Partie 1
Cité Six, États-Unis, de nos jours.
- Adrian, debout, c'est l'heure de se lever !
Je grogne en sentant que l'on me secoue assez brutalement, je n'ai pas envie de me lever, je veux retourner au pays des rêves. Là-bas au moins, le monde est beau et joyeux, pas comme ici.
Je m'enfonce un peu plus dans le lit en remontant la couette sur moi, histoire de bien faire comprendre à mon petit importun que je n'ai vraiment nulle intention de quitter le monde des songes.
Cependant la personne qui veut me rendre grognon dès le matin semble en avoir décidé autrement car j'entends un soupir avant que l'on ne tire brutalement ma couverture vers le bas :
- Allez lève-toi ! Je ne le répèterai pas deux fois ! Si tu ne te secoues pas, je te traîne hors de ce lit par la peau des fesses ! me menace la voix.
Cette fois, c'est à mon tour de soupirer en ouvrant les yeux. Je sais très bien qu'il est capable de le faire. Tout simplement car Jethro est mon ami depuis toujours. Un sourire victorieux se dessine sur ses lèvres en voyant qu'il a gagné.
Je lui lance un regard meurtrier, si un regard pouvait tuer, nul doute qu'il serait sans doute mort à l'heure actuelle :
- Je te hais, grogné-je.
- Moi aussi je t'aime ! Bouge ton cul sinon tu vas être en retard pour le petit déjeuner ! Et cette fois je ne piquerai pas de nourriture pour remplir l'estomac du gros fainéant que tu es !
Je grommelle tout en regardant mon ami. Comment fait-il pour ressembler autant à un enfant ? Ses yeux bleu foncé et parsemés de point bleu clair sont trop innocents pour son âge, et ses joues à la peau dorée sont aussi rondes que celles d'un nouveau-né. La seule chose d'à peu près adulte chez lui sont ses cheveux auburn, ondulés comme ceux de Boucle d'Or. Ainsi que sa carrure forte et imposante. Mis à part cela, il ressemble à un môme dans un corps d'adulte.
Il sort sans rien dire de plus et je me lève de mon lit. Enfin "lit" est un bien grand mot pour désigner les couchettes du Quartier Général. Comme tous les Waas, je dois vivre au QG, dans une chambre que je partage avec Jethro et Zach. Elle est plutôt petite avec le strict minimum. Deux lits en fer, superposés et un autre à côté, une armoire que nous nous partageons pour les habits et un petit coffre personnel pour chacun de nous afin d'y entasser nos « trésors personnels ». Les murs sont blancs, tout comme le sol et la seule fenêtre donne sur un ciel noir de cendre.
J'attrape un jean usé, un tee-shirt, une veste en cuir et des bottes. Tout l'ensemble est de couleur noire.
J'arrange un peu mes cheveux, je n'ai pas envie de ressembler à un hérisson et je sors ensuite de notre "cellule".
Le couloir est, comme tout le reste de la base, d'un blanc immaculé et d'une neutralité ennuyeuse. Parfois on peut voir quelques touches de couleur, comme le bleu clair, le jaune ou le beige. Mais ce sont les seules qu'il est possible d'observer, et encore ce n'est pas fréquent.
Je passe rapidement par les sanitaires pour me rafraîchir le visage devant un lavabo avant de me regarder dans le miroir. Mes yeux sont, comme ceux de tous les Waas, de la même nuance que ceux de Jethro. C'est dû à notre transformation, personne ne sait pourquoi, mais pour moi ça n'a aucune espèce d'importance. Mes cheveux sont lisses et ébouriffés, d'un noir semblable aux ténèbres qui composent le corps des Ombres. Cela contraste assez bien avec ma peau pâle. Je dois avouer que je ne fais pas mon âge : vingt ans avec ce visage exempt de toute pilosité, avec une mâchoire ronde et au nez droit.
Je me détourne avant de reprendre mon chemin vers la cantine, une grande pièce carrée, remplie de longues tables en plastique bleu pâle avec des bancs de la même couleur. Il y a un self-service, chacun peut prendre sa portion, déjà préparée sur un plateau. De l'autre côté, se trouve l'incinérateur dans lequel nous mettons nos déchets. Un petit bac mis à disposition sert à y entreposer nos plateaux sales.
Je prends ma ration avant de m'installer en face de mon ami qui me sourit. Je regarde ce qu'on mange aujourd'hui : un morceau de pain avec du fromage et une espèce de purée qui, d'après ce que je sais, est composée de lait ainsi que d'un aliment venu du monde des Undrental :
- Ils nous filent encore ce truc à manger ? Comment font-ils pour avaler ça ? lâché-je avec dégoût.
Jethro hausse les épaules en enfouissant une cuillère de cette fichue mixture dans sa bouche avant de répliquer :
- Je n'en sais absolument rien. Par contre, ce que je sais c'est que même si c'est répugnant, ça nous donne assez de force pour nous battre, donc j'en mange.
Je sais qu'il a raison, cette purée est infâme mais elle nous nourrit et recharge nos batteries pour nous permettre de tenir toute une journée à combattre sans manger ou boire.
Je mets un peu de cette bouillie dans ma bouche et je dois faire un gros effort pour ne pas tout recracher. Ce n'est pas tant le goût qui est ignoble, en effet les cuisiniers mettent du sucre pour que ça passe plus facilement, c'est la texture. J'ai l'impression de manger quelque chose de gluant et visqueux et c'est ce qui la rend incomestible pour nous.
Mais je ne dis rien et avale quand même, après tout c'est peut-être la seule chose que je pourrais ingurgiter avant ce soir.
Je termine rapidement ce semblant de petit déjeuner puis je me lève pour aller mettre mes déchets dans l'incinérateur et me débarrasser de mon plateau.
J'attends Jethro et quand il me rejoint, je lui demande sans grande conviction :
- On a quelque chose de prévu ?
- Non je ne crois pas. Enfin j'ai appris que le général des Undrental allait venir au QG, mais à part ça. Je n'en sais rien.
Je le regarde, étonné, c'est assez rare de voir ce haut gradé ici, d'habitude il reste dans son monde ou alors à la base de l'Armée :
- On va en ville ? J'ai envie de m'acheter un livre, proposé-je.
Jethro me dévisage comme si j'étais un extra-terrestre. Depuis la Grande Collision, les écrits, quels qu'ils soient se font rares et quand on en trouve, ils coûtent vraiment très chers :
- D'où sors-tu l'argent pour te les payer ? Ça coûte un bras ! Tu devrais faire comme moi et rester sans lire !
Je grogne un peu en entendant ce qu'il me raconte, je ne sais pas si je dois être exaspéré ou désolé par le fait qu'il se refuse à bouquiner. Mais bon je ne peux pas le forcer à faire une chose qu'il ne veut pas.
Comme d'habitude, l'air est lourd lorsque nous sortons du QG, rempli de particules de poussière noire, cette poudre qui sort sans discontinuer de la faille et qui recouvre peu à peu toute la planète. Personne ne sait ce qui a provoqué ce phénomène : un jour cette pluie de cendre a jailli de la faille et depuis, cela ne s'est plus arrêté.
Le ciel devient peu à peu invisible derrière cette couverture sombre au-dessus de nos têtes. Les rayons du soleil passent encore, mais pour combien de temps ? Les scientifiques, qu'ils soient humains ou Undrental, n'arrivent pas à en comprendre l'origine et la signification, enfin c'est ce qu'ils veulent nous faire croire. Moi je sens bien qu'ils le savent mais refusent de le dire à la population, même à nous, les Waas !
- Adrian à quoi penses-tu ? m'interrompe Jethro
Je sursaute, ne m'étant pas rendu compte que j'étais de nouveau perdu dans mes pensées :
- Je réfléchissais, sur la couche de cendres dans le ciel. Enfin on n'est même pas sûrs que ça en soit. Après tout, c'est peut-être de la poussière toxique qui va nous empoisonner ?
