Retour au Présent.

Le vaisseau en pilote automatique arrive à proximité de la station 12… Aucune réponse aux demandes répétées des Répartiteurs. Un vaisseau fantôme ! La légende du Hollandais Volant… Voilà comment il faut nommer ce bâtiment sans nom, le Hollandais Volant.

Il faut toute une procédure pour l’attraper et l’attirer lentement, délicatement, comme un panier chargé de trésors en verre. Une équipe d’exploration commandée par les Capitaines Sunjy et Pema du Penthésilée, en permission, se téléporte sans difficultés. Anubis a une fois encore suivi les consignes. Il n’est vraiment pas un as de l’informatique, mais il reconnaît volontiers ignorer ce qu’il adviendra en n’obéissant pas…

La petite équipe de filles faillit perdre la raison quand, sur la Passerelle, Sunjy voit les oreilles de la statue bouger… Elles ont toutes la même impression de n’être pas seules. Anubis, ne sachant pas si ces femmes sont des ennemis, ne se manifeste pas.

- Sunjy, essaie de trouver des informations sur cette contamination. Dans ton jeune temps t’as fait médecine !

Emerald, toi tu regardes dans le ventre de leur IA ce qui a pu arriver. Il faut accéder au Journal de Bord.

- Et toi, Pema, tu fais quoi ?

- Moi ? Je vais à la recherche du Maître du Bord. Et surtout, j’établis une connexion avec la base. On va voir s’il est possible de connecter tout pour extraire toutes les informations. Cette contamination est étrange.

- Pe… Pema, le chien ! Il me regarde !

- Bon sang, Emerald, ce chien est une statue !

- Je te dis que ses yeux me suivent.

- Une illusion d’optique.

- Il me regarde !

- Bon on va le savoir. Observe et prends-en de la graine !

Elle plante sa torche dans les yeux du Gardien dont les pupilles réagissent. L’animal se secoue, grandit et brusquement devient un homme.

- Non mais ça va pas ? Vous êtes folle, Petite ! Ça fait mal ! J’suis aveugle !

- Seigneur ! Mais qu’est-ce que c’est ?

- Ah ! La petite Pema est polie ! Elle m’a reconnu ! Ou pas !

- Mais non d’une pipe en bois, vous zêtes qui ?

- Anubis ! Le papounet de Sébeknefer votre petite copine. Et de toute façon, il faut que je réveille tout le monde. Vous ne croyez tout de même pas que je les ai tous tués ! On a rencontré des pirates.

- Et d’abord, pourquoi l’IA était-elle débranchée ?

- Ce truc parlait tout seul et pédalait dans la semoule. Ce n’est certes pas très précis mais moi, je ne suis pas informaticien et j’étais tout seul. Et M E R D E ! Bacchus ! Vite, trouvez un docteur du temple de son compère. Je crois qu’on a vécu un paradoxe !

- Lequel ?

- Un dieu est mort.

- Enfin, c’est vous, un dieu, spécialisé dans le commerce des morts qui nous dites ça ! Où est rangée votre foi en vos cousins ? Dans votre poche ? Dans un placard ? Alors elle arrive cette connexion ?

Un long tuyau épais se matérialise lentement. Emerald s’en saisit et l’enfonce dans la prise adaptée. Tous les écrans se rallument. La vie électronique revient à petits pas. Anubis prend Sunjy par la main et la regarde.

- En tout bien tout honneur, allez, Petite, suis-moi ! Tu ne vas pas mourir ! Ce n’est pas ton heure… On va aider Bacchus.

Ils courent dans les couloirs qui se remplissent lentement au fur et à mesure que le dieu se déplace. Il a beau faire, Sunjy est une Mortelle et ne court pas aussi vite que lui. C’est une véritable course, un marathon qu’ils entreprennent. Elle le suit, crache ses poumons, mais ne se laisse pas distancer. Ils arrivent enfin dans les quartiers du dieu viticulteur romain. Ils ne sont pas seuls. Quelques prêtres et des servants sont présents, en prière. Il est entre de bonnes mains. Il est sauvé. Sunjy pleure de soulagement et s’effondre dans les bras d’Anubis qui la caresse doucement.

- Il est sauvé, répète-t-il en boucle en lui tapotant le dos.

Drôle de prière adressée par un dieu à son confrère.

- Viens, Petite, laissons-les s’occuper de mon Cousin. Allons plutôt porter la bonne nouvelle à tes copines. Et, il faudra vérifier comment va Sébeknefer.

- Elle est à bord ?

- Bien sûr ! Elle est la Patronne du « Dernier Vaisseau de La Flotte » !

