Chapitre 7

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– Sarah... qu'est-ce que tu as foutu avec mon T-shirt ?

Le nez froncé, je repousse le bout de tissu du gros orteil. Son contact humide me soulève le cœur autant que les tâches suspectes. Ma journée commence décidément très mal. Je pensais que prendre une douche me calmerait, hélas, ce fut l'inverse. Je n'ai cessé de cogiter, encore et encore. Je ne peux plus nier que Cléandre me plaît. Bien plus que Sarah. Je ne peux nier que je suis en train de tomber amoureux. Et je ne peux nier que ce n'est pas la bonne personne. Jamais au grand jamais je ne me suis intéressé à un homme qui ne soit ni homosexuel, ni bisexuel, ni pansexuel. Je n'aime pas les causes perdues d'avance, mais Cléandre...

Il me perturbe, il ne me repousse pas tout à fait sans pour autant accepter mes avances. Pourquoi ? Et où se situe la limite ? Dois-je persister ou abandonner ? Après nos baisers, je ne peux que persister. Mais après mon comportement insupportable de ce matin... je ne peux qu'abandonner.

Une tête échevelée émerge du drap, puis une voix pâteuse grommelle :

– Il avait ton odeur, c'était cool. Et j'ai peut-être un peu vomi dessus après. Je sais plus.

Partagé entre ahurissement et amusement, et réprimant un nouveau haut-le-cœur, je dévisage la jeune femme d'ordinaire si pétillante et soignée. Son glamour en a pris un coup ; elle ressemble à un panda. Mais un panda qui aurait fondu au soleil.

– Tu as besoin d'une douche.

Son visage encore ensommeillé s'illumine d'un sourire, lequel se fane aussitôt.

– Mais pas toi... quel dommage, j'aurais bien rattrapé notre nuit ratée en folâtrant sous la douche !

Je lui adresse une moue dubitative. Faire l'amour dans une baignoire n'a rien de confortable, je ne comprends même pas comment quelqu'un peut fantasmer là-dessus ! J'ai testé deux fois. Mes genoux m'en ont voulu pendant des jours... 

– Moi, j'ai surtout besoin d'un haut propre. Tu crois que ton mec m'en prêterait un ?

Elle grimace avant de se relever. Le drap glisse sur son corps nu. Au contraire de Cléandre, elle n'a pas une once de graisse. Je la trouve même un peu maigre. D'un pas souple, elle s'approche de moi. Ses mains s'égarent sur mon torse encore humide. Lorsqu'elle se colle à moi, je bondis en arrière : elle dégage une odeur infecte !

– Tu crois que je ne sais pas pourquoi tu me repousses ? 

– Au moins, tu as conscience que tu pues.

Elle me frappe l'épaule, plus amusée qu'autre chose, avant de me narguer.

– Parfait ! Si tu ne veux pas m'accompagner à la douche, je trouverai quelqu'un d'autre. Cléandre a accumulé une telle frustration depuis hier soir ! 

Une immonde jalousie m'envahit aussitôt. Elle et Cléandre ? Seuls sous la douche ? Hors de question ! Avant que Sarah ne quitte la chambre, je lui attrape le poignet. Si elle ne sentait pas si mauvais, je me pencherais sur elle, à la limite de l'embrasser.

– Ça va, je viens. Mais tu te laves les dents avant, je suis pas fou non plus ! 

– Je trouve ça très drôle que la raison pour laquelle tu me repoussais il y a une minute devient celle pourquoi tu vas me rejoindre sous cette douche, susurre-t-elle, la mine ravie. 

Alors que je m'attends à la voir détaler dans la salle de bain, elle disparaît dans la chambre de Cléandre. Je la suis, une délicieuse chaleur naissante au creux du ventre. Le goût de l'interdit autant que l'appréhension — ou l'envie ? — de me faire surprendre avec Sarah dans la chambre de son petit ami. Au lieu de se vautrer sur le lit, elle ouvre une porte — encore une ! — et pénètre dans une salle de bain. Je siffle. Cléandre se paye le luxe d'avoir une suite parentale !