- Tu es stupide ou quoi ? Arrête de dire ce genre de chose ! C'est super flippant ! Tu imagines si quelqu'un t'entendait ? Tu pourrais déclencher le chaos en ville. Tu sais que les gens se fient aux Waas les yeux fermés. Ils croient à tout ce qui sort de leur bouche ! Alors ne va pas leur mettre des idées stupides dans la tête. C'est clair ?!
Je dois admettre qu'il a raison, et nous ne sommes plus des humains, la population nous vénère et nous adule. Certains pourraient croire que c'est génial, mais ça ne l'est pas du tout, parce que savoir qu'autant de gens comptent sur nous, que nous sommes le seul rempart entre eux et les Ombres, c'est stressant et la pression est énorme.
Je sais que j'ai choisi de devenir un Waas, de protéger la ville. Mais parfois je me dis que si j'avais su ce que cela impliquait réellement, je n'aurais sans doute pas choisi de faire ça. Le plus dur n'est pas de combattre contre nos ennemis, non, c'est de savoir que si on échoue, des gens mourront par notre faute, c'est ça le plus horrible. Si nous perdons, les massacres reprendront de plus belle et ce sera alors la fin de l'Humanité.
***
Nous passons le portail d'entrée du Quartier Général et nous nous retrouvons cette fois en ville. Mon cœur se serre quand je vois la cité dans laquelle j'habite maintenant. Elle n'a rien à voir avec New York et sa splendeur. Celle-ci ressemble plus à une sorte de cage géante.
Les Undrental nous ont emmenés dans un lieu hors de l'ancien New York, loin des buildings et des ruines, qui est maintenant le territoire des Ombres. Nous avons construit une autre ville, à une distance respectable de celle-ci.
Les maisons sont toutes pareilles, des carrés parfaits, de taille identique, avec la même distance d'écart entre elles. Elles sont faites de béton ou encore de la même matière que notre QG, à savoir : un alliage importé par les Undrental. Il y a un petit jardin derrière chacune d'elle, clos par une petite barrière en bois. Elles sont parfaitement alignées. Ici il n'y a pas de riches ou de pauvres, tous les habitants ont un travail et ont exactement le même salaire.
Comme dans toutes les villes, il y a une école ainsi qu'un hôpital. On les reconnaît assez facilement car ce sont les seuls bâtiments comportant plus d'un étage.
Nous débouchons sur la Grande Avenue, la route centrale de la ville. Il y en a des plus petites qui circulent entre les maisons. Nous marchons un peu, croisant plusieurs personnes dans les rues en terre. Chacun nous salue avec un respect non feint et nous finissons par nous retrouver dans le quartier des commerces.
Les magasins sont comme les maisons, sauf que pour gagner de la place, il y a un étage surélevé, car la maison est au-dessus du rez-de-chaussée.
Le quartier du commerce est près des champs et des fermes qui nous permettent de nous nourrir. La moitié de notre ravitaillement vient de là et l'autre moitié du monde des Undrental, mais la plupart des humains n'aiment pas leurs aliments, il faut dire qu'il n'a vraiment pas bon goût.
J'entre dans un magasin d'antiquités, ce sont ceux chez qui j'ai le plus de chance de trouver des livres, ou des objets d'avant la Grande Collision.
Une clochette teinte lorsque je pousse la porte et je me retrouve dans une boutique remplie d'étagères qui croulent sous le poids de divers objets, pouvant aller d'ustensiles de cuisines à des vêtements en passant par tout une grande gamme de choses d'antan :
- Bonjour jeune homme, en quoi puis-je vous aider ? demande le vendeur.
Je me tourne vers celui qui vient de parler. Il est âgé, avec des cheveux blancs et un visage rongé de rides. Mais ses yeux sont d'un vert aussi vif qu'un rayon de soleil :
- Je cherche des livres, vous en avez ?
Il me regarde, visiblement étonné par ma demande et il réfléchit avant de nous faire signe de le suivre :
- Vous savez sans doute que les livres se font rares de nos jours. La plupart ont été détruits ou bien pourrissent dans les ruines de New York.
Nous nous arrêtons devant une étagère bondée de livres, c'est la première fois que j'en vois autant réunis depuis la catastrophe. Je ne sais pas lequel choisir et Jethro part explorer le magasin en attendant que je me décide.
Je regarde les bouquins, ils ont tous l'air génial mais je n'aurais pas assez d'argent pour en acheter plus de deux ou trois. Je commence donc à lire les quatrièmes de couvertures.
J'en suis au cinquième livre quand le bibliothécaire près de moi reprend la parole :
- Est-ce vrai que votre QG envoie des Waas en mission d'exploration ? demande-t-il avec de l'inquiétude dans la voix.
Je le regarde, surpris par ce qu'il vient de dire. Comment peut-il savoir une telle chose ? Les missions d'explorations visent à s'approprier un territoire dans la zone des Ombres pour une opération de reconquête de la ville :
- Oui, comment le savez-vous ?
- Mon fils me l'a dit. Est-ce que vous y participerez ?
Je hoche la tête, son fils est vraiment imprudent de lui révéler ce genre de détail. Pas que quelqu'un puisse allez le dire aux Ombres vu que tout le monde les détestent, mais ce genre d'information doit rester dans l'armée, les civiles n'ont pas besoin de savoir cela :
- Oui, pourquoi ? répondé-je avec suspicion.
- Mon fils est nouveau, il vient à peine de devenir un Waas et je me fais beaucoup de soucis pour lui. Je me demandais si vous accepteriez de le protéger pendant la mission. Il s'appelle Luke, il a des cheveux bleus et assez facile à reconnaître.
J'essaie de me rappeler si je l'ai déjà rencontré ou pas, la demande de cet homme me touche. Il s'inquiète pour son fils, c'est évident. De plus, si celui-ci est une jeune recrue, il y a de forte chance qu'il meurt pendant sa première mission, comme la plupart des nouveaux. Ah oui, je me rappelle avoir vu un jeune homme aux cheveux bleus, cela m'avait intrigué et je lui avais demandé comment il faisait pour se les teindre. Il m'avait répondu qu'il utilisait de l'encre :
- Je le connais. C'est d'accord, je veillerais sur lui. Ne vous en faites, pas il reviendra sain et sauf ! affirmé-je avec véhémence.
Il me regarde avec un immense soulagement. Je comprends ce qu'il peut ressentir, je sais ce que ça fait d'être angoissé pour une personne à laquelle on tient. Je ne lui dirais jamais mais Jethro compte beaucoup pour moi, sans lui je serais mort depuis longtemps. Pas seulement parce que je me serais sans doute fais tuer par les Ombres, mais parce qu'à la disparition de ma famille, il m'a soutenu et m'a aidé à aller de l'avant, à me reconstruire. Je lui serais toujours reconnaissant pour son aide. C'est lui qui m'a également convaincu de devenir un Waas, pour protéger les gens et empêcher que ce qui est arrivé ne survienne à d'autres personnes :
- Vous avez choisi les livres que vous voulez acheter ? demande le vieil homme.
Je et lui tends trois livres :
- Je prends ceux-ci.
Il hoche la tête et me conduit vers le comptoir du magasin pour que je paie. Cependant, quand je m'apprête à régler pour mes achats, il m'arrête d'un geste de la main et me facture deux d'entre eux uniquement.
Je le regarde sans comprendre, pourquoi fait-il cela ?
- Je t'offre le dernier, c'est pour te remercier d'avoir accepté de veiller sur mon fils, m'explique-t-il.
Il m'adresse un large sourire et je lui donne l'argent avant de le saluer et de sortir avec Jethro :
- Alors tu as trouvé ton bonheur ? demande mon ami à la peau mate.
J'acquiesce et regarde autour de nous pour voir si d'autres boutiques attirent mon attention, mais j'ai tout ce qu'il me faut :
- Oui, on rentre ? On part bientôt pour la mission d'exploration non ?
