Chapitre 4

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Le lendemain matin, je me retrouve devant la télévision dès quatre heures. Une insomnie a écourté ma nuit, une fois de plus. Après les cauchemars, vient le temps des « j’aurais dû répondre ceci ou cela ! » . Je suis sûre que tout le monde connaît ce moment où on revit tout ce qui s’est passé dans une journée en changeant les dialogues parce que, sur le coup, on a pas su quoi répondre et qu’on regrette. Ca, c’est typiquement moi après avoir passé une journée en famille. Pourtant, je devrais me sentir mieux en leur présence, avoir la sensation d’être entourée, soutenue, mais c’est tout le contraire en réalité. C’est comme si je devais me blinder à chaque fois que je les vois et supporter toutes les piques qui tentent de briser ma protection. C’est épuisant !

Tout le monde me répète sans arrêt que j’ai de la chance de les avoir, que mes proches sont formidables, alors pourquoi je ressens cela ? Pourquoi je ne parviens pas à me sentir moi-même quand je suis avec eux ? Je dois avoir un problème, être une ingrate incapable d’apprécier ce qu’elle a. Après tout, je ne suis pas seule, alors pourquoi je me mets dans des états pareils chaque dimanche que je passe chez mes parents ? Pour moi cette fusion familiale n’est que de la poudre aux yeux, une jolie enveloppe dorée qui cache une vérité bien plus amère.

J’appuie frénétiquement sur la télécommande, je crois avoir regardé toutes les séries de la plateforme. Je souffle en passant sur toutes celles qui parlent de médecins et d’hôpitaux. Dire qu’avant je les adorais, je les dévorais même, et aujourd’hui le simple fait de voir une blouse blanche me donne la nausée.

Après avoir choisi une série de vampires que je connais par cœur, je remonte le plaid en velours rose qui était étalé sur mes genoux jusqu’à mon menton. Pourtant il fait chaud, j’ai même dû ouvrir la fenêtre pour avoir un peu d’air, mais ce geste me réconforte. Dans le noir, la solitude pour unique compagnie, j’angoisse, me sens vulnérable et ramener ce bout de tissu contre ma peau me donne la sensation d’être protégée. Au début l’odeur de Rose persistait dessus et je m’endormais, la couverture posée près de mon visage, mais le temps m’a privé de cela aussi. Il a volé tout ce qui me restait d’elle, tout ce qui me paraissait encore vivant. Son odeur, son rire, sa peau douce, tout n’est que souvenir maintenant, laissant un vide sidéral dans mon existence. Il ne me reste plus que des objets sans âme que je manipule par moment, vestiges de moments de bonheur que nous avons partagés. Son doudou lapin trône fièrement sur l’étagère à côté de la télévision. Elle l’aimait tellement que j’ai hésité à l’enterrer avec elle, mais égoïstement, j’ai préféré le garder. Parfois je le serre contre mon cœur sans que cela ne parvienne à me rassurer. Sans elle pour le frotter contre son nez et lui donner toutes sortes de voix étranges, ce n’est plus qu’un objet comme un autre. Juste à côté, j’ai posé une photo de mon rayon de soleil, pas la plus parfaite, mais celle que je préfère. Dessus on peut la voir souriante comme jamais, avec une coiffure improbable. L’image est un peu floue, surexposée. Cette photo, je l’ai prise quand elle avait quatre ans. Avant tout ça; la douleur, les épreuves, les chimio, les pleurs et …cette horrible journée de juillet ou j’ai tenu sa main pour la dernière fois. Elle possédait les mêmes cheveux de jais que moi, lisses comme de la paille, héritage génétique des origines Indonésiennes de mon père. Ses yeux en amande aussi ressemblaient fortement aux miens, mais ce sourire immense, elle le devait à son papa.

Des bruits me parviennent de la fenêtre et, curieuse, je fais glisser le plaid sur le parquet et m’approche discrètement. Un jeune couple se dispute au pied du bâtiment et je tends l’oreille, curieuse d’en connaître la raison. Si je comprends bien, c’est une histoire de jalousie. Ils finissent par se réconcilier, non sans avoir réveillé la moitié du quartier d’abord. Les fesses posées sur le rebord, je me demande si mon inconnu est toujours là. Je ne l’ai pas vu avant d’aller me coucher et je crois que j’ai été déçue. Oui, je sais, c’est complètement fou comme réaction, mais je m’étais habituée à le voir, à l’observer et d’une certaine façon il était devenu une constante dans ma vie. Une présence familière, je n’irais pas jusqu’à dire réconfortante, mais savoir qu’il était là tous les soirs au même endroit me rassurait. Je n’avais pas à lui parler, à expliquer pourquoi je développe une phobie des gens, pourquoi j’ai des objets d’enfants partout dans mon appartement sans avoir d’enfant pour les utiliser. Je suis lasse de devoir me justifier, de me poser des questions, lui au moins ne me demande pas d’utiliser toute mon énergie vitale en faux sourires. Je le regarde simplement, espérant secrètement qu’il balance ses yeux dans ma direction, me prouvant que j’existe. Mettre des mots sur mon ressenti me donne l’impression d’être bonne à enfermer. Comment peut-on penser cela ? C’est un individu inquiétant qui rôde autour de chez moi ! C’est un danger potentiel et moi, je suis triste qu’il ne guette pas en bas de mon immeuble. Je souffle, désespérée par mes propres réactions, et cela soulève des cheveux qui retombent sur mon front.

Je décide de retourner me coucher, il ne me reste plus que deux heures avant que mon réveil ne sonne pour aller travailler.

