12. La Farce de Hache-Kaa-Thée
Le lendemain des funérailles, Hache-Kaa-Thée a trouvé un marchand ambulant visitant chaque station, arrivé pendant la nuit. Fouiller dans les marchandises lui a ôté les pensées sinistres. Dans sa cargaison, entre autres, il a découvert un livre sur l’agriculture. Il est stupéfait d’avoir déniché une version anglaise de Tiangon Kaiwu, ou l’Exploitation des travaux de la Nature… Un exemplaire de 1745 calligraphié et illustré par des aquarellistes. Il apprécie toujours de regarder les beaux ouvrages.
Sa place n’est pas sur un vaisseau de guerre. Il en est conscient ! Il sait aussit qu’un de ses collègues le conservera gracieusement dans son immense bibliothèque. Il travaille pour les Fédéraux et collecte les livres rares et coûteux dans le but de les numériser pour que n’importe qui puisse y accéder. Tiangon Kaiwu sera une superbe pièce de choix. Une telle rareté qu’i l apportera une fois le conflit contre les pirates, terminée.
Sur l’Agora de la Station 12 se trouvent des boutiques diverses dont un Baazaart, Le Trouve-Tout de Djédjé LeStucieux, qui propose à la vente quantité d’articles introuvables ailleurs, obtenus sans doute en contrebande. Le général Alvéradis laisse son gérant continuer son négoce puisque lui-même en profite. Qui n’a pas souhaité des bougies parfumées à la sueur de Krolshs ? Et des lumières pour cascades ? Ou des plumes de paon converties en stylo ? Hache-Kaa-Thée, lui, a trouvé son bonheur : un coffre en pierre, sculpté avec serrure électronique inviolable, pouvant contenir n’importe quoi, y compris des flacons de nectar à usage divin. Il a hésité aussi devant les boules à neige représentant quelques vaisseaux célèbres : le Titanic, le Nabuchodonosor, ce fabuleux navire de croisière offrant des fêtes durant la traversée. Il a aussi découvert une vieillerie, la Harpe en bois doré et cordes en cheveux de Diane, ayant appartenu à Apollon pour la modique somme de 2000 Pièces d’or ! Il n’a rien dit : c’est un faux ! Il n’a de toute façon pas 2000 PO à dépenser !
Une fois chez lui, il place bien rangé, soigneusement plié dans un magnifique drap de soie japonaise, son exemplaire de Tiangon Kaiwu. Il dépose le tout sur l’étagère, en compagnie d’un solitaire, ce fameux jeu de billes, en jade.
Franchement, une journée passée à fouiller dans les vieilleries, les invendus des autres marchands, lui a permis d’oublier un peu son chagrin et de se reprendre. Sébeknefer aura besoin de lui… Son esprit doit redevenir vif et réactif. Cette récréation fut bienvenue. Il a acquis un certain nombre d’objets qui lui seront utiles à bord, lui a indiqué le vendeur Djédjé, d’un certain âge.
Une petite discussion lui avait appris que Djédjé avait dû partir rapidement pour échapper aux sbires payés par sa femme pour l’assassiner. Elle refusait de divorcer… Et sa nouvelle copine s’était fait chasser de la ville au motif que c’était une espionne travaillant pour les Schroggs ! Étant parti, il avait été déclaré divorcé aux torts de Madame, puisqu’elle avait tenté de le tuer. Il avait appris qu’elle avait été emprisonnée pour espionnage. C’était elle qui informait les Schroggs. Et ce depuis très longtemps. Un divorce l’aurait privé de sa source d’informations.
Hache-Kaa-Thée, philosophiquement, conclut que sa propre situation était moins embêtante que la sienne. Sans trop savoir pourquoi, il promit à Djédjé de revenir et de lui adresser des lettres… Entretenir une correspondance serait profitable : elle aurait le mérite de l’obliger à garder les yeux ouverts et à conserver de l’esprit pour pouvoir raconter. Les informations lui parviendraient de façon épisodique. Il prendrait soin de numéroter ses lettres ! Certaines risquaient de lui arriver avant d’autres.