Il me confirme que oui d'un mouvement de tête et nous prenons donc le chemin du retour. Je suis un peu stressé car dans moins de deux heures, nous retournerons en ville. Je sens déjà mon cœur se tordre. Voir ce qu'est devenue ma belle pomme me rend triste. C'était une si belle ville, si pleine de vie. Mais depuis la Grande Collision tout cela est fini. Il ne reste plus que des ruines qui ne sont que les restes d'un monde oublié. Cela me fait tellement mal de la voir comme ainsi, si terne, si triste, si détruite.
Cependant je ne le dis à personne, car beaucoup sont dans mon cas et c'est normal. Qui ne serait pas attristé de voir que l'endroit qu'il a connu, où il a grandi, a perdu toute sa splendeur et est devenu synonyme de mort ?
Nous rentrons donc aux Quartier Général et je passe rapidement par ma chambre pour déposer mes nouveaux achats dans mon coffre. Je vais ensuite prendre une douche, je ne sais pas dans combien de temps sera la prochaine alors je profite pendant que je peux encore le faire. Les missions d'explorations peuvent parfois prendre des jours et on se retrouve bien vite couvert de terre et de saletés.
Une fois ma douche finie je retourne dans ma chambre pour lire en attendant que le temps passe. Je ne sais pas où est parti Jethro, mais le connaissant, il doit sans doute être allé se rincer l'œil à la salle d'entraînement. Il doit vouloir mater les autres Waas une dernière fois au cas où il devait mourir pendant notre mission. Pourquoi est-ce que je pense à une telle chose moi ? Il ne faut pas que je le fasse ! Il n'arrivera rien à Jethro, nous allons tous rentrer sains et saufs !
Mais au plus profond de moi, je sais très bien que c'est faux, nous avons beau pouvoir tuer les Ombres, certains d'entre nous ne reviendront peut-être pas. Je sais également que ceux qui mourront les premiers seront les petits nouveaux. C'est souvent le cas, c'est terriblement injuste mais c'est ainsi.
L'heure passe assez vite et avant de partir, je retire tous mes habits, me retrouvant totalement nu. Je n'aime pas cette étape, c'est toujours un peu douloureux mais je n'ai pas vraiment le choix, sans ça, je ne pourrais pas combattre correctement.
Je respire un grand coup et me concentre. Lentement, ma peau se déchire pour laisser sortir des petites plaques noires semblables à des écailles. Celles-ci recouvrent lentement tout mon corps et finissent par se transformer progressivement en une combinaison noire striée de veines du même bleu scintillant que nos yeux.
La matière prend la forme de bottes à mes pieds et de gants à mes mains, avec un col roulé au cou. Le tout moulant parfaitement bien mon corps. Les Undrental appellent cette manière "Morpha" car elle peut devenir aussi molle que de l'eau ou aussi résistante que l'acier. C'est un mélange entre magie et technologie. C'est grâce à cette Technomagie que nous pouvons nous battre contre les Ombres, elle nous permet de créer des armes et d'utiliser un peu du pouvoir des Undrental.
Vous devez sans doute vous dire "mais puisque Morpha peut vaincre les Ombres, pourquoi ne pas en équiper toute l'armée et aller les détruire ?". Et bien pour la simple et bonne raison qu'il faut être capable de supporter la puissance magique de Morpha. Ceux qui ne le peuvent pas finissent fous ou se vident de leur énergie. Il faut également pouvoir être "connecté" avec Morpha, sinon il est impossible d'utiliser ses armes ou sa magie, et cela peu de gens le peuvent. C'est pour cette raison que nous sommes à peine une cinquantaine de Waas.
Une fois la matière ayant entièrement recouvert mon corps, je rejoins Jethro qui est équipé de la même façon :
-Tu sais que Morpha te fais un joli petit cul ? dit-il avec un regard lubrique.
Je lève les yeux au ciel ! Quand il n'a pas que la nourriture en tête, c'est pour uniquement penser à baiser, c'est un cas désespéré :
- Jethro, il va falloir que tu te calmes. Je t'ai déjà dit que je ne coucherais pas avec toi, nous sommes amis, rien de plus d'accord ?
- C'est bon je rigole, il faut bien se détendre un peu avant de filer en mission.
Je le regarde, consterné. Il est vrai que se relaxer avant une mission est recommandé par nos supérieurs. Selon eux cela nous permet ainsi d'évacuer une certaine dose de stress avant de retrouver le monde au-delà du mur. Mais qu'en savent-ils eux ? Ils ne vont pas combattre ! Ce ne sont pas eux qui risquent leurs vies au dehors, mais nous ! Ils nous disent de nous détendre, de lâcher la pression, c'est plus facile à dire qu'à faire ! Parfois j'ai envie de leur suggérer de prendre notre place, car manifestement s'ils le faisaient, ils seraient morts de peur. Tout le monde le sait, même eux, et c'est pour cela qu'ils restent bien sagement à l'abri pendant que nous faisons le sale boulot et que nous mettons nos vies en danger !
Mais je ne vais pas me plaindre, parce que même si je trouve injuste que nos supérieurs se croient puissants alors qu'ils ne vont même pas sur le terrain, c'est moi qui ai choisi d'intégrer l'armée, pour protéger la population et essayer de récupérer mon monde.
Il faut que je me calme, je dois garder mon self contrôle, surtout pendant une mission, sinon cela peut me coûter la vie.
***
Nous arrivons dans la salle de réunion. La pièce est de taille moyenne, entièrement blanche, comme tout le reste. Il y a une table ronde au centre avec des chaises, toutes occupées par une dizaine de Waas et d'Undrental.
Je me rappellerais toujours la première fois que j'ai vu l'un d'eux, j'ai cru qu'ils étaient des démons. Mais qui aurait pu penser le contraire ? Leur peau est aussi noire que les ténèbres, leurs cheveux d'un blanc translucide et leurs yeux d'un bleu si pâle qu'ils en paraissent transparents. Et ce n'est pas tout, ils ont des oreilles pointues, comme les Elfes, avec une queue de démon et des crocs de vampire. N'importe qui aurait vu en eux des démons venus pour dévorer notre âme, même moi je l'ai pensé. Cependant j'ai bien vite changé d'avis quand je les aie vus se battre pour essayer de sauver le peu d'humains qu'il restait sur Terre.
Comme nous, ils sont vêtus de Morpha. Mais contrairement à nous, tous les Undrental peuvent l'utiliser car tous ont des dispositions pour la magie, ce qui n'est malheureusement pas le cas de ceux de notre espèce.
Nous nous asseyons sur les chaises qui sont encore libres et nous attentons l'arrivée des derniers participants. J'en profite pour chercher Luke, le fils du vieil homme. Je le trouve assez rapidement, sa chevelure bleue est assez voyante et je me promets d'aller lui parler avant que nous partions.
Une fois que nous sommes tous réunis, notre supérieur commence les explications :
- Bien, comme vous le savez tous, vous partez en mission d'exploration. Celle-ci consiste à reprendre cette zone sous notre contrôle !
Il nous montre ladite zone sur la carte qui est projetée contre le mur blanc :
- Nous espérons établir une base ici afin de commencer la reconquête de la ville pour les pousser lentement vers la mer afin de leur couper toute retraite. Vous avez ordre de tuer toute Ombre qui s'y trouverait, est-ce clair ?
Nous hochons tous la tête et l'un des petits nouveaux lève timidement la main avant de demander d'une petite voix :
- Monsieur, si nous parvenons à prendre ce secteur, comment faire pour empêcher d'autres Ombres d'y revenir ? Nous n'allons pas risquer de laisser des hommes sur le terrain quand même ?
