Ouf ! Mon secret a pu être préservé ! Mon petit frère, Quentin, m'a aidée. Une fois arrivée chez moi, je l'ai vu m'attendre, un éclat de gourmandise dans les yeux. Il espérait des pains au chocolat, je le sais, mais cela n'entrait pas dans mon budget. Quand il a su pour la pâtisserie, sa déception s'est envolée et il a tout fait pour distraire notre mère le temps que je range tout. Il m'a même aidée à mettre la table pour être sûr qu'elle ne s'approche pas de la cuisine avant l'heure du repas, lui qui traîne des pieds pour le faire d'habitude.

• Autumn, tu t'es surpassée ma chérie ! Ton repas était délicieux ! J'ai l'impression de manger chez mamie.
• Et encore mamounette, tu n'as pas vu le dessert !
• Tu as fait un dessert ? Je ne sens rien pourtant...

 Maman hume l'air, cherchant à reconnaître l'odeur d'un gâteau ou de biscuits. Quentin et moi rions sous cape, la laissant chercher. Cela dure bien deux minutes puis je lui demande de fermer les yeux. Mon frère vérifie qu'elle ne triche pas et je pose le gâteau sur la table. Je crois que j'ai visé juste, un grand sourire illumine son visage et elle réclame la plus grosse part ! La gourmandise, c'est de famille. J'ai eu du mal à garder un morceau pour Eric, mon beau-père qui ne rentre que le soir vers dix-neuf heures de son tavail. Il est entré dans nos vies, à maman et moi, quand j'étais toute petite et, depuis, je l'appelle "papa".

 Après la vaisselle, le nettoyage et le ménage, je m'installe devant mon ordinateur, monte la vidéo pour mes différents réseaux, chacun ayant des codes différents, et pense même à mettre une photo sur Facebook pour mamie. C'est la première fois que je montre mes "talents" culinaires et je ne sais pas comment ce changement va être reçu. De toute façon, mes abonnés devront s'y faire, je compte diversifier mon contenu d'ici peu.

 Entre la recherche, l'achat et la rénovation de mon futur projet, mes voyages, mes astuces pour cuisiner dans un petit espace, mon art que je voudrais agrémenter de DIY's, de travaux manuels et j'en passe, je n'allais plus rester simplement une "artiste, mais bien une influenceuse à part entière ! Et, qui sait, peut-être qu'un jour des sponsors ou des marques me remarqueront et me permettront de faire des placements de produits me permettant de financer mon rêve ? Je sais que c'est quelque chose qui peut être mal perçu par certains, mais s'ils savaient tous les frais qu'une micro-entreprise génère, ils comprendraient que ce genre d'aide permet de garder la tête hors de l'eau. En presque six ans de métier, parce que oui, c'est un métier, si j'ai pu mettre vingt mille euros de côté c'est beaucoup. Même si, une partie vient de l'argent que ma famille me donne pour des occasions spéciales.

 En attendant de vivre mon rêve, j'ai des études à terminer et les devoirs sont inclus. J'ai de la chance, je n'ai pas de repas à préparer pour ce soir, papa nous invite, et on va manger pizza. Je peux donc me focaliser sur l'exercice du prof de dessin, à savoir reproduire la perspective de la pièce de notre choix. Je déteste ce genre de projet, même si c'est très utile. Je sais aussi qu'à force d'en faire, ça finira par devenir un automatisme. Là, j'ai surtout l'impression d'être en maths, et je hais les maths...

 J'ai donc choisi ma chambre comme sujet. Avec ses seize mètres carrés, ce n'est ni la plus grande ni la plus petite des pièces de la maison, cependant, c'est une des plus chargées en matière de décoration. En grandissant, j'ai changé plusieurs fois les meubles de place, en fonction de mes activités.

 Quand j'ai commencé la danse, j'ai poussé mon lit simple contre le mur pour avoir la place de m'entraîner, et il y est resté depuis, avec toutes les peluches posées dessus. Une commode me sert de chevet, le dressing est encastré dans le mur, ce qui fait gagner beaucoup de place, même si je n'ai pas non plus excessivement de vêtements. A dire vrai, ma garde-robe rentre dans la commode, et le dressing me sert à ranger tout mon matériel d'art et de travail. Un bureau d'angle remplit un quart de la pièce, avec un ordinateur fixe, trois écrans, ma tablette graphique, un ordinateur portable, les lumières, les appareils photos qui me servent également à filmer et plein de bazar. Juste à côté, qui remplit tout le bas du mur dans la longueur, une bibliothèque.

 Entre les romans, les livres de voyage, ceux pour l'école et les décos, il n'y a pas un millimètre de libre. Sur les murs, des étagères avec des bougies, des décorations que j'ai faites moi-même en pâte polymère ou que j'ai dénichées dans des marchés aux puces et quelques livres qui ne rentraient plus dans la bibliothèque, ainsi que des dessins, des posters et des tableaux. Au plafond, le lustre que mes parents avaient choisi et qui va parfaitement avec la déco et les couleurs d'origine. Blanc avec des pampilles en cristal, je l'adore et je n'ai jamais voulu le changer. Tout autour, des tissus bariolés, des guirlandes de lumière LED et du faux lierre complètent l'ensemble. Un peu partout, là où il reste de la place, des plantes et, bien sûr, plein de tapis de différentes tailles, formes et couleurs recouvrent le sol. Les fenêtres sont souvent grandes ouvertes avec les rideaux qui se balancent au gré du vent, et j'ai la plus belle vue sur le jardin.

