Nuisances sonores

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6h30. Toujours le même bruit matinal qui réveille Isidore... pas encore complètement habitué car il n'a emménagé que depuis quelques semaines. A moitié endormi, il se lève pour aller boire un verre d'eau à la cuisine. Il en profite pour jeter un coup d’œil à travers ses fenêtres simple vitrage, qui d'après l'agence immobilière, devaient être remplacées par du double vitrage avant son déménagement, il y a deux mois... Comme quoi le vitrage ce n'est pas si simple que cela.

Comme tous les matins de la semaine, un gros camion de livraison s'est garé juste en dessous de son petit appartement au premier étage, sur la place Aristide Briand qui, à 8h, redeviendra piétonne. Comme tous les matins les deux conducteurs déchargent en discutant et emportent la marchandise vers le Carrefour Market situé à quelques pas de là.

Isidore sait que le bruit va durer une bonne demi-heure, et qu'il n'arrivera pas à se rendormir avant la sonnerie du réveil, programmée à 7h. Il reste un peu à la fenêtre pour observer la place agréablement déserte pour le moment. Il est frappé par l'image qui figure sur le côté du camion, qu'il n'avait pas encore remarquée : une photo grand format d'un bébé endormi, avec pour légende : "Carrefour, votre partenaire contre les nuisances sonores". Isodore se demande si c'est un simple message publicitaire ou si l'entreprise a vraiment cherché à réduire le bruit produit par ses camions. Si c'est le cas, cela n'a pas l'air de suffire, en tout cas en ce qui concerne son sommeil.

Encore une nuit trop courte. Il fait encore beau en ce début septembre, et sur cette place deux bars offrent jusqu'à fort tard dans la nuit une animation sonore rarement interrompue : discussions en terrasse d'abord jusqu'à minuit passé, puis souvent quelques rixes diverses et braillements des poivrots qui échouent sur un des bancs et clament haut et fort leur mécontentement. Le calme s'installe en général vers 2 ou 3h du matin, parfois plus tôt si par chance il pleut. Hélas, quand le bruit de la place s'estompe, ce sont les compresseurs des congélateurs de la Mie Caline qui prennent le relais pour habiter l'espace sonore de la nuit. Un ronronnement continu dans les basses fréquences, qu'on ne remarque pas quand il y a du bruit, mais devient assez désagréable quand le calme s'installe. Il témoigne sûrement de l’obsolescence du matériel réfrigérant et peut-être du mauvais fonctionnement de la chaîne du froid de cette boulangerie industrielle. Isodore commence à s'y habituer mais a quand même encore besoin d'une petite heure d'attente avant d'en faire abstraction et de sombrer dans le sommeil.

Comme il est gourmand, à son arrivée Isodore s'était plutôt réjouis de la présence d'une boulangerie au rez de chaussé de son immeuble. C'était jusqu'à ce qu'il essaye leur pain au chocolat : il ne s'y fera plus prendre. Surtout depuis qu'il s'est rendu compte que l'odeur de pourriture qui stagne dans la cage d'escalier et s'infiltre parfois dans son appartement a pour origine les poubelles de ladite boulangerie, stockées dans une microscopique cours intérieure, juste sous les fenêtres de sa chambre. D'ailleurs, ces mêmes poubelles sont probablement également à l'origine de l'invasion permanente de mouches dans l'appartement. Bien sûr il aurait dû se douter qu'avec des offres commerciales de type "trois pour le prix d'un", la qualité ne pouvait pas être au rendez-vous. Reste toutefois une question dérangeante : comment les clients font-ils pour ne pas s'en rendre compte ?

Toutefois, Isidore se trouve chanceux dans son malheur, car l'appartement qu'il loue n'est pas directement au-dessus de la boulangerie. Son aimable voisine, qui lui apporte de temps en temps un bol de soupe ou une part de choucroute, n'arrive plus à dormir depuis longtemps, malgré ses doubles vitrages : les compresseurs font tellement de bruit chez elle que les meubles de sa cuisine vibrent en permanence. Elle a pourtant tout essayé, de la discussion sympathique à la mise en demeure : rien n'y a fait, les compresseurs inflexibles continuent à déverser leurs basses fréquences et leurs vibrations dans les murs de ce vieil immeuble, et face à un commerce si florissant le sommeil d'une retraitée ne pèse pas lourd.

"Vous verrez, c'est très tranquille ici". C'est ce que l'employée de l'agence immobilière lui avait promis, en lui faisant visiter l'appartement au pas de course. Naïf, il l'avait cru sur la bonne fois de son charmant babillage. Il aurait du faire plus attention aux sources de bruit potentielles.... Il aurait dû aussi se renseigner sur les utilisations habituelles de cette place qui, il s'en était rendu compte un peu trop tard, servait de place du marché tous les samedi matin, et offrait certains dimanches un lieu parfait pour les manifestations ou les fêtes populaires. Il n'avait visiblement pas la même définition de la tranquillité que cette employée de l'agence immobilière, ni d'ailleurs que les étudiantes du dernier étages qui avaient fait la fête jusqu'à fort tard et avec beaucoup d'amis le jeudi précédent.

Epuisé, Isidore jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

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