Prénom (pour un enfant à venir)

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Cet article, bien sûr, s’adressera d’abord aux futurs parents, très précisément à ceux en passe de le devenir. En effet, c’est seulement à partir du moment qu’ils se savent bons pour le service couche-culotte, qu’une mère et un père se penchent sérieusement sur le problème. Parce que c’en est un ! Ou, plutôt, un avant-goût pour le géniteur de l'irréversible perte de notoriété qu’il subira dès les premiers cris du bambin en cours de fabrication dans le ventre de sa bien-aimée…
Mais commençons par le commencement, voulez-vous ?

Imaginez Ève, ravie et des étoiles plein les yeux, regardant Adam, ivre comme à son habitude. Celui-ci termine la troisième mi-temps de la rencontre France-Papouasie-Nouvelle-Guinée, match de football d'énième division qui se solde par une solide défaite de la métropole : 5-0. Pour noyer sa déception, Adam s’est saoulé avec application dès les premières minutes de la compétition. Tous les pronostics annonçaient la large victoire des iliens depuis des semaines, aussi avait-il anticipé le désastre, l’inondant sous quelques litres de mousse bien fraîche.
Quand Ève, déjà sublimée par les premiers effets d’une grossesse qui vient seulement d’être diagnostiquée, s’approche à pas légers pour lui faire comprendre qu’ils vont changer de vie dans quelques mois, Adam ne voit que sa silhouette gracieuse. Il a soudain l’idée de glisser sa main sous la jupe de sa compagne, mais celle-ci l’envoie paître d’une presque gifle.

Le temps de la bagatelle a pris fin... Ève octroie l’excuse à son stupide mari de ne pas le savoir encore, puisqu’elle ne lui a rien déclaré des modifications à venir. Cette excuse est, il convient de le noter avec soin, probablement la dernière qu’elle concèdera à ce singe qu’elle supportera du bout des lèvres pendant le reste de son existence.
Pour l’instant, elle s’approche du canapé, poussant du pied les quelques canettes vides qui encombrent le passage. Elle s’assoit doucement près de l’animal bourré, puis d’une voix sucrée demande :

  • As-tu une idée de prénoms que tu aimes bien ?
  • Hein ? bavoche l’intéressé. Un prénom que j’aime bien ? Pourquoi ? Le mien me convient !
  • Non… fait Ève, souriante et mystérieuse. Pour une autre personne que toi et moi ?
  • Bah, présenté comme ça... Je vois pas.

Elle n'espérait pas meilleure réponse, bien sûr. En fait, elle n'en attendait aucune. Son choix est déjà fait. Pourtant, il lui reste à recueillir l’accord d’Adam. Allez savoir pourquoi…

Et c’est là que commencent les longues, fastidieuses et inutiles conversations portant sur le prénom d’un enfant à venir, dont on ne connait pas encore le sexe.
Ces discussions, qui seront nombreuses, ont l’extraordinaire faculté de pousser tout le monde dans les tranchées guerrières de ses convictions les plus secrètes. Pour étrange que cela puisse paraître, il n’est pas possible de lancer ce genre d’échange verbal sans risque de voir un des interlocuteurs prendre son veston et partir en claquant violemment la porte. Essayez !
Dans le meilleur des cas, le dialogue se terminera dans un silence pesant et hostile.

Penchons-nous un peu sur ce curieux phénomène et tentons d’en comprendre ses mécanismes.

Pour chacun d’entre nous, ou presque, ce choix relève du symbolisme le plus absolu. Pour un homme, il ne sera presque pas étonnant de vouloir nommer son fils Napoléon, sachant qu’il ambitionnera immédiatement un avenir impérial à son rejeton. La mère, pour qui cette image ne correspond qu’à celle d’un fou sanguinaire, auteur de tueries européennes, se verra contrainte d’opposer un refus catégorique, refusant d’imaginer son héritier adoré (même si pas plus grand qu’une olive dans son corps) à la tête de hordes barbares et meurtrières. Non, pour elle, Edouard ; Charles ; Louis ou encore Henri seraient des anthroponymes acceptables, seulement s’ils tombaient d’accord sur un type d’avenir pour leur enfant.

En réalité, Eve, plus au fait des modes que son mari, pencherait plutôt pour un truc en vogue qui pourrait être forcément tronqué en un subtil diminutif du genre Gégé, Jeré, Dam, Bob, Ben, ou une chose de ce genre. Allez trouver un beau sobriquet à Napoléon… Nap ? Napo ? Léon ? Brrr…
Cette horrible perspective oblige madame à sortir les griffes, bien sûr.
Et puis, elle ne pourrait concevoir que le prénom du fruit de ses entrailles ne puisse tenir bien centré et écrit en caractères gras sur les cartes de visite qu’il portera en permanence sur lui, dans un futur proche, quand bien même elles ne seraient plus que des souvenirs dans les vingt années à venir…

Alors, sentant venir l’orage, Adam, conciliant tout plein, fonce à la librairie et revient armé de l’incontournable bible : « un prénom pour la vie » ou tout autre ouvrage du même acabit et les conversations reprennent, plus endiablées que jamais. Toutefois, les rires émaillent maintenant les longues heures passées pour un choix qui obtiendrait les louanges des deux parents. Pourquoi ? Parce que ce livre est un merveilleux dérivatif ! Symboles pour symboles, il englobe la totalité de ceux-ci, génération par génération. Finalement, un prénom adhère d’abord à une époque avant de coller à l’être qui le portera. Et puis, les deux conjoints (à noter que je ne dis pas : les deux cons joints…) se réunissent dans une fervente critique des goûts des autres :

  • Anatole ! pouffe Adam qui feuillette le livre.

