A l'entrée de la réserve se tenait la seule personne que Nayala s'était promise d'éviter. L'homme au turban qu'elle avait croisé la veille avec Nora. A travers son monocle, elle pouvait aperçevoir son oeil bleu vif la transperçer. Il attendait, appuyé contre le mur, les bras croisés, dans une posture des plus nonchalante.

Les préparations avaient demandées tellement de concentration à la jeune femme que celle-ci en avait oublié de tendre l'oreille. Bien qu'il avait dû entrer discrètement, elle aurai put l'entendre si son attention s'était portée sur les bonnes choses.

Un sourire en coin provocateur sur les lèvres, il s'adressa à elle:

- Je sais pertinement que vous avez une excellente explication !

Elle à genoux, lui debout. La scène, couplée à l'expression qu'affichait l'Eminent, donnait à Nayala une impression de soumission qu'elle n'appréciait pas. Le visage enthousiaste qu'il avait montré la veille, presque enfantin, l'a regardé maintenant de haut.

Prise de colère, elle releva la tête, les dents serraient et le menaça du regard. Tout en restant silencieuse, elle le défiait de continuer à l'observer ainsi. Ce n'est qu'en voyant le visage de son adversaire, passer du sourire narquois à la stupeur la plus totale, qu'elle compris sa deuxième erreur. Nayala tira à la va-vite sur son tissu de tête mais il était déjà trop tard ! Il chuchota époustouflé:

- Vos yeux...

Sa voix était tellement basse qu'il semblait n'avoir prononcé aucun mots.
La jeune femme lasse soupira. C'était la réaction typique d'une personne choquée avant que la terreur ne vienne prendr le relais. Ensuite, elle devait supporter toutes sortes d'injures, non méritées, pour une simple couleurs d'iris. Quitte à s'être faite démasquer autant rester digne jusqu'à la fin. Les épaules redressaient, la tête droite, Nayala était dans l'attente d'une réaction.

Sur le qui-vive, elle cherchait tout de même un moyen de faire diversion et d'échapper au problème, ce qu'elle trouva. Dans un geste lent, afin de ne pas alarmer l'homme en pleine réflexion qui se massait les tempes, Nayala porta sa flûte à ses lèvres. Elle gardait tout son corps, à l'exception de ses bras, immobile et le fixait, droit dans les yeux, en espérant le distraire suffisament longtemps pour ne pas qu'il décampe prévenir les Gardes.

Son esprit tournait à plein régime. L'inconnu bloquait la seule sortie. Si les hommes en uniformes bleus arrivaient, elle n'était pas certaine de pouvoir tous les maîtriser à une si courte distance.

L'apprentie musicienne allait entamer un morceau quand la porte de l'entrée s'ouvrit. Les autres Eminents avaient choisi ce moment précis pour faire leurs retours. Ils étaient plus nombreux. D'après les voix qui lui parvenaient jusqu'aux oreilles, ils devaient bien être quatre ou cinq. Ce n'était pas vraiment un problème en soit car, une fois cachée, elle aurai pu facilement les endormir sans qu'ils n'aient le temps de la repérer. Nayala aurait eu la situation à son avantage comme ils ignoraient qu'elle s'était introduite ici. Mais l'inconnu, qui devait être un Botaniste, était toujours là et aller entraver sa fuite.

Du moins c'est ce que la jeune femme avait pensé. Etonnament, il ne l'avait pas fait, au contraire. Elle eut à peine le temps de se relever, qu'une main l'attrapa par le bras et l'a poussa contre le mur où on ne pouvait la voir de la pièce d'à côté.

- Ne fait aucun bruit, lui ordonna le drôle d'Eminent.

Le dos de Nayala était collé contre lui et l'une de ses mains était plaquée sur la bouche de la jeune femme afin de l'empêcher de crier. Ce qu'elle n'aurait de toute façon pas fait. De son autre bras, il l'a serra fort par la taille pour ne pas qu'elle s'échappe. Ce qu'elle aurai sûrement tenté. Puis, d'une voix qu'elle trouva sereine malgré la situation, le créateur du jardin lui murmura:

- Vous ne serez sûrement pas surprise d'apprendre que les Servantes n'ont pas accès à cette pièce et qu'il n'y a malheureusement pas d'autre issue.