Un petit sourire étire lentement les lèvres du capitaine en face de nous et il sort un objet de sa poche avant de le poser sur la table :
- Avec ceci, les Undrental viennent de développer ce que nous allons appeler un DAAD, autrement appelé Dispositif d'Auto Attaque et de Défense. Cette petite merveille servira à sécuriser la zone. Étant une mini Morpha, elle sera capable de tuer les Ombres qui entreront sur notre territoire. Vous en aurez chacun un à placer dans une zone précise. Bien, la réunion est terminée, vous pouvez donc débuter la mission.
Nous nous levons sans rien dire et dès que je peux, je m'approche de Luke :
- Salut, je m'appelle Adrian, je suis venu te dire de ne pas t'inquiéter, je vais veiller sur toi, l'abordé-je sympathiquement.
Il me regarde, avec des yeux ronds, il ne s'attendait sans doute pas à ce que je lui dise quelque chose du genre ni même à ce que je lui parle de façon si spontanée:
- Pourquoi veux-tu me protéger ? Je peux très bien m'en sortir tout seul !
Je vois bien dans ses yeux qu'il essaie plus de se convaincre lui que moi et je lui fais un sourire rassurant et chaleureux en posant une main sur son épaule. Je sais ce qu'il ressent, je suis passé par là moi aussi :
- Je n'en doute pas, mais ton père m'a demandé te prendre soin de toi. Il veut que tu rentres en vie. Alors je vais faire en sorte qu'il puisse te revoir. Je sais que tu as peur, mais ne t'en fais pas, reste près de moi et tout ira bien d'accord ?
Il me regarde, pas vraiment convaincu, je sens qu'il est mort de trouille. C'est sa première mission et il doit sans doute être terrorisé par les Ombres. C'est tout à fait normal, tout le monde passe par là au début, même moi j'y suis passé et c'est grâce à Jethro que j'ai pu survivre et ne pas laisser la peur me gagner.
Je lui frotte doucement le dos en lui promettant que je serais avec lui pour l'aider et il finit par ébaucher un timide sourire en hochant la tête, visiblement rassuré.
Jethro nous rejoint sans rien dire, je le vois qui lorgne sans gêne sur les formes de Luke mises en valeur par Morpha qui est en mode "combinaison ultra moulante".
Je lui frappe l'arrière de la tête et il grogne en me traitant de "rabat-joie" et "stupide con", ce qui me fait rire. Nous sortons du Quartier Général et nous arrivons dans la cour, devant la grande grille en fer qui s'ouvre sur la ville.
Cependant nous ne franchissons pas cette limite, nous restons statiques. Nous n'allons pas à New York à pieds. Ce serait beaucoup trop dangereux, nous pourrions tomber sur un groupe d'Ombres et nous devrions les tuer. Mais ce n'est pas notre but, pour le moment il nous faut nous rendre en ville afin de commencer à la reprendre des mains de nos ennemis. Et puis marcher ou courir serait beaucoup trop long et fatiguant.
La seule solution reste : la voie des airs, par le ciel.
Je regarde les autres Waas autour de nous, leurs combinaisons commencent à se tordre et s'étirer. Je sens ma propre Morpha qui fait la même chose dans mon dos. Peu à peu, la matière prend la forme de deux grandes ailes, ressemblant à celles des Dragons. Je grimace, j'ai l'habitude de les avoir, je pars assez souvent en mission, mais la sensation d'avoir deux appendices en plus, de les sentir se connecter avec notre cerveau pour pouvoir les contrôler est terriblement désagréable. Heureusement que cela ne dure pas longtemps et je soupire un peu de soulagement quand cette horrible sensation prend fin.
Quand nous sommes tous enfin prêts, nous décollons pour monter assez haut dans le ciel. La satisfaction que procure le fait de voler est tout simplement... merveilleuse ! Je me rappelle le jour où je l'ai expérimenté. C'était pendant un entraînement, j'avais l'impression que le monde s'ouvrait devant moi, que je pouvais aller où je voulais sans que rien ni personne ne puisse m'arrêter. Sentir le vent contre soi, voir le sol qui défile sous ses pieds, c'est vraiment fantastique !
Je savoure un petit moment cette paix qui m'envahit, les yeux fermés. Mais je finis par revenir à la réalité et j'observe autour de moi pour voir comment s'en sorte les nouveaux. Comme toujours, il leur faut un petit temps d'adaptation, notre corps et notre cerveau ne sont pas habitués. Malgré les exercices il lui faut toujours quelques secondes pour en comprendre la transformation. La peur de tomber et de s'écraser au sol comme une crêpe reste une sensation très prenante quand on s'élève dans les airs pour la première fois.
Jethro me rejoint rapidement, aussi coutumier que moi à cela et Luke finit par arriver aussi, un peu perturbé et pas très à l'aise :
- Ça va ? Tu t'en sors ? demandé-je en le regardant.
Il hoche la tête en souriant, il a l'air tellement heureux d'être ici, je peux le comprendre, c'est génial ! Il y a cinq ans, personne n'aurait cru que nous serions un jour capables de voler comme les oiseaux. Mais les Undrental sont arrivés et ont permis ce tour de force !
Notre chef de mission laisse le temps aux bleus de s'habituer totalement au vol. Quand ils sont tous prêts, nous nous mettons en route.
Le sol se met à défiler rapidement en dessous de nous, ne devenant plus qu'une masse marron et informe. Quand je songe qu'avant, il y avait de la vie ici. De l'herbe, des arbres, des animaux. Mais maintenant, tout a disparu, ne laissant qu'une plaine désolée et poussiéreuse. Seuls quelques arbres morts et des rochers sortant du sol montrent qu'auparavant il y avait autre chose que ce désert triste et morne. Je vois même, sur le côté, le lit desséché d'une rivière sur le côté.
J'essaie d'éviter de penser à quoi pouvait ressembler cet endroit avant la Grande Collision. Il était beau et plein de vitalité, d'accord les hommes polluaient la nature, mais nous ne l'avons jamais rendue dans un tel état de désolation. Les Undrental disent que la nature meurt à cause de l'énergie négative et létale qui sort de la faille. Elle recouvre doucement notre planète et c'est pour cette raison que notre monde dépérit peu à peu quoi que nous fassions pour essayer de lui redonner sa splendeur.
Nous continuons de survoler le chemin qui mène aux ruines de New York. Voler n'est pas fatiguant, enfin si, mais plus on le fait, plus on devient résistants et nous sommes capables de tenir longtemps.
Vers le milieu de notre itinéraire, nous faisons une pause afin que les nouveaux puissent se reposer un peu, ils ne doivent pas être surmenés s'ils veulent pouvoir être efficaces pour la mission, et puis nous avons du temps devant nous. Certes il est primordial de reprendre possession de notre ville, mais la santé des troupes est importante pour le bon déroulement de l'opération. D'où l'intérêt de préserver un maximum les nouvelles recrues de la fatigue.
Après une demi-heure de pause sans incident, je veux bien sûr dire « sans attaque d'Ombres » nous nous remettons en route, toujours dans le ciel.
Dix minutes plus tard, nous arrivons enfin en vue de la ville. Mon cœur se serre dans ma poitrine et je dois faire un effort surhumain pour ne pas me rappeler tous les souvenirs qui tentent de m'assaillir pour me faire revivre les moments formidables que j'ai passés ici. Je revis la Grande Collision.
Je ferme les yeux en respirant lentement, longuement. Je ferme mon esprit à tout ce qui pourrait nuire à ma mission, à tout ce qui pourrait me coûter la vie ou celle de mes camarades.
Nous finissons par nous poser à l'entrée de la cité détruite, aucune Ombre en vue, tant mieux :
- Préparez vos armes, on ne sait jamais quand ces saletés peuvent nous tomber dessus ! ordonne le chef de mission.
Les ailes dans mon dos disparaissent et je tends la main devant moi. Morpha se plie de nouveau et un morceau se détache de ma combinaison. Je l'attrape et le regarde s'étirer et se déformer pour finir par prendre la forme d'un pistolet, entièrement noir avec des veines dans lesquelles brillent le même bleu que celui qui parcourt celles de ma combinaison.