Il était retourné dans sa bibliothèque pour y ranger de nouvelles acquisitions achetées, chez un bouquiniste dans une petite échoppe située dans une ruelle derrière l’Agora. Il avait découvert des raretés qu’il souhaitait, un jour, montrer à Sébeknefer qui s’y connaissait. Il voulait se lancer dans l’étude de la magie de base, pour aider dans les expéditions. Classer ses nouveautés l’aideraient à retrouver un calme qu’il était loin de posséder. Les titres étaient évocateurs :
L’art des incantations magiques par un A. Nonyme,
Lancer des sorts de débutant, par un illustre inconnu,
Informations sur les arts défensifs magiques, par Magus et Corinthus,
La magie élémentaire pour tous, par Hoccus et Poccus
Et puis Néfertari lui avait déposé voilà quelques semaines, une caisse de vieux bouquins hérités de sa grand-mère, dont elle n’avait pas l’usage. Depuis le temps qu’il devait les inventorier et les numériser. Le premier titre lui plaît tout de suite ! Le Livre des Potions Oubliées Utiles à l’Usage des Débutants par un collectif de professeurs de Médecine Magique. Cet opus pourrait sauver des vies en expédition. Il l’examine ; il est corné, annoté et certains dosages ont été convertis en mesures modernes. Il se demande soudain si Néfertari l’a utilisé… En tant que Suivante de Diane, ces potions seraient utiles dans la nature.
Le second est un petit format sur les Démons Mineurs Fantastiques. L’auteur lui disait vaguement quelque chose. Ce vieux livre, tout aussi corné, lui en rappelait un autre, qu’il lisait, enfant. Il appartenait à son grand frère qui lui avait choisi la voie des Chasseurs de Monstres, sur leur planète. Il était réputé et ses services étaient loués pour des safaris… Surtout, certains magots qui voulaient voir des monstres d’assez près pour, sur leurs territoires, leur piquer des écailles, des poils et autres ingrédients qu’on ne trouve que dans les nids. Celui qu’il a entre les mains lui semble être une version plus récente. Il le feuillette, oubliant les autres ouvrages. Il apprend ainsi que les Loups-Garous sont classés dans les Démons Mineurs mais que tous les spécialistes ne sont pas d’accord.
Un bip lui apprend qu’un visiteur demande à être reçu. Il grogne dans sa moustache et se lève pour accueillir l’intrus. Il sourit : Sébeknefer ! Il ne peut espérer plus auguste visiteuse. Il se dépêche de lui avancer un siège.
- Eh bien Hache-Kaa-Thée, on ne t’a pas vu à midi ! Qu’avais-tu de si important qui te fasse négliger ton repas, toi un adepte du ventre bien rempli ?
- Disons que je suis tombé, chez Djédjé, sur des livres et que j’ai ouvert un de ceux de Néfertari et j’en ai oublié l’heure. Je souhaitais aussi vous montrer des ouvrages que je pense faux… mais qui sont cependant fort beaux. Je ne suis pas Mage de Classe 50 et je pensais que vous sauriez déterminer…
- Montre-moi ces coûteux rouleaux ! Il y a si longtemps… Ah ! « Les incantations »… oui… il a l’air vrai… Je les ai étudiés. Enfin, avant de pratiquer la magie divine, j’ai dû savoir celle des Mortels ! Dis-moi Hache-Kaa-Thée, tu as un endroit où tu ranges les ouvrages euh… précieux et ceux qui pourraient être qualifiés... d’osés ?
- Les trucs érotiques et salaces ?
Sébeknefer rougit jusqu’aux cheveux. Son interlocuteur est sidéré par sa réaction. Embarrassée par des histoires de fesses littéraires ?
- Oui… Tu devrais mettre les trucs de magie avec… Ceux-là sont pour sorciers confirmés… Tu vois, si tu es un sorcier et que tu commences à avoir des trous de mémoire, tu les écris pour ne plus avoir ce problème. Tu le lis et le sort est lancé… Si tu n’es pas mage, il ne te sert à rien. Pourtant un novice animé de mauvaises intentions pourrait causer de lourds dégâts.