Toujours en gardant la même position, il prêtait attention à la conversation qui se déroulait dans la pièce voisine. L'homme avait semblé à Nayala plutôt faible au vu de sa maigreur mais son bras, refermé sur sa taille, était plus musclé que ce qu'elle avait observé. Les mains de l'Eminent étaient grandes et rêches, sûrement à force de travailler la terre. Elle hocha légèrement la tête de haut en bas afin de lui faire comprendre qu'elle l'avait compris. Il dégagea lentement la bouche de la fausse Servante, ce qui lui permis de poser la question qui tournait en boucle dans son esprit:

- Vous allez m'aider ? Chuchota-t-elle étonnée.

Même si cela lui semblait complètement absurde, dans les faits, ils étaient en train de se cacher ensemble, comme de parfaits complices. Il pouvait très bien sortir de la réserve ou encore avertir les Eminents mais peut-être avait-il une autre idée... Allait-il l'aider ou la livrer ? Afin de recevoir potentiellement une récompense... Après tout, il l'avait vu voler les bocaux des étagères. Cela serai concevable de la dénoncer mais la normalité devait être aussi subjectif que la justice ici.

Il l'a fit tourner de façon à ce qu'ils soient face-à-face, bien trop proche au goût de Nayala. Il l'observait avec des yeux curieux tout en souriant de toutes ses dents. Une expression malicieuse sur le visage, il déclara à voix basse:

- Je ne vais quand même pas vous laisser là ! Oh non non non, vous me devez des explications et j'ai vraiment hâte de les entendre ! J'ai énormément de questions à vous poser !

Un enfant face à un nouveau jouet, voilà ce qui se reflétait sur son visage. Elle ne pouvait, pour le moment, pas savoir si cet homme était fiable ou dangereux. Mais, dans cette situation, il restait l'une de ses meilleurs options donc elle répéta sa question:

- Alors vous allez m'aider ?

Tout en se grattant les cheveux, ce qui fit chavirer d'avantage son turban, il rétorqua:

- Je dois malheureusement vous avouer que je n'ai pas la moindre idée de comment...

Bien que Nayala aurait préféré s'y prendre autrement, elle annonça à son nouveau complice:

- J'en ai peut-être une.

Utiliser sa flûte devant un inconnu était risqué. Il pourrait tenter de la lui voler ou de trouver trop étrange, puis finir par décider qu'il faudrait mieux l'emmener jusqu'au bureau. Cependant, c'était leur meilleur moyen d'évasion.

De toute façon, il avait déjà vu ses yeux oranges, alors une flûte enchantée ne devrait pas lui poser de soucis. Elle serra l'instrument entre ses doigts. La situation ne lui laissait ni le choix, ni le temps d'hésiter.

Sans expliquer ce qu'elle comptait faire à son nouveau complice et sans prendre la peine de s'écarter de lui, Nayala entama sa musique. Elle sentait les doigts du jardinier se crisper mais il ne l'arrêta pas. Jouant avec les notes, elle les envoya dans l'air, les laissa envahir l'espace puis les fit voltiger jusqu'à la pièce d'à côté. La musicienne, quand les bras qui l'a bloquait s'étaient détendus, s'était risquée à avancer près de la porte séparant les deux salles.

Discrètement, elle observa de nouveau le bureau cette fois occupé. Nayala cherchait le courage nécessaire pour y pénetrer. L'Eminent avait dû deviner ses doutes car il l'a poussa gentiment dans le dos. Il tentait de lui donner du courage avant de finalement s'écrouler à terre, car il ne pouvait lutter d'avantage contre la mélodie.

Nayala s'était décidée à y aller et avançait d'un pas prudent. Elle se trouvait dans l'entrebaîllement de la porte quand, du regard, elle vu au sol cinq Eminents. Ils n'avaient même pas eu le temps de chercher d'où provenait la douce musique qu'ils s'étaient tous déjà endormis.