Le temps que Sarah se débarrasse de son haleine infecte, j'explore les lieux ; la nuit dernière, la découverte d'un Cléandre lubrique a éparpillé mes sens et je n'ai pas songé une seconde à examiner la pièce. 

Hormis un mur caché par un immense meuble cubique, la décoration ressemble à s'y méprendre à celle de son salon : des cadres et des plantes vertes. Partout. De sa table de chevet au rebord de sa fenêtre, des différents niveaux de l'étagère au-dessus de l'armoire, il en a mis partout. D'ailleurs, j'ignore quel engrais il utilise, mais elles sont magnifiques ! Les seules fleurs à avoir un jour peuplé la jardinière de ma fenêtre ont fini complètement desséchées. Je devrais peut-être lui demander des conseils ? Ça fera toujours un sujet de conversation neutre... 

Comme Sarah ne se manifeste pas, je m'approche des cadres. Les deux filles blondes, pour beaucoup. Une photo avec une vingtaine de personnes, sans doute une photo de famille ? Cléandre s'y tient aux côtés d'une femme d'une quarantaine d'années et du jeune homme bouclé aperçu dans le salon. Derrière eux, la demoiselle aux cheveux longs, mais nulle trace des blondinettes et de leurs parents. Étrange. 

Dans le cube attenant, une licorne arc-en-ciel me dévisage de ses grands yeux à paillettes. Je la trouve affreuse, mais son apparente douceur me donne envie de la caresser ! Mes doigts partent à la rencontre de sa crinière, puis de sa croupe. Enfin, ils s'emmêlent dans sa queue soyeuse. Je me sens un peu idiot, mais le geste s'avère si agréable que je recommence. 

Sauf que cette fois, mes phalanges heurtent un objet dur. Sans trop y croire, j'extirpe la licorne de son casier, pour découvrir stupéfait d'autres cadres ainsi qu'une boîte de bois.  Si je n'ose pas la toucher, mes yeux ne se gênent pas pour étudier en détail les deux photos cachées.

Ma stupéfaction grandit d'un cran ! L'adolescent en leur centre n'a rien à voir avec le jeune homme que je connais. Le sourire jusqu'aux oreilles, des vêtements... arc-en-ciel et prêt du corps, du vernis à ongles. Les deux seuls points communs entre le Cléandre actuel et le Cléandre passé résident dans les mèches rouges de sa chevelure et dans son piercing.

Bien, me voilà totalement amoureux à présent. Et contrarié. Où est donc passé le Cléandre merveilleux ? Pourquoi ne reste-t-il que sa version triste et torturée ? 

– Surprenant, n'est-ce pas ? 

Dans un sursaut, je replace le cadre. Mes mains tremblantes manquent de l'échapper. Puis je range la licorne, sans aucune délicatesse. 

– La première fois que Cléandre m'a surpris en train de fouiller, j'ai carrément cassé un cadre !

– La première fois ?

– Ça m'arrive très souvent ! Il cache tout un tas de choses étranges un peu partout. 

La curiosité me dévore aussitôt, alors je la prie de développer. Le sourire aux lèvres, elle marche droit vers l'armoire. Elle en sort un carton rempli de VHS puis, avec un air de conspiratrice, ouvre la boîte de Dumbo. Un rire étouffé m'échappe : il possède une cinquantaine de licornes de verre !

Jared n'avait pas menti : ce garçon aime vraiment beaucoup les licornes. 

Je n'ose demander à Sarah si le choix de l'animal à une signification particulière ou s'il s'agit là d'une extraordinaire coïncidence. Mieux vaut pour moi me convaincre de la seconde, si je commence à y voir un lien avec la communauté LGBT, je ne lâcherai jamais l'affaire.