- C’est ça, le DVF ? Mais franchement il n’est pas terminé… Nous étions, il est vrai, en mission pour son lancement et…

- Ma chère Petite, il n’a pas été inauguré dans les formes. Il n’a pas de nom, il n’a pas reçu sa boisson effervescente. Nous sommes partis en urgence. Certains Mortels estiment que ça porte la poisse ! Et nous sommes au début de la mission qui est un échec. Nous nous sommes fait arraisonner par des pirates, probablement ceux que nous cherchions à éliminer. C’est un hasard. Ils l’ignorent. Ils pensaient, j’ai entendu leurs conversations, que nous étions un vaisseau de voyageurs, pas un star-liner, juste un vaisseau remplissant le rôle d’un train de nuit traversant l’Europe, planète Terre. Ils ont été déçus de ne rien pouvoir emporter.

- Hélas, vous ne savez pas la direction qu’ils ont prise.

- Non. Viens, on va sur la Passerelle. Sébeknefer a dû se réveiller. Elle sera heureuse de vous retrouver. Vous vous débrouillez avec les bécanes, comme elle a coutume de le penser. Vous saurez ce que notre IA a comme problème.

Deux heures plus tard, dans le DVF revenu à la vie, les langues se délient, les informations s’échangent. La peur est omniprésente. On pense que le Puissant Anubis a fondu un fusible et s’est pris les pieds dans le tapis. Ils ont tous été convoqués dans la salle de réunion pour qu’ils puissent entendre la même information qui mettra fin aux commérages.

L’amphi de conférence est bondé. Dans diverses parties du vaisseau et sur la station, la réunion qui va suivre va être retransmise en direct. Les révélations sont attendues. Et les explications. Anubis trône entre Pema et Sunjy. Il est imposant, divinité à corps d’homme et tête de chien. À chaque oreille, il a des boucles d’or. Il a une pilosité sombre qui met en relief ses bracelets de force (dont certains pensent qu’ils ont le même rôle que ceux de Poséidon : il peut marcher. On estime que sinon Poséidon aurait une queue de poisson et Anubis serait un Divin Chacal !)

Il semble avoir froid et une personne charitable lui a fourni un manteau de commandement, une Pourpre. Pour un peu, il ressemblerait, en se forçant, à Jules César, songe Lee Chan, ancienne traductrice du Penthésilée. Et officier en second du vaisseau. Anubis promène son regard sur l’assemblée assise sagement dans l’hémicycle. Comme il n’y a pas de mouches, elles ne peuvent pas voler ; on ne peut donc les entendre… Ils attendent tous que l’un des trois prennent la parole. Anubis toussote...

- Bon, c’est moi le dieu du secteur. Sébeknefer n’est pas là, elle est…

- Si je suis là ! Mais comme j’étais hors de combat comme les autres, je ne vois pas ce que j’aurai bien pu raconter.

- Alors, tout va bien. Je vais vous raconter ce que moi j’ai vécu…

Il explique l’attaque, le percement des trous dans la triple coque pour y introduire ensuite le gaz mortel. Il grogne que le vaisseau n’aurait jamais dû être si facilement perçable. Qu’il estime qu’il y a eu malfaçon lors de la construction. Ou alors, et c’est plus grave, que soit les Grincheux ont voulu se débarrasser de sa fille (il a des doutes) soit un traitre a fourni les plans du vaisseau aux pirates qui ont eu tout le temps de mettre au point une technique et les instruments de perforation. C’est plus plausible.

À cette nouvelle, les spectateurs se regardent, horrifiés. Un traître parmi eux ? Ils se connaissent tous ! Il explique que le personnage déloyal à la Fédération n’est pas obligatoirement sur ce navire. Il peut appartenir à l’état-major ou au personnel des chantiers navals. Le soulagement se lit sur leurs visages fatigués et inquiets.

Pour calmer leurs appréhensions, il rajoute rapidement qu’en vertu de l’accord passé entre Hadès et la Flotte, aucun décès n’est à déplorer. Et ça, les agresseurs ne le savent pas ! Cela pourrait être utilisé dans la seconde manche. L’effet de surprise. Il faudra sans doute y aller à plusieurs vaisseaux et sans demander l’avis de La Flotte pour éviter des fuites.

De son bureau, Alvéradis, le Patron de la Station 12, prend la parole qui est aussitôt retransmise.

- Je dispose de Cinq vaisseaux que je peux mettre à votre disposition. Ils ne rendront des comptes qu’à moi et aux divinités, cela va sans dire. Ah oui, pendant que j’y pense. Le Seigneur Bacchus va bien ! (Un hurlement de joie parcourt les spectateurs et la station). Comme vous pourrez le constater d’ici peu, les prêtres de Dionysos sont efficaces. À cette heure, le chef des médecins est en route pour la conférence, il ne prend pas les téléporteurs, Dionysos l’interdit, il se rend donc en navette à bord. Et bon ! Je vous ordonne de trouver un nom à ce vaisseau ! Nous tous, quand Bacchus ira bien, nous le baptiserons. J’autoriserai une petite bacchanale pour fête son retour à son poste.