Nous avons compris depuis longtemps que les armes courantes ne pouvaient pas venir à bout des Ombres, mais celles que nous créons avec Morpha le peuvent. Heureusement, nous pouvons ainsi créer n'importe quelle arme, du moment que nous savons nous en servir et c'est ce qui compte avant tout.
Nous entrons prudemment dans la ville qui est en ruine. Les hautes tours, autrefois si belles et magnifiques, ne sont maintenant plus que des carcasses vides de béton et de ciment dont les vitres sont éclatées.
Je vois également des cadavres de voiture qui jonchent le trottoir ou la route.
Et toujours cette sempiternelle poussière qui recouvre chaque chose et chaque recoin. Certains immeubles sont effondrés ou alors à moitié détruits, rongés par l'aura maléfique qui sort de la faille. Un vent glacé souffle entre les bâtiments. J'ai l'impression d'entendre les cris de fantômes, des gens qui seraient décédés dans cette ville. Mais je sais que c'est impossible ! Depuis que la faille s'est ouverte, tout ceux qui meurent mutent automatiquement en Ombres, c'est ainsi qu'à chaque fois qu'une personne perd la vie, un Waas doit lui transpercer le cœur avec son arme afin que son âme ne se transforme pas.
Il y a une drôle d'atmosphère ici. Je sens le danger qui rôde partout autour de nous et les plaintes du vent n'aident pas vraiment à ne pas être sur ses gardes.
Nous avançons lentement, attentifs aux moindres bruits, aux moindres frémissements de l'air. Les moins forts sont au centre du groupe et les plus forts les encadrent.
Nous arrivons finalement à l'entrée de la zone dangereuse où nous allons devoir placer les DAAD avant de tuer toutes les Ombres qui se trouvent à l'intérieur.
Notre chef se tourne vers nous :
- Bien, vous savez où vous devez placer votre DAAD. Pour plus de sécurité vous allez rester deux par deux. Compris ? Si vous croisez des Ombres, tuez-les ! Mais si vous sentez que vous n'arriverez pas à les battre, ne jouez pas les héros et prenez la fuite ! Notre objectif n'est pas de vous faire tuer ! Mais de reprendre cette zone, OK ?!
Un « oui chef !» général lui répond et je me tourne vers Luke :
- Tu veux qu'on parte ensemble ? lui proposé-je.
Il hoche la tête, il a peur je le vois bien, alors je lui adresse un sourire rassurant. Il n'a rien à craindre, je suis là pour veiller sur lui. Du moins je vais faire tout mon possible pour le maintenir en vie.
Nous nous mettons donc en marche et il ne nous faut que quelques minutes pour nous rendre à l'endroit où il doit poser son DAAD. C'est encore assez éloigné du centre-ville donc nous ne rencontrons aucune Ombre pendant qu'il programme l'appareil.
Après quelques mètres, nous nous enfonçons un peu plus dans la ville et le risque de tomber sur des ennemis se fait tout de suite plus grand et plus présent. Je remarque que Luke se tend à côté de moi et je comprends pourquoi ! Un peu plus loin, nous pouvons voir un bout de faille. Je prends conscience que l'on m'a envoyé dans l'un des endroits les plus dangereux, je n'aurais peut-être pas dû le laisser venir avec moi finalement.
Nous nous posons dans une rue déserte, je sens le danger se rapprocher et Luke se crispe à mes côtés :
- Ne t'en fais pas, tout va bien d'accord ? Il ne va rien t'arriver, tenté-je de le rassurer.
Je lui souris et il se détend un peu, mais je sais qu'il se tient toujours sur ses gardes.
Je cherche un endroit convenable pour mon DAAD, je le pose finalement en plein milieu de la route, à l'endroit précis des consignes que l'on m'a données.
Je me relève pour retourner vers Luke quand un frisson me parcourt de la tête aux pieds. Je me crispe et je pointe immédiatement mon arme vers lui.
Il me regarde sans comprendre et quand je tire, ses yeux s'écarquillent. Mais ce n'est pas Luke que j'ai touché, c'est une Ombre qui s'approchait par derrière :
- Luke viens ici !
Il court pour venir se mettre à mes côtés, il est terrifié :
- Luke calme-toi ! Tout va bien d'accord ? Je suis là alors reste calme !
L'Ombre que j'ai touchée ne se relève pas, elle commence même à se dissoudre lentement. Je ne sais pas qui était cette personne avant de devenir un monstre, mais je sais que maintenant son âme repose en paix.
Je perçois un mouvement du coin de l'œil, une autre Ombre fonce sur nous, un poignard de ténèbres à la main. J'ai juste le temps de transformer mon arme en dague avant de bloquer le coup.
Les humains ont longtemps cru que les Ombres étaient comme les Zombies, qu'elles ne voulaient que nous manger et rien d'autre, qu'elles n'obéissaient qu'à un instinct primaire de carnage. Ce n'est absolument pas le cas. Contrairement aux Zombies, elles savent se battre, elles sont intelligentes. Leur force et leur vitesse sont redoutables. Elles utilisent souvent des armes mais jamais d'armes à feu, ou alors elles se servent de leurs crocs et de leurs griffes.
Autant dire que cela ne nous facilite vraiment pas la tâche ! Heureusement, grâce à Morpha, nos capacités physiques sont égales voire un peu plus élevées que les leurs.
Je donne un violent coup de pied dans le torse de mon ennemi qui grogne en reculant. Et avant même qu'il ne puisse reprendre ses esprits, je fonce sur lui, enfonçant ma lame dans sa gorge.
Il s'écroule avant de disparaître aussitôt.
J'entends un cri derrière moi et je vois Luke entouré de cinq Ombres. Il va se faire tuer ! Je me précipite sur lui :
- Luke !!!
Je vois un de nos ennemis lever un bras vers lui pour lui transpercer le ventre mais j'arrive à m'interposer. Je sens Morpha se durcir au niveau de mon abdomen pile au moment où les griffes me frappent. Celles-ci se brisent et l'Ombre pousse un cri de rage. J'en profite pour lui planter ma dague dans le cœur, enfin dans l'endroit où il y aurait dû y en avoir un.
Je vois les quatre autres qui se rapprochent de nous, menaçantes avec leurs crocs sortis et les griffes brandies pour essayer de nous éliminer. Charmant :
- Luke, reste près de moi d'accord ?
Il hoche la tête, se battant comme il pouvait. Je sais ce qu'il pense, qu'il ne va pas y arriver car ce n'est pas comme à l'entraînement. Ici il peut vraiment mourir, ses adversaires ne lui laisseront aucune chance de s'en sortir.
Mais je suis avec lui et je jure que tant que se sera le cas, je le protègerais ! Je serais là pour veiller sur ses arrières !
Seulement cela risque d'être plus compliqué que prévu, les Ombres nous attaquent de tous les côtés et on se retrouve rapidement assaillis par une horde de monstres près à nous dévorer tout crus.
Face à cette menace létale, j'attrape la main du jeune homme à mes côtés tout en sortant mes ailes :
- Tes ailes !
Il comprend rapidement et fait apparaître les siennes. Nous nous envolons et les Ombres crient leur frustration :
- Ce n'est pas passé loin, un peu plus et on finissait dévorés ! lâcha-t-il.
Je hoche la tête avant de soupirer, nous avons bien failli y passer cette fois. J'aurais aimé tous les tuer, mais cela aurait signé notre arrêt de mort et c'est hors de question ! Surtout que j'ai promis de ramener Luke en un seul morceau !
- Du coup on fait quoi pour les Ombres ? On va quand même devoir nettoyer la zone non ? demande mon camarade.
- Oui, mais on reviendra avec du renfort. Si on y retourne, seuls, on est condamnés. Au moins maintenant on sait qu'aucune autres Ombres ne pourra entrer ici. Allez viens, on va au point de rendez-vous.