En réalité, même sans lien, je ne lâcherai pas l'affaire. Tout ça m'intrigue bien trop, sans parler de mon cœur qui s'accroche au souvenir des baisers comme une moule à son rocher. Bretonne, la moule, bien sûr. 

– Sarah ? Pourquoi tu me réponds toujours que c'est compliqué quand je te demande si Cléandre est homophobe ?

– "Toujours", tu exagères, tu as dû me demander ça deux fois. Enlève ton pantalon et rejoins-moi donc. Sauf si tu préfères que..

– NON !

– Dis donc, tu ne veux vraiment pas que je me retrouve seule avec Cléandre. Ce serait flatteur si je ne savais pas que c'est lui que tu veux.

Un frémissement me parcourt. Suis-je si transparent que ça  ? Oui, bien sûr que oui, je n'arrête pas de lui parler de son petit ami. N'importe qui trouverait ça étrange. Pourtant, je feins la surprise.

– Quoi ? Mais pas du tout, tu es mon crush depuis septembre !

Ce n'est pas exactement faux, d'ailleurs, aujourd'hui encore je ne suis pas insensible à son charme ! Dans une tentative idiote de le lui prouver, je me débarrasse de mon pantalon, puis de mes sous-vêtements, avant de prendre une pose d'athlète athénien, un sourire enjôleur sur les lèvres.

– Ne me prends pas pour une idiote, voyons, je vois bien comment tu le regardes ! 

Je ne bouge pas d'un pouce, bien décidé à lui tenir tête.

– C'est toi, que je regarde. Je suis peut-être bi, je ne gâche pas mon temps avec des hétéros, encore moins s'ils sont... pas homophobe, j'ai bien compris, mais franchement pas gay friendly, et pour autant, il m'a laissé l'embrasser !

– C'est compliqué.

– J'ai cru comprendre, oui, mais j'aimerais comprendre pourquoi maintenant.

– Ça aussi, ça va être compliqué, on ne peut pas dire que Cléandre soit très bavard sur son passé. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'avant son hospitalisation, il n'était pas si... buté vis-à-vis des gays.

– Tu le connaissais ? Hospitalisation de quoi ? Tu fais référence à la photo ? 

Mes mollets commencent à souffrir. Une crampe tord soudain une de mes plantes de pieds. La douleur m'arrache un juron et me force à gagner le lit en clopinant. Sarah m'accompagne, glisse ses doigts sur le muscle contracté, et encore une fois, elle se garde bien de répondre. Si elle n'était pas si douée, je lui en voudrais.

Coquine, elle remonte jusqu'à mon mollet. Puis dépose des baisers sur ma cuisse. Un frémissement me secoue. Je n'ai pas envie qu'elle continue. Pas du tout, même.

– Tu vois, ricane-t-elle en reculant. Tu...

La porte s'ouvre à la volée sur un Cléandre un peu affolé.

– Qu'est-ce qu'il se passe, j'ai entendu un juron, puis plus rien alors je... 

Sa voix meurt lorsque son regard se pose sur moi. Ses yeux balayent mon corps, sa bouche s'entrouvre. Une délicieuse teinte rose colore ses joues. Il se racle la gorge.

– Apparemment tu... vas bien.

– Il va très bien, on parlait de toi, d'ailleurs.

– Vous êtes à poil et vous parlez... de moi ? C'est pas un peu bizarre ?

Il marque un point. Je me précipite vers mes habits pour les enfiler en vitesse.

– Presque autant que de voir les regards langoureux que vous échangez tous les deux ! Si je dérange, faut le dire, je vais me faire un café et je vous laisse la chambre !

Il écarquille les yeux, sans doute autant que moi. Le nez de Sarah se plisse. C'est adorable et inquiétant à la fois. Tandis que Cléandre se passe une main sur le visage, les joues de plus en plus rouges, mais le regard droit et fier, sa petite amie se penche sur moi. 

– Je suis quand même un peu jalouse, Nathéo. Depuis presque un an qu'on est ensemble, il n'a encore jamais eu une telle érection pour moi !

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