Je tourne et me retourne dans mes draps de coton avec la sensation que je suis en train d’étouffer. Mes nerfs semblent chargés d’électricité et cela m’agace. Il faut dire que, quoi que je fasse, mes pensées me ramènent à lui. Demain je rappelle ma psy ! Je suis attirée par un fou dangereux ! Enfin je ne sais pas s’il est vraiment fou ou dangereux, mais ce qui est certain c’est que son comportement n’est pas normal.

Si ma mère savait que je pense cela, je serais bonne pour un regard réprobateur comme elle en a le secret et une réprimande digne d’une enfant qui a volé le bocal à bonbons. Voilà, je repense à elle, je tourne en rond.

Oh et puis mince !

De toute façon, je ne parviendrais pas à fermer l’œil si je ne le fais pas. D’un bond, je me lève, enfile mes claquettes et une veste en jean par-dessus mon débardeur blanc pour cacher sa transparence.

Munie de mon téléphone portable et d’un rouleau à pâtisserie, je descends les vingt trois marches pour me retrouver dans le hall. La lumière qui s’enclenche sur mon passage m’enlève toute chance d’arriver discrètement. Peu importe, je colle mon visage sur la porte vitrée et observe le trottoir d’en face. Rien, pas une âme qui vive !

Ce calme m’oppresse et m’arrache un frisson. Pour autant, je ne fais pas demi-tour et saisis la poignée pour sortir. Je traverse la route déserte à pas feutrés. Ma respiration s’accélère à mesure que je m’approche du local, faisant tambouriner mon cœur à vive allure jusqu’à ce qu’il résonne dans mes tympans. Je jette un œil à la façade de ma résidence. De là, on voit clairement la fenêtre de mon appartement et le voilage qui danse sous la brise d’été. Le vide dans mon dos me fait paniquer alors je me colle au mur. C’est la même sensation que quand on est enfant dans son lit et que l’on croit qu’un monstre va nous attaquer parce qu’on a un pied qui sort de la couverture.

Inspire, expire !

Vraiment, cette technique ne fonctionne pas du tout et mes doigts se mettent à trembler. Je vais peut-être changer de psy, ses conseils ne m’aident pas le moins du monde !

Prenant mon courage, ou ma folie, à deux mains, je déplace mes pieds sur le côté sans décoller mes omoplates. Quand j’atteins le coin du mur, je tourne pour m’enfoncer dans l’obscurité. Visiblement ici, il n’y a pas d’allumage automatique et je n’ai pas envie de tâter les murs à l’aveuglette pour trouver un interrupteur. Allumant la lampe de mon mobile, je balaye la pièce de sa maigre lueur. Des vélos de toutes les couleurs et de toutes les tailles sont alignés par dizaine, mais à part cela, rien.

Alors que j’évacue toute l’oxygène que j’avais emprisonnée dans mes poumons sous l‘effet de la peur, je me décide à libérer ma veste du frottement que je lui inflige contre la pierre rêche. Je secoue la tête, je me fatigue toute seule avec mes idées plus stupides les unes les autres.

Sérieusement, qu’est-ce que je fais là ?

Une odeur d’humidité me fait plisser le nez, et je me décide à partir immédiatement. J’amorce un premier pas avant de rejoindre la lumière sécurisante des réverbères quand un souffle dans mon cou coupe net ma progression. Une présence derrière moi fige ma raison et mes muscles simultanément.

De toute évidence, je ne suis pas seule ici.

La sortie est tout près, je pourais partir en courant et hurler, au lieu de quoi je reste là, comme paralysée.

La présence semble occuper tout l’espace. J’ai la sensation d’être écrasée par une aura qui m’enveloppe, me privant de ma liberté. Alors qu’une semelle crisse sur le sol en béton, une chaleur remonte le long de ma nuque. L’individu est tout prêt, assez pour que j'entende sa respiration beaucoup trop calme. La mienne est erratique, chaotique même, j’ai besoin d’air !

Ma peau se couvre de chair de poule, ma mâchoire tressaille. Je ne sais pas si j’ai envie de pleurer ou si la situation m’excite. Pour la première fois depuis longtemps, je ressens autre chose que de la tristesse. Mes sentiments ont été si longtemps anesthésiés que je ne suis plus capable de les démêler. Afin de reprendre mes esprits, je plisse les paupières à m’en faire mal. Je ressens sa chaleur, son corps est trop près du mien et je m’embrase de l’intérieur. Je serre plus fort mon rouleau à pâtisserie qui ne me sert clairement à rien. En même temps, si je me retourne pour l' assommer, il aura le temps de se servir de son arme, s' il en a une. Et en toute honnêteté, je ne suis pas ce que l’on appelle une fille forte. De ma vie, je n’ai jamais gagné un bras de fer, donc j’ ai peu de chances de lui faire assez mal pour qu’il ne puisse pas me suivre.

- Tu ne devrais pas être là, c’est dangereux.

Sa voix est pleine, grave et légèrement cassée. L’entendre provoque comme ouragan dans ma tête. Me dit-il cela parce qu’il s’inquiète pour moi ou parce que le danger vient de lui ?

Je ne veux pas rester pour le savoir, je panique et récupère enfin l’usage de mes jambes. Alors que je pars en courant, ma chaussure glisse sur le bord du trottoir. Ma cheville se tord, mais je continue malgré tout à détaler comme si ma vie en dépendait. En même temps, c’est sûrement le cas.

Je ne me retourne pas, et monte les marches deux par deux avant de m’enfermer à double tour dans mon appartement.

Bon sang, mais qu’est-ce qui m’arrive ?

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