Il acquiesce et nous volons en direction du centre de la zone que nous avons décidé de reconquérir. Nos camarades sont déjà tous arrivés et nous atterrissons près d'eux :
- Bien, nous sommes au complet, vous avez tous pu placer vos DAAD ?
Un hochement de tête général répond à la question du chef de la mission et un sourire se dessine sur son visage :
- Nous allons donc commencer le nettoyage des lieux. Pour cette fois nous resterons tous groupés, on ne peut pas prendre le risque de nous séparer et de subir une violente attaque.
Nous suivons notre chef, mais par la terre, ce sera plus pratique pour se faire repérer par l'ennemi. Oui pour une fois, c'est ce que nous voulons. Habituellement nous faisons tout pour ne pas nous faire remarquer, mais présentement c'est le contraire, nous souhaitons qu'ils nous voient.
Nous avançons dans la carcasse de la ville, entre les immeubles rongés par le temps et cette poussière qui a recouvert le goudron des routes. J'ai de nouveau pris une arme à feu, je me sens plus en sécurité avec elle, en tout cas pour pouvoir en tuer à distance. Au corps à corps je suis plus en l'aise avec une dague ou un poignard.
Nous n'avons pas à marcher longtemps avant qu'un groupe d'Ombres nous tombe dessus. Heureusement elles ne sont pas nombreuses et nous en arrivons à bout assez rapidement sans trop de grosses blessures. Nous avons fait en sorte de protéger autant que possible les nouveaux et nous poursuivons notre chemin.
Jethro se tourne vers moi pendant que nous cheminons à l'arrière du groupe :
- C'est bizarre, tu ne trouves pas que les Ombres sont... Comment dire... Discrètes ?
- Comment ça ? demandé-je sans comprendre le sens de sa question.
- Je ne sais pas, je les trouve plus distantes. Normalement nous aurions déjà été assaillis par des hordes d'ennemis, mais là non, j'ai l'impression qu'elles nous fuient et ce n'est pas normal. Tu ne trouves pas que tout est trop calme ? Et puis il y a quelque chose de militaire, dans leur façon de se battre.
Je le regarde. Il a tout à fait raison ! C'est trop calme, nous aurions déjà eu être envahis par des Ombres désireuses de nous tuer, mais à part les deux groupes, nous n'en avons croisé aucune. Quant à leur manière de se battre, je n'y ai jamais particulièrement fait attention mais maintenant qu'il me le dit, il est évident qu'elles ont l'air de reproduire des mouvements appris à l'armée. Mais peut-être que je me fais des idées ? Peut-être que ce ne sont que des impressions ? Peut-être que l'on se trompe ? Je ne saurais le dire.
Nous terminons assez rapidement le nettoyage de la zone qui est maintenant sous notre contrôle, enfin si les DAAD fonctionnent vraiment. Parce que si ce n'est pas le cas, nous aurons fait tout cela pour rien. Savoir que cette mission d'exploration se termine assez vite me remonte un peu le moral. Je ne sais pas si j'aurais pu supporter de passer plusieurs jours ici.
Nous nous assurons une dernière fois que la zone est clean en la survolant et ensuite nous rentrons au Quartier Général.
***
La première chose que nous faisons est évidemment de prendre une douche, j'ai le visage couvert d'une pellicule noire et marron. Mes cheveux sont collés par la sueur et je me sens poisseux. Ma Morpha disparaît, faisant comme à son apparition, disséquant ma peau pour rentrer dessous avant que celle-ci ne se recouse.
Je vais me décrasser et après un bon lavage, je me sens tout de suite mieux.
Je suis content de ne pas avoir été le chef de cette mission, car cela aurait signifié faire son rapport et ensuite passer toute la nuit avec les deux commandants des armées Undrental et humaine. Autrement dit... des heures de boulot.
J'enfile un, boxer, un jogging noir et un haut large blanc avant de mettre des baskets. Je ne vais pas faire de sport. J'ai simplement envie de porter des habits dans lesquels je serais à l'aise et pas étriqué ou irrité par la rudesse d'un jean.
Je retourne dans ma chambre en me séchant les cheveux. Mais je me retrouve soudainement plaqué contre le mur :
- Salut Adrian, susurre une voix mielleuse.
Je soupire, il tombe vraiment au mauvais moment celui-là, je n'ai pas du tout envie de le voir ou même de lui parler :
- Marius fiche-moi la paix ! Je rentre de mission, laisse-moi tranquille d'accord ?
- Tu es vraiment méchant, tu ne te rappelles pas la folle nuit que nous avons passée ensemble ? Comment tu criais de plaisir, me demandant toujours plus ?
Sa main se pose sur mon entre-jambes à travers mon pantalon pendant que je lâche un grognement. Bien sûr que je m'en souviens de cette fichue nuit ! J'ai fait une belle connerie en finissant au lit avec Marius ! Bon il n'est pas moche, il est même carrément beau. Son visage à la fois fin et viril, aux pommettes hautes et à la mâchoire ronde font craquer pas mal de monde. Tout comme ses cheveux ondulés d'un blond très clair. Il ressemble à la fois à un enfant et à un adulte, et ce mélange lui va très bien. Il fait tomber pas mal de cœurs. Malheureusement, c'est moi qu'il a choisi de garder dans son lit en permanence.
Le problème c'est que je ne suis pas d'accord. Attention, je ne dis pas que je suis un adepte des coups d'un soir, mais lui c'était une erreur et je me suis vite rendu compte qu'il ne pourrait pas me donner ce que je cherche. Donc je me suis barré avant son réveil.
Mais comme nous vivons tous les deux au Quartier Général, ce n'est pas facile de l'éviter tout le temps :
- Écoute Marius, je pensais avoir été clair non ? Toi et moi c'était une connerie, il n'y aura jamais rien d'autre entre nous. Tu ne m'intéresses pas, tu pige ? lâché-je autoritairement.
Je pourrais m'en vouloir si je savais qu'il m'aimait, mais ce n'est pas le cas. Tout ce qui l'attire chez moi c'est mon corps et rien d'autre, il me l'a clairement fait comprendre pendant notre « nuit de folie » comme il le dit si bien :
- Tu n'es vraiment pas sympa Ad mais ne t'en fais pas, je t'aurais, j'ai toujours ce que je veux.
Il se recule et part sans rien dire d'autre pendant que je lâche un ouf de soulagement. Il peut toujours courir, contrairement aux autres, je ne me damnerais pas pour lui, parce qu'il ne peut pas me donner ce que je veux.
Je retourne assez rapidement dans ma chambre pour m'installer sur mon lit et continuer à lire la suite de ma lecture :
- Laisse-moi deviner, Marius a encore essayé de te mettre dans son lit ? me lance mon ami.
Je baisse mon livre pour voir Jethro qui me regarde de son lit :
- Comment as-tu deviné ?
- Je sais pas, je l'ai senti c'est tout. Je te connais bien et puis quand tu viens de le voir, tu as cette espèce de rictus de dégoût au coin de la bouche.
- Vraiment ? Je ne m'en étais même pas rendu compte. Mais il me fatigue à me harceler sans arrêt pour que je sois son jouet. Je suis humain merde !
- Ben... Techniquement non, enfin oui mais non, vu que t'es un Waas, t'es plus vraiment humain.
Je lui lance un regard meurtrier avant de lui jeter mon oreiller à la tête. Il rigole tout en le rattrapant avant de me le rendre pour que je puisse me caller confortablement dessus :
- Je suis peut-être un Waas, mais tout comme toi je reste un humain avant tout. Ce qui fait de nous ce que nous sommes est notre capacité à ressentir les émotions, à avoir de l'empathie et éprouver de la compassion. Il y a aussi le fait que nous pouvons penser comme nous le souhaitons, que nous avons conscience de choses dont sont dépourvus les animaux. Notre corps a beau avoir été fusionné avec de la magie et de la technologie, nous restons tout de même des êtres vivants.