 Tout cela, je dois réussir à le retranscrire sur une feuille A3, pour la semaine prochaine. Je sens que je ne vais pas beaucoup dormir ces prochains jours. Je l'adore mon antre, c'est ma forteresse de solitude, ma grotte quand j'ai besoin de calme, le seul endroit au monde où je sais qu'il ne m'arrivera jamais rien de mal. Comment réussir à faire ressentir ça à monsieur Degoin ? En plus, on n'a le droit qu'aux crayons de couleur. Les miens sont presque morts.

 Demain, c'est direction la boutique de matériel d'art de la ville voisine. Une vraie expédition. Je demanderai à papa de m'y conduire. De toute façon, je vais avoir besoin de sa carte bleue. Mes parents estiment que tout ce qui concerne les études ou les permis les concernent, que ce soit pour mon frère ou pour moi. Ils m'ont donc payé le permis B et envisagent, si besoin, de financer l'achat d'un bus pour que je puisse le conduire si j'en trouve un à retaper. Là, j'ai surtout besoin de crayons de couleurs, d'une nouvelle gomme mie de pain, d'aquarelles, de feuilles, de toiles et d'une autre pochette pour y entreposer mes œuvres. Cela paraît énorme, mais je n'ai pas vraiment le choix.

 Depuis peu, je reçois des demandes de mes abonnés pour des prints de mes peintures. Je devrais en parler à maman, elle saura me conseiller. Surtout que, si j'accepte, il faudra investir dans une imprimante et du papier spécial. Et pas une petite machine basique. Un truc qui coûte une petite fortune et dont les imprimeurs se servent. Mais comme ça me servira aussi lors de mes voyages, ce n'est peut-être pas une mauvaise idée. Et j'aurai quelques sous en plus. Bref, il faut que je voie ça plus en détails et à tête reposée avec maman tout à l'heure. D'abord, recommencer encore une fois le dessin, parce que j'ai raté une ligne et que ça a tout faussé. Dire que j'avais déjà placé les fenêtres et la moitié des meubles... Je deviens dingue ! Si j'ai la moyenne, ça sera un miracle.

 Voilà, il est deux heures du matin, j'ai fait ce que j'ai pu, j'aurai la note que je mériterai. Je ne suis pas fière de mon travail, mais je suis épuisée. Au moins, on reconnaît ma chambre, c'est l'essentiel ! La perspective ne m'a pas l'air trop mal, c'est déjà mieux que rien. Je suis tellement fatiguée que je ne pourrais rien faire de plus de toute façon. Vite, une douche, mon kigurumi panda et au lit ! Quand je pense que j'ai ce pyjama depuis que je l'ai vu sur un personnage de SLG et que j'ai craqué pour le style...

 Finalement, ma note n'est pas trop mauvaise. B+ pour quelque chose qui ne me plaît pas, je ne risque pas de contester. J'ai montré mon aquarelle à mon meilleur ami, Matteo, qui m'a dit qu'il avait du mal à reconnaître ma chambre parce que ça manque de désordre. Je lui ai couru après dans tout le campus pour essayer de lui mettre un coup de carton à dessin sur la tête. Malheureusement, je n'ai pas réussi. En revanche, lui a pu me chatouiller alors que je déteste ça. Il le sait en plus, du coup, il le fait exprès... J'ai essayé de le chatouiller en retour, impossible. Je l'aurai un jour, je l'aurai.

 Aujourd'hui, je dois préparer des vidéos d'avance pour mes réseaux. On arrive dans la période des examens et je ne peux pas me permettre de manquer de sommeil ou de temps pour mes révisions. Je sens que cela va être un tourbillon dans ma tête comme dans ma vie pendant un certain temps. Le plus compliqué va sûrement être le cours d'histoire de l'art. Trop d'informations à faire entrer dans mon crâne pour être sûre de ne rien rater. Je vais demander à Matteo de me rejoindre à la bibliothèque universitaire quand il pourra; qu'on s'entraide pour nos révisions. Je suis sûre qu'avec son aide, je serai moins stressée. Je suis toujours détendue près de lui, même quand il m'énerve.

 Avec Matteo, on se connaît depuis toujours j'ai l'impression. Collés l'un à l'autre, pire que des siamois, jamais fâchés, jamais séparés. On se prend parfois la tête, c'est sûr, mais jamais longtemps. La pire dispute qu'on aie eue a duré deux heures et je ne me souviens même pas à propos de quoi elle était. On n'est rancunier ni l'un, ni l'autre, du coup on oublie facilement les prises de bec. Il est aussi brun que je suis rousse, ses yeux sont bleus et les miens verts, il est grand je suis petite... Sur le papier, on est les opposés l'un de l'autre, même nos caractères sont très différents. Lui le calme, moi l'explosive. Complémentaires dans l'opposition. Et qu'est-ce qu'il est beau ! Mais chut, ne lui dites pas que je vous ai dit ça surtout !