- Je vois. Je pense que vous devriez jeter un regard sur ces nouveautés : je n’y connais rien.
- Il faut être clair : je ne censure pas ! Je veux juste conserver l’intégrité structurelle de notre vaisseau. On a un nom : maintenant on peut devenir une cible pour une armée de malveillants. Le nom est à double tranchant.
- Bon sang ! Je n’ai pas vu ça ainsi ! Heu, je vous les confie. Vous lisez et vous faites le tri… Je compte les numériser ! Ça peut toujours servir.
- Oui. Ce travail de numérisation est utile. Mais fais attention ! Cette IA me paraît perturbée.
- Vous allez rire : on ne peut pas encore partir. Les informaticiens ne comprennent pas l’origine de la panne.
- Pourtant, il faudrait qu’on parte. Bon j’emporte tes livres pour les étudier. Tu as trouvé des trucs intéressants chez Djédjé ?
- Oui ! Une caisse en pierre sculptée, des verres d’inspiration celte et des bougies. J’ai vu un machin qui vous plairait bien ! Quelques cornes à boire en verre soufflé à la bouche.
- Pourquoi trouves-tu toujours les trucs les plus intéressants ? Je te laisse. À plus tard.
Hache-Kaa-Thée la reconduit avec la caisse dans les bras ; il appelle l’ascenseur et l’accompagne pour appuyer sur la touche. De retour dans sa bibliothèque, il se met à rire en songeant à l’embarras de sa patronne. Pourquoi est-elle si troublée par les livres érotiques ? Elle n’a pas de temps à perdre avec ces lectures. Si seulement elle savait que ces bouquins lui sont souvent demandés ! Serait-elle outrée ? Mais ils ne sont pas en libre accès. Ces livres de magies devraient être rangés dans le coffre du vaisseau. Il en a un pour ses documents précieux. S’ils sont sujets à controverse, autant les protéger et éviter effectivement qu’ils ne tombent entre de mauvaises mains.
À la nuit tombée, il rejoint les officiers au mess. Le fumet des plats lui chatouille les narines et lui rappelle qu’il a sauté un repas, ce qui n’est pas du tout dans ses habitudes ! Il s’installe à sa place selon l’étiquette. Il ne perd pas au change, Bacchus a daigné ne pas oublier et il est présent, avec sa couronne de grappes de raisins en jade, émeraudes et bois précieux. Ils discutent tous plus ou moins joyeusement. Sébeknefer a fait servir des boissons diverses pour remercier Bacchus de sa présence à table.
Ainsi une bouteille de Banana Drop est servie avec la viande : du vin de Banane provenant d’une petite planète agricole, La Terre Dorée de Silvère… Bacchus apprécie particulièrement le vin de palme produit sur une planète de la Petite Ceinture… Les habitants en produisent plus qu’ils n’en consomment, ce qui fait rentrer des devises. Et tous testent le fameux Cappuchino Nectar, le nectar aromatisé au café ! Pour Hache-Kaa-Thée c’est le coup de grâce. Il ne s’en rend pas compte… il en déguste cinq ou six, il ne sait plus. Et personne ne l’a surveillé. « Il le buvait avec des biscuits… on n’a rien vu venir » C’est ce que déterminera l’enquête. Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là…
Et Lucius, lui abuse du Rossignol Démoniaque, un digestif produit à base de plumes de rossignols macérées huit mois dans de l’alcool. La macération est sortie chaque nuit de pleine lune pour absorber ses principes guérisseurs.
Rothonddho, quant à lui, se laisse séduire par la fameuse Bombe à l’Ail, une découverte rapportée d’une expédition chez les Khoks, un peuple d’hommes des Cavernes, pacifiques, doux et cultivateurs. Ils ont découvert que la fermentation de l’ail donne une boisson aphrodisiaque… Pour avoir aidé ce peuple à enrayer une inondation catastrophique, ils reçurent plusieurs tonneaux de cette Bombe Liquide ! Ils évoquent cette mission avec Santander qui avait failli tout recracher au nez de leurs hôtes. Et pourtant il n’était pas bégueule ! Ils ricanent à l’évocation de cet épisode. Le Prof leur rappelle que certains sont allergiques à l’ail et que fermenté, c’est encore pire. Par contre, il a pensé à utilisé le jus du presse-ail pour le mettre dans une grenade.