Il survole les articles qu’il aperçoit à peine. Dans son esprit, même si c’est confus comme toujours, il sait qu’il cherche autre chose. Un choix original ! Voilà ce qui pousse le mâle dans sa décision : la classe, la différence, celle qui fera de son rejeton le prochain Géant de l’Histoire des Hommes.

  • Et que dire d’Hercule ? fait-il distraitement, oublieux de la présence d’Eve qui patiente en silence.

Plus tard, c’est-à-dire au terme de quelques minutes, Adam se lasse, et du poids du bouquin, et de l’interminable liste de prénoms, tous reliés les uns les autres par d’antiques étymologies dont il se fout royalement. Dommage qu’il n’y ait pas un chapitre réservé aux grands joueurs de foot… C’eût été plus simple.
Alors Ève s’empare du livre, fait mine de chercher quelques secondes puis, par un hasard que seul le Sort semble lui accorder, tombe sur un article qui retient toute son attention :

  • Ooh… joli ! Que penses-tu de Camille ? fait-elle sans avoir l’air de rien.
  • Et puis quoi encore ? Pourquoi pas Hortense ? T’as pas plus nul dans tout ce fatras ? riposte Adam, choqué sans savoir pourquoi.
  • Bah, Camille, c’est gentil, non ? C’est comme une fleur, je trouve.
  • Camille, Camille… Camomille, ouais ! persifle l’autre. Que dalle ! D’ailleurs, c’est pour les mecs pour les gonzesses, ça ?
  • Bah, pour une fille, bien sûr ! soupire Eve, déçue (mais comment pourrait-il en être autrement puisqu’elle a décidé sans l’avis de son singe ?)
  • Trouve autre chose ! Je m’en voudrais d’emmener ma gosse à l’école et la voir se faire traiter d’infusion par les loustics de sa classe !
  • Ethan ? C’est pour un garçon, s’empresse-t-elle de préciser.
  • Je sais ! Max et Dom ont appelé leur môme comme ça ! Et tu es sa marraine, aussi…
  • Oups ! C’est vrai, j’avais oublié. On ne pourra pas retenir ça, alors !

Les recherches continuent. Cette fois-ci, Eve plonge sérieusement dans les listes, préoccupée et jalouse de constater qu’une amie a déjà mis la main sur le prénom qu’elle désirait pour sa descendance couillue…
Il faut encore pas mal de temps. Les nombreuses personnes qui passent à la maison sont invitées à donner leur avis, sachant qu’elles ne proposeront que des choix de troisième classe, voire pire… Certains potes de toujours, énervés au-delà du supportable, feront vite partie de ceux évoqués plus haut, claquant la porte…
Le choix d’un prénom fait aussi le tri dans les amis d’un couple, que voulez-vous...

Le ventre d’Eve s’est sérieusement arrondi entre ces premières conversations et l’instant du choix définitif qui arrive enfin. Eve, en effet, estime qu’il est grandement temps d’arrêter une décision. Celle-ci ne peut plus attendre parce que les listes de cadeaux se forment, comptant pas mal de vêtements qui, bien entendu, seront tricotés, cousus, fabriqués en Chine ou ailleurs, mais par-dessus tout, brodés du prénom du chérubin qui, maintenant, gigote sans arrêt dans son espace maternel vital.
Ève, libre (et volontairement sourde quand elle le décrète), et femme de son siècle, autoritaire, déjà responsable de tout (à commencer par le prénom) tranche donc : Camille pour une fille. Ethan pour un garçon.  Et tant pis pour Max et Dom... De toute façon, leur môme ne ressemble à rien, sauf à un machin qu'il est préférable d'ignorer. 
Adam a beau répondre avec hargne : Camomille et Ethan-ol ! rien n’y fait. Ancrée dans sa décision de mère, pourfendeuse des critiques acerbes ou non de tout le monde, elle se mure dans une obstination qui oblige l’univers à se plier à ses désirs. Adam, vaincu (con vaincu, même…) abdique et, rallumant la télé, plonge la main dans son pack de bière, rejetant sa colère sur ce joueur qui manque un but pourtant cadeau…
Heureusement, la paix revient assez vite dans le couple.
Ève s’en fout pas mal : elle a obtenu ce qu’elle voulait.

Chose qui ne pouvait pas finir autrement, bien sûr. Les pauvres femmes sont malmenées par les hommes, dit-on, mais elles ont toujours le dernier mot… La détermination d’un prénom est une affaire particulière, donc.

Un choix pour elle.
Une information à retenir pour lui.

Et l’enfant, dans l’histoire ?
Eh bien, qu’il soit fier et heureux de s’appeler Mégane, Térébenthine ou Cadillac V12, ces exemples n’étant pas exhaustifs !

Il a peut-être, pour préserver ses chances, quelques options secondaires, réminiscences d'un père ou d'un aïeul, qu’il pourra éventuellement mettre en exergue le jour où il disposera des moyens de décider lui-même de ce qu’il aimera porter, sachant qu’une femme, peut-être, le choisira un jour pour son prénom…

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