Après avoir vérifié qu'ils soient totalement plongés dans un profond sommeil, elle était retournée dans la réserve. Recroquevillé, les yeux ouverts, son complice l'observait en gloussant. Si le corps de cet homme était visiblement hors-service ce n'était pas que le cas de son esprit. Qu'il est réussi à résister était impressionnant. Nayala l'avait mal jugé, il devait être bien plus fort qu'il ne laissait croire. A le voir ainsi pourtant, n'importe qui aurai pu le prendre pour un fou mais elle devait l'emmener, même si l'idée de le laisser là lui était passé à l'esprit. Cela n'aurai pour seule conséquence que de donner une bonne raison à l'inconnu de la trahir. Alors qu'en faire un potentiel allié l'empêcherai d'avantage de prévenir les Gardes, bien que le risque restait possible.

La fausse Servante lui devait certes des explications mais dirait-elle la vérité ? L'intégralité de son histoire ? Ou bien se contenterai-t-elle d'un nouveau mensonge ? Nayala n'avait pas le temps d'y réfléchir pour le moment. Ils devaient fuir avant que les Eminents de se réveillent.

Afin de brouiller les pistes de son passage, Nayala concocta une nouvelle préparation qui, une fois renversée au sol, laisserai échapper une fumée soporiphique, ce qui expliquerai leur fatigue soudaine. Elle espérait qu'ils penseraient alors à une erreur d'un quelconque Préparateur mais pas à une infiltration de Servant dans leur niveau.

La jeune femme trépignait en attendant que le Botaniste puisse se remettre debout seul. Il n'avait pas était aussi affecté que les autres, ce qui était étonnant. Elle fut davantage stupéfaite qu'en à peine cinq minutes, il se tenait déjà sur ses jambes, même si le reste de son corps était las. L'homme, dont la tignasse était ébouriffées, avait perdu son turban. Il avait du mal à marcher mais au moins pouvait la suivre. Nayala ne lui faisait toutefois pas confiance. Même si il se tenait tranquille pour le moment, elle restait méfiante et se tenait derrière lui afin de garder un oeil sur ces faits et gestes.

Arrivés à l'entrée, avant d'ouvrir la porte, elle était retournait en courant dans la réserve, où elle avait ouvert le pot contenant sa dernière préparation. Celle qui avait appris sur le tas à mélanger les bons ingrédiens attendit quelques secondes que la fumée blanchâtre commence à occuper l'espace, puis repartie en se bouchant le nez d'où elle venait. Les deux complices d'un temps étaient sortis sans attirer l'attention.

L'homme au monocle l'emmena vers un chemin du jardin. Elle aurait aimé admirer plus longtemps le décor mais faisait profils bas en se couvrant le visage, plus encore qu'à l'accoutumer. Elle pouvait à peine voir les pieds de son guide.

Nayala sentait les regards des dames en pleine promenade, ainsi que leurs commentaires déplaisant sur la Servante qui, soit-disant, gâchait ce lieu raffiné. Si la discrétion n'avait pas était sa priorité, elle se serait retournée, bien décidée à ne plus se laisser faire, puis aurait enlevé son voile en les laissant sûrement terrorisées.

Son complice l'a précédé de quelques pas. En l'observant furtivement, son attitude n'avait rien de commun aux autres. Il détonnait de tous les Eminents qu'elle avait pu rencontrer jusqu'à maintenant. Il distribuait salutations, sourires éclatants et autres frivolités, tout en exagérant tout ses gestes volontairement. Nayala repensait à Kazir, à sa manière d'imiter les dames guindées et ridicules. Cela ressemblait fortement à ce que faisait l'inconnu qui était devant ses yeux.

Le plus étrange dans tout cela n'était pas tellement soa conduite extravagante mais plutôt celles des autres. Aucun ne répondaient. Ou ils se contentaient d'un sourire gêné avant de décamper en murmurant. Bien quand n'y connaissant rien quant à la façon de faire des Eminents, rendre une salutation était la base de la politesse, même à l'extérieur. Leurs manières fuyantes, qui laissait son complice à l'écart, ne lui présageait rien de bon. Pourtant cela n'avait pas l'air de déranger le principal intéressé. Elle aurait pu penser qu'il ne remarquait rien mais tout ceci était si évidement que, forcément, il s'en rendait compte.

Le très grand homme qui l'a devançait continua ainsi jusqu'au bout du chemin, jusqu'à saluer les Gardes dans le couloir, avant d'arriver devant une porte, qu'il aurai ouverte si il n'avait pas était interrompu.

- Ma Servante aurai-t-elle fait quelque chose de mal pour être convoqué dans votre bureau ?