#4 Dog sitter- Éléonore
Bordel !
Mais qu'est ce qu'ils ont aujourd'hui ? A courir nulle part et partout, à la faire suer, transpirer, haleter de la sorte !
— Un pas de plus et je tombe dans les pommes, râla la jeune fille en courant après deux chiens, deux gros bergers allemands qu'elle avait l'habitude de promener.
— Médor ! cria-t-elle. Mozart !
Elle soupira. Elle n'en pouvait plus. Deux heures qu'elle courait après ces molosses, alors que d'habitude, ils étaient doux comme des agneaux. Deux heures qu'elle essayait de les rattraper, de tirer sur leurs laisses pour qu'ils puissent enfin rentrer, mais rien. Nada.
La vieille allait encore râler en les retrouvant.
Et qu'ils ont l'air crevés, ils ont trop courus, elle devait les emmener ailleurs, faire des balades plus courtes, et blablabla, et gnagnagna... Pffff ! Elle n'y échapperait pas, c'est sûr...
Mais là, elle avait vraiment envie de rentrer. En plus, à force de courir et de la tirer n'importe où, ils étaient désormais juste devant le quartier industriel, bien loin de la résidente bon chic bon genre de leur propriétaire. Rien que de voir cet assemblage de blocs gris et ternes déchirer le ciel, immenses et sinistres, ça lui donnait froid dans le dos. Elle ne savait pas pourquoi, c'était psychologique.
Soudain, une détonation lugubre brisa le silence de cette fin d'après-midi.
Elle sursauta, effrayée, puis essaya d'attirer les chiens vers elle pour rentrer au plus vite - elle préférait entendre parler de ce coup de feu dans les journaux que d'être au cœur de l'action -, mais malheureusement, les canidés furieux n'étaient pas du même avis qu'elle.
Pas du tout, même.
Soudainement excités de nouveau, comme s'il y avait une montagne de croquettes au bout du chemin, ils mirent tous leurs muscles en action et entraînèrent la jeune fille horrifiée vers le lieu où elle avait justement toute répugnance à mettre les pieds.
De sa main libre, elle esquissa un rapide signe de croix accompagné d'une petite prière: "Mon Dieu, pitié, faites que je sorte vivante de ce lieu".
Elle serait bien partie en courant dans la direction contraire, mais ne pouvait pas abandonner les deux chiens. La vieille demanderait sans doute un remboursement, et elle n'avait absolument pas de quoi payer des chiens de races comme ceux ci.
Ils finirent par arriver devant les sinistres monuments, et loin de s'arrêter devant ces masses informes et grises, ils entraînèrent leur promeneuse à enjamber une fenêtre et à pénétrer par infraction dans un monument public.
Le genre de truc qui lui coûterait une blinde si on la prenait sur la fait... Mais... Elle n'avait pas vraiment le choix.
Sa course arrivait à sa fin.
Et elle aurait sans doute préféré ne jamais la voir se terminer, quitte à mourir d'essoufflement, de ruine ou d'hyperventilation plutôt de d'être confrontée à ça.
Les chiens stoppèrent d'un coup leur mouvement.
Il faisait sombre, presque noir, mais elle n'eut aucun mal à distinguer les silhouettes qui se tenaient devant elle.
Une jeune fille, de son âge peut-être, accroupie et l'air songeur, tenait dans sa main une arme de bel aspect. Elle se serait sans doute intéressée au design de cet objet, si les circonstances étaient différentes.
Si, juste en dessous de ses pieds, elle n'avait pas senti une petite rivière de sang se déverser doucement.
Si, juste en face d'elle, l'arme n'était pas à présent dirigée vers son visage.
Et surtout, si, juste à côté d'elle, elle ne pouvait apercevoir cette femme allongée, frêle carcasse souriante au cerveau perforé.
Et, sans plus aucune considération pour les chiens, la vieille et son maigre salaire, elle s'évanouit.
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