Il s'écroule sur son lit :
- Tu as oublié de dire qu'on baise pour autre chose que la reproduction et qu'on adore tout ce qui touche de près ou de loin à la luxure.
- Tu es vraiment un obsédé ma parole ! Tu ne penses vraiment qu'aux mecs toi ! grogné-je.
- Que veux-tu, je suis comme ça, et puis je sais que tu m'aimes y compris avec petit mon côté pervers.
Il a encore une fois raison, il a beau être le plus gros obsédé du monde, il reste mon meilleur ami et je l'aimerais quoi qu'il arrive. Parfois ça m'embête de voir à quel point je tiens à lui, il est tout ce qu'il me reste et si je devais le perdre je crois bien que je ne m'en sortirais pas cette fois.
Je reprends ma lecture sans rien dire, Jethro venant de s'endormir dans son lit. Quel paresseux celui-là !
Je continue à bouquiner pendant un long moment avant de sentir le sommeil me gagner, la nuit est tombée depuis belle lurette dehors. Il est temps que j'aille me coucher, après tout demain je serais peut-être envoyé sur une mission dangereuse de plusieurs jours ? Ce ne serait pas un scoop. Je suis l'un des plus anciens Waas, on me fait donc aller assez souvent sur le terrain ou dans des opérations risquées.
Je finis par refermer mon livre et enlever tous mes habits, restant simplement en boxer. Je me glisse ensuite sous les draps en poussant un couinement de bien être avant de sombrer dans un sommeil profond.
***
Je suis soudainement réveillé par l'alarme du Quartier Général. Je me redresse d'un coup et je regarde Jethro :
- Qu'est-ce qu'il se passe ?! crié-je à mon ami.
- Je ne sais pas !
Je n'ai pas le temps de poser d'autres questions car quelqu'un ouvre brutalement la porte de notre chambre, la faisant claquer. C'est la panique dans le couloir derrière lui :
- Bougez-vous ! Un groupe d'Ombres essaye d'attaquer la ville !
Jethro et moi nous regardons, éberlués. Un groupe d'Ombres nous attaque ? L'idée est tellement... Absurde ! Bon pas tant que ça, c'est arrivé quelquefois mais elles ont vite compris que cela ne servirait à rien. Alors pourquoi s'en prendre à nous ? Pourquoi maintenant ?
Nous nous levons comme un seul homme et revêtons nos Morpha avant de sortir dans le couloir. C'est le chaos total, tout le monde court dans tous les sens. Des personnes complètement paniquées nous percutent pendant leur fuite. Où comptent-ils filer ? La seule entrée et sortie de la ville se trouvent être l'immense porte qui ferme les murs de l'enceinte autour de notre ville.
La plupart des Waas sont déjà prêts à intervenir. Jethro et moi sortons dans la cour du QG avant de nous envoler avec les autres. Une fois dans le ciel, ce que je vois me cloue presque sur place. Devant les murs des centaines d'Ombres sont rassemblées ! C'est bien la première fois que j'en vois autant réunies en un seul endroit !
Le combat risque d'être dur. Nous sommes une vingtaine de Waas et une petite trentaine de guerrier Undrental, on va finir en chair à saucisses !
Je serre les poings, je ne dois pas penser de telles choses ! Si je le fais, il y a de bonne chance pour que cela arrive et je refuse de risquer ma peau avec des pensées morbides !
Jethro doit sentir que je commence à paniquer un peu car il prend ma main dans la sienne et me sourit, un sourire rassurant et doux et je me sens tout de suite plus apaisé :
- Hey, ne panique pas Adrian, tout va bien se passer. Je suis là pour te protéger d'accord ?
Je le regarde, il a cet air qui dit « fais-moi confiance » et je sens la peur me quitter lentement.
Je regarde de nouveau les Ombres en dessous de nous et je ferme les yeux, respirant un grand coup avant de prendre mon courage à deux mains. Je me sens vraiment stupide de réagir comme un nouveau.
Nous n'avons pas vraiment le temps de réfléchir, nous nous jetons dans la bataille. Je fais apparaître de longs poignards dans mes mains et je me concentre sur le combat. Le vide s'installe dans ma tête, je supprime toute émotion que je pourrais avoir. Je n'ai plus qu'une seule chose à l'esprit : Tuer le plus d'Ombres possible sans finir dévoré.
L'affrontement est violent et brutal. Quelque chose a changé, les Ombres ne se battent plus comme avant, elles sont méthodiques et entraînées avec une réelle maîtrise du combat. Qui les a préparées ? Est-ce seulement possible ?
La bataille fait rage autour de moi, je frappe sans me poser de questions.
Les coups pleuvent de partout, j'entends des grognements, des cris de douleurs, des halètements ou encore le bruit du métal qui s'entrechoque. Je sais très bien que nous aurons des blessés, peut-être même des morts, mais je ne dois pas y songer, sinon je vais perdre le contrôle et me faire tuer.
J'ai beau être excellent en combat, ces Ombres aguerries sont très redoutables et sans Morpha je me serais sûrement déjà fait laminer. Heureusement, pour l'heure, la blessure la plus grave que je récolte est une longue coupure sur la joue, rien de gênant ni de douloureux.
La bataille semble durer des heures et des heures, pendant lesquelles j'entends mes compagnons gémir ou crier, où les Ombres s'effondrer et disparaître les unes après les autres. Finalement nous arrivons à nous débarrasser de tous nos ennemis.
Je regarde rapidement autour de moi, peu d'entre nous sont blessés. Seuls les nouveaux, qui ne sont en général pas assez rapides pour solidifier leur Morpha, font partie de ceux-là.
Je suis content de savoir qu'il n'y a aucune perte dans notre camp, mais cette attaque m'inquiète, c'était plus agressif, plus militaire. Comme une armée parfaitement opérationnelle.
Jethro me rejoint en souriant, il est, comme pratiquement nous tous, recouvert de poussière et après avoir vérifié que toute la zone était libérée de toute Ombre, nous retournons au QG.
Comme à l'accoutumée, la toute première chose que je fais est de me décrasser. Puis je rejoins rapidement Jethro à la cantine.
Je regarde mon bol, ils nous servent encore et toujours cette affreuse purée, mais j'ai tellement faim que je ne fais pas la fine bouche. En plus, cette fois-ci il y a une tranche de jambon qui accompagne la mixture :
- Ad, tu ne les as pas trouvées plus fortes cette fois-ci ? m'interroge mon ami.
Je lève la tête vers mon ami en face de moi, finissant ma bouchée de jambon avant d'hocher la tête :
- Si, j'avais l'impression de me retrouver en face de soldats, ce n'est pas normal. Il se passe quelque chose, tu ne penses pas ?
Il me fait signe qu'il est d'accord avec moi et je continue de manger. Que s'est-il passé avec les Ombres ? Hier, encore elles ne se battaient pas aussi bien. Qu'est-ce qui a bien pu les changer dans leur mode de combat ? J'ai beau réfléchir, je n'arrive pas à trouver :
- Tu crois que ça a un rapport avec la poussière noire qui sort de la faille ?
Jethro réfléchit avant d'hausser les épaules :
- Je ne sais pas, peut-être que oui, peut-être que non. La poussière s'est mise à tomber bien avant que les Ombres ne se montrent aussi dures à exterminer. Je ne pense pas qu'il y ait le moindre rapport, me répond-il
- Mais si elles avaient fait semblant d'être faibles ? Si elles s'étaient volontairement montrées facilement tuables juste pour nous faire baisser notre garde, pour ensuite mieux nous détruire ?
Il me fixe dans les yeux, visiblement choqué par ce que je viens de dire. Apparemment il ne s'y attendait pas et il réfléchit encore un peu :
- Admettons que tu ais raison. Pourquoi avoir attendu tout ce temps pour montrer leur vrai potentiel ? Et pourquoi le dévoiler seulement maintenant ? Et dans quel but ? Ce n'est pas logique enfin ! Mais supposons que ce soit vrai, ça voudrait dire qu'elles ont un meneur, un leader qui leur dit comment procéder. Alors dans ce cas, quel serait son objectif ? Pourquoi aurait-il fait une telle chose ? Et surtout, qui pourrait bien les contrôler ? Il y a trop de points obscurs pour que ton hypothèse soit valable.
