avant de me lancer le lubrifiant en m'invitant à sortir de sa chambre. Et avant de vraiment comprendre ce qu'il m'arrive, je me retrouve sur le pas de sa porte, haletant, vexé et frustré.
Cette frustration me colle à la peau. Elle m'empêche de me détendre, une fois de retour dans la chambre. Elle décourage Sarah, laquelle finit par s'endormir contre moi — je l'imaginais plus rancunière. Elle me tient éveillé jusqu'au petit matin, aidé par un marteau-piqueur qui a trouvé judicieux d'élire domicile dans ma boîte crânienne. Jusqu'à entendre la porte d'à côté s'ouvrir, puis se refermer. Intrigué, je me redresse sur les coudes.
Quand le battant face à moi s'entrouvre, quand je le vois apparaître dans l'embrasure seulement vêtu d'un boxer, je le dévore des yeux, le souffle court. Et encore une fois, je me demande pourquoi il se cache sous des pulls informes. Bien sûr, il n'a rien d'une statue grecque. Pas de pectoraux bien dessinés, pas d'abdominaux chocolatés. Il a même les hanches un peu épaisses malgré son ventre plat. Mais tout ça ne le rend que plus sexy ! Un garçon sans défaut ? Non merci ! Je laisse ça aux magazines de mode et à leurs lectrices.
Mes espoirs de le voir nous rejoindre meurent lorsqu'il se contente de me demander si je veux être ramené de suite ou plus tard dans la matinée.
– J'ai pas encore dormi de ta faute.
Mon ton désagréable le fait tressaillir, néanmoins, son visage reste impassible. Il hoche la tête, referme la porte. Ma tête retombe sur l'oreiller. Mes paupières se ferment. L'épuisement me guette et pourtant, impossible de trouver le sommeil. Le bruit caractéristique d'une clenche me fait ouvrir les yeux. Il est de retour. Un verre dans la main, il s'avance vers moi sur la pointe des pieds. Dans un chuchotement, il vérifie que je suis toujours éveillé, puis me propose un cachet. Du paracétamol, pour faire passer mon mal de crâne, véritable coupable de ma nuit blanche, selon lui. Face à mes véhémentes objections — je persiste à l'accuser —, il sourit. Mes expressions lui permettent de lire en moi comme dans un livre ouvert : la lumière me force à cligner des yeux, le nez retroussé, les lèvres pincées.
Un peu vexé d'être si transparent, je referme les yeux et reste sourd à son conseil d'avaler le médicament. Au lieu de partir comme je m'y attends, il pose une main fraîche sur ma joue, puis laisse courir ses doigts sur mon nez, mes lèvres. Malgré moi, j'en attrape un entre mes dents pour le mordiller.
– Je te croyais endormi.
– Et moi je croyais que tu me détestais. Tu te comportes bizarrement pour un homophobe, tu sais ?
Le contact se rompt aussitôt. Ses traits se froissent tandis qu'il se redresse d'un bond ; je l'ai agacé.
– Je ne suis pas homophobe, tu deviens pénible avec ça ! Et je me comporte normalement, tu es mon invité, je prends soin de toi. Mais si ça te perturbe tant que ça, permets-moi d'arrêter. Quand tu voudras rentrer chez toi, rejoins-moi dans la cuisine.
Sur ces mots, il tourne les talons. J'allais protester ; les mots meurent dans ma gorge. Il quitte la pièce bien trop vite à mon goût, en claquant la porte de surcroît. Mais sur ma rétine reste imprimée une image enchanteresse. Comme je le soupçonnais, un tatouage orne son dos. Un immense scorpion tribal grimpe le long de sa colonne vertébrale. Ses pinces chatouillent ses omoplates. Sa queue caresse le creux de ses reins. De quoi faire renaître un désir dévastateur...
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