- Mes amis, reprend le dieu à tête de chien, il faut mettre au point une stratégie et… attendez ! J’ai oublié de vous dire… J’ai posé un mouchard sur la coque du gros vaisseau. C’était sorti de ma tête, avec toutes ces courses dans les couloirs. Je peux me faire discret quand il le faut. Personne ne m’a vu. Et je suis désolé mais je ne suis pas Athéna ou Minerve. Je ne sais pas exploiter ces informations. Je suis fautif.

Pema le coupe dans un élan de sympathie et lui prend la main.

- Vous n’avez pas l’air de comprendre… mais vous nous avez, sans hésitation, gagné du temps ! On va compiler les données de votre IA et on saura où trouver nos petits amis. Il faut les exploiter et aussi faire une fête pour ce vaisseau. J’ai eu peur, je le nommerais bien « Indékuzas » Dans la langue du comté du Narr, ça signifie Hollandais Volant ! Vous savez, le fameux vaisseau fantôme ! Celui mis en musique par Richard Wagner ! Quand vous êtes arrivés et que nous sommes montés à bord, c’était flippant.

- Oui, répond Alvéradis, une petite fête renverra la poisse aux oubliettes. Ce sera l’occasion de montrer à Bacchus et à Dionysos que nous savons nous amuser, malgré les nuages noirs qui nous assiègent. Et je pense que l’Amirauté ne dira rien pour la bonne et simple raison que nous avons deux dieux dans notre manche.

Les portes s’ouvrent. Le Pontifex du temple de Dionysos, en grande tenue cérémonielle d’un vert tendre, brodée à la main de feuilles de vignes et de grappes de raisin, pénètre dans l’amphithéâtre. Sans se concerter, tous se lèvent et applaudissent pour le saluer et le remercier. Il se sent inquiet. Il a conscience de son importance. À petits pas, comme il n’est plus tout jeune, il s’approche de l’estrade et de la grande table de conférence. Vite, un marin lui apporte un siège près du micro.

- Je suis porteur de bonnes nouvelles. Le Seigneur Bacchus sera sur pieds, demain matin. Il a demandé que le baptême du DVF soit prioritaire sur la fête pour sa guérison. Un autre banquet se fera ensuite. Il demande que vous exploitiez à fond toutes les données… Nous ne partirons que quand nous serons prêts. Enfin quand vous le serez ! Moi, je ne pars pas ! Je suis trop vieux pour tout ce cirque. Je suis le soutien tactique et religieux.

Nouvelle salve d’applaudissements nourris. L’idée de festoyer pour donner un nom au vaisseau, officiellement, sans vraiment avoir l’Amirauté sur le dos, est une excellente idée. Pema apprécie et prend la parole.

- Je pense que le Penthésilée sera de la partie, notre équipage de filles sera enchanté de vous aider dans la Chasse aux Pirates. Et Diane et Artémis nous apporteront leur concours. Bien entendu je m’avance peut-être ! Je les questionnerai pendant ma séance de méditation nocturne. Nous allons nous en sortir. Nous récupérerons la Station qui a été assiégée et pillée. Nous libérerons les otages et ramènerons Pax dans le secteur. Demain est un autre jour, avec le Général Alvéradis, Sébeknefer, Anubis et le Capitaine, nous chercherons quels vaisseaux parmi les cinq seront intégrés à l’escadre et lesquels resteront pour assurer la défense de notre Station. Il faut penser qu’ils ont l’audace de croire qu’ils peuvent nous capturer… J’ai un plan sommaire : les autres vaisseaux de la station vont partir, ouvertement en escorte pour ramener à une autre station un autre bâtiment bien amoché. Ils reviendront sous bouclier d’invisibilité et feront silence radio… Ils seront approvisionnés pour tenir en autarcie pendant un an ! On verra demain les précisions.

- Bravo, Pema ! Vous avez fait du bon boulot, déclare Anubis. Je constate que ma fille sait bien choisir les bonnes personnes aux bons postes. Son jugement me convient.

Sa réponse est couverte par le brouhaha. Alors le Général Alvéradis termine la conférence en souhaitant une bonne fin de journée. Il convient de préparer le Baptême du vaisseau. Ce serait bien de décorer la Station… Il fournira le matériel et la nourriture.

La joie des participants est sans limites. Tous se séparent en discutant sur les rôles à répartir. On va fiester… faire la fiesta, toute la nuit… dans un lieu où le noir est chassé H 24 par des lampes, ce n’est pas banal ! Dans l’espace profond, loin d’un soleil et dans une station spatiale orbitant autour de… rien du tout, il est difficile de faire plus sombre. Mais bon, il y a les vents solaires qui agitent des turbines et qui actionnent des éoliennes produisant de l’énergie. Je ne sais pas si c’est possible dans la vraie vie, mais ce n’est pas grave… Ils ont sans doute inventé une énergie facile à produire...et puis, les dieux pourvoient… Pourquoi se casser la tête quand vous êtes « pote » avec les deux plus grands bricoleurs de l’Univers ?