- Nous serons débarrassés de vampires, la prochaine fois, proclame-t-il la bouche pâteuse.
Sébeknefer sourit sous sa serviette : la boisson a eu l’effet escompté ! On rit, on se détend et on oublie Santander. Non ! Il est relégué dans un coin de leurs esprits. Elle croise le regard de son Cousin qui a compris la manœuvre. Elle a bien fait. Il hoche imperceptiblement le menton. La décompression est utile à leurs amis.
Soudain la porte s’ouvre à toute volée : Anubis, en furie, fait son apparition !
- Vous ne pouviez pas me dire que vous bouffiez ? Moi je vous attends ! Je crois qu’on a trouvé le problème de l’Intelligence Artificielle ! Mais j’ai rien compris au baratin des experts. Mais… mais ! Vous avez tous bu ! Vous avez perdu la tête ? Ah ! Bacchus a encore frappé ! T’es insortable ! Ah elle a fière allure, La Flotte ! Bravo ! Vous vous êtes mis dans un bel état !
Contre toute attente, Sébeknefer se lève et lui tire la langue ! Anubis aurait reçu un coup de poing qu’il n’aurait pas fait mieux ! Sous le choc, il s’évanouit !
- Na ! fait sa fille. Tant pis pour lui ! Il n’avait qu’à attendre demain. Bon, je crois que nous allons avoir des ennuis. Débrouillez-vous pour être opérationnels. Sinon il va nous chauffer les oreilles.
- Tant que ce n’est que ça !
- Je ferai celle qui n’a rien entendu. Du coup, il a fichu en l’air notre soirée ! On recommence une fois par semaine. Chacun apporte une bouteille de tord-boyau ! Si je pouvais, je ne dessaoulerais pas pendant une huitaine !
Tous en titubant quittent la pièce, laissant le pauvre cuistot avec le Chacal.
- Alors, demande celui-ci, comment était ma performance ?
- Parfaite, Monseigneur, comme toujours. Je vous remercie d’être accouru aussi vite. Je ne savais plus quoi faire.
- Tu as eu raison de me prévenir, Petit. Surtout qu’il faut qu’on parte. Ils seront trop saouls pour prendre les commandes. On demandera à Pema de nous envoyer un Capitaine de rechange.
- Mais pour l’IA ?
- On a trouvé ! C’est une erreur de programmation : une personnalité féminine. C’est peu courant mais c’est chouette. Elle exige qu’on l’appelle Esméralda et pas Archie ! À part ce léger souci, elle est opérationnelle. Elle compilera les données. Elle a du tempérament. Elle a des corps de rechange, plusieurs tenues et beaucoup de mémoire libre.
- Le bruit court qu’elle est nulle aux échecs !
- Ça ! À qui le dis-tu ! Une nulle finie ! Par contre à la bataille navale, elle est imbattable. Elle m’a avoué qu’elle a intégré toutes les tactiques depuis que les Mortels savent naviguer. Elle a toutes les configurations, elle a toutes les manœuvres de la Grèce Antique à l’Île au Trésor ! Contre les Pirates ça peut nous servir… Au fait, merci de m’avoir écouté ! Raconter cette information à quelqu’un de sobre, c’est important. Arès m’a dit d’en parler à quelqu’un. Garde cette idée dans un coin de ton esprit. Ça pourra toujours être utile.
- Merci de votre confiance, Monseigneur. Bonne nuit.
- Tu me chasses ?
- Je dois ranger le mess ; ils ont mis un de ces souks !
- Et ceci ne t’aiderait pas un peu ?
Anubis claque des doigts : la vaisselle est faite, les meubles sont rangés, tout est impeccable.
- Merci, Monseigneur ! Vous venez de me faire gagner un temps précieux.
Annotations
Versions