Il n'a pas tort, c'est trop improbable, surtout que cela voudrait dire qu'elles sont capables d'obéir à quelqu'un alors que jusqu'ici nous n'avons pas pu les contrôler. Cependant je n'arrive pas à me débarrasser de mon intuition et je reste persuadé d'avoir raison :
- Les Undrental ! crié-je vivement.
Les yeux de Jethro s'écarquillent par ma réaction subite et il me regarde avec un air de totale incompréhension :
- Ils doivent savoir eux ! Je veux dire, en arrivant ils avaient la connaissance et la technologie pour vaincre les Ombres. Ils en savent plus que nous sur elles. Ils doivent forcement avoir une explication. En plus, je suis sûr qu'ils savent comment elles sont arrivées sur Terre mais qu'ils ne veulent pas nous le dire ! Ils nous cachent quelque chose.
- Adrian calme-toi, tu te rends compte que si quelqu'un t'entend tu vas avoir des problèmes ! Tout le monde ici glorifie les Undrental comme nos sauveurs. Si tu dis du mal d'eux, quiconque va vouloir te faire la peau ! Alors chut !
Bien vu ! Ils sont considérés comme le miracle qui a sauvé l'espèce humaine de la destruction, si je les critique et doute d'eux, les gens voudront me faire ma fête.
Mais je n'arrive pas à me défaire que quelque chose cloche avec eux. Comment peuvent-ils en savoir autant sur les Ombres ? Ils nous ont dit qu'elles ont essayé d'envahir leur monde. Cependant, ils ont trouvé un moyen de les combattre et plus tard de fermer les portails par lesquels elles venaient. Mais comment ont-ils su que l'un d'eux s'était ouvert ici ?
Je sens un trouble, un non-dit comme un secret, mais je n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Tout ce dont je suis certain c'est qu'ils savent des informations importantes et qu'ils ne nous les disent pas.
Un sourire fend mon visage sans même que je ne m'en rends compte. Je viens de trouver un moyen d'avoir des réponses à mes questions :
- Heu Adrian, qu'est-ce que tu as en tête ? me demande Jethro avec un air suspicieux.
Je retrouve aussitôt mon air neutre, je sais que si je lui dis ce à quoi je pense, il va tout faire pour essayer de m'en empêcher :
- Moi ? Rien pourquoi ?
- Me prends pas pour un con Adrian, je te connais depuis qu'on est gosses ! Quand tu souris comme ça c'est que tu as une idée pas très claire en tête. Alors dis-moi ce que c'est d'accord ?
J'expire bruyamment. Il me connaît vraiment trop bien et franchement parfois ça m'énerve qu'il déchiffre toutes mes émotions sur mon visage. Mais je n'ai pas d'autre choix que de lui dire maintenant, sinon il va me suivre et ça pourrait compromettre ce que j'ai prévu de faire :
- Très bien, mais ne cherche pas à m'en empêcher. Je vais aller farfouiller dans l'Oracle soufflé-je.
Il écarquille grand les yeux, ébahi, comme si je venais de lui prouver que la terre était plate au lieu d'être ronde :
- Quoi ?! Tu veux aller consulter l'Oracle ? Mais t'es malade ou quoi ? Personne sauf les Undrental et notre Général ont le droit de le faire. Tu veux une mise à pied ou quoi ?!
Je sais que mon plan est dangereux. L'Oracle est une sorte de super ordinateur qui a réponse à toutes les questions et a en mémoire l'intégralité de l'Histoire de notre monde ainsi que de celui des Undrental. S'il y a bien quelqu'un qui a des explications à me fournir, c'est lui ! Seulement pour y accéder, je dois me faufiler dans les Quartiers des hauts gradés, c'est à dire l'un des mieux gardés :
- Tu es complètement fou Adrian. Mais je vais venir avec toi. Je sais très bien que sans moi il ne t'arrive que des malheurs.
Je rigole, rassuré de savoir qu'il ne va pas essayer de m'en empêcher et surtout qu'il va m'accompagner, ça me rend confiant de l'avoir à mes côtés.
***
Le soir, nous mettons notre stratégie en place. Je me lève de mon lit, vêtu de Morpha et Jethro en fait de même. Notre colocataire dort et nous faisons le moins de bruit possible pour ne pas le réveiller.
Nous sortons discrètement dans les couloirs sombres et déserts. C'est assez étrange de les voir comme cela, eux qui sont toujours remplis de membres de l'armée se déplaçant d'un point A à un point B.
Nous traversons quelques couloirs avant d'arriver à l'escalier de secours. Nous ouvrons la porte en métal qui coulisse avec un léger grincement pour nous faufiler à l'intérieur.
Nous grimpons rapidement les marches pour arriver au dernier étage avant d'ouvrir lentement une autre porte en fer.
Nous nous retrouvons dans un long couloir semblable à tous les autres :
- Dans combien de temps passe la prochaine sentinelle ? demandé-je à Jethro.
- Dans trois minutes je crois, viens.
L'étage où résident les hauts gradés est le seul à avoir des sentinelles. Elles ne servent pas vraiment à grand-chose puisque personne ne serait assez bête pour vouloir renverser nos dirigeants vu que c'est grâce à eux que les Ombres ne sont pas arrivées à tous nous tuer. Mais je suppose que cela les tranquillise d'avoir quelqu'un pour veiller sur leur sécurité.
Nous longeons le couloir aux murs blancs. Des petites plaques avec les noms des occupants gravés dessus sont accrochées aux portes. Certaines sont exemptes d'intitulés mais sont gravées, comme « bibliothèque » ou « Bureau du secrétaire ».
Nous continuons à chercher l'Oracle. Je sais qu'il est à cet étage mais je n'ai jamais vraiment su où précisement.
Tout à coup, un bruit de pas se faire entendre. Il se rapproche de plus en plus :
- Mince ! La Sentinelle ! Vite par ici ! couiné-je.
J'attrape le bras de Jethro et le tire dans la pièce la plus proche de nous, il n'y a pas de plaque sur le battant, elle doit sûrement être vide.
Je referme aussi silencieusement que possible la porte et je me plaque contre le mur avec mon ami.
Les pas sont plus audibles, s'arrêtant pile au niveau de la porte pendant ce qui me semble une éternité. J'ai l'impression que mon cœur bat si fort que la Sentinelle peut l'entendre de l'autre côté du battant. Elle nous a entendus, c'est obligé !
Mais non, finalement les pas s'éloignent et tout redevient silencieux :
- On a eu chaud ! Un peu plus et on avait de gros problèmes ! Adrian il faut retourner dans notre chambre !
- Pas question ! Je veux savoir ce qu'il se passe. Si cela peut mettre en péril notre ville, alors c'est notre devoir de tout faire pour découvrir ce qui a changé, tu ne penses pas ? Nous sommes des Waas, nous avons juré de protéger la population !
Il se mord la lèvre, j'ai juste et Jethro le sait, même si ce que nous faisons est interdit, nous n'avons pas vraiment le choix si nous voulons respecter notre serment.
Il finit par rendre les armes et hocher la tête pour me montrer qu'il me suivra :
- Bien, maintenant il faut trouver l'Oracle, je sais que c'est un ordinateur mais où se situe-t-il ? Bonne question.
- Si tu veux mon avis Adrian, nous n'aurons pas à chercher plus longtemps.
Je le regarde interrogatif et il me montre le fond de la pièce. Il y a un bureau avec une chaise et... un ordinateur dessus ! Enfin pas vraiment dessus. L'écran est énorme, collé au mur et le clavier se trouve sur le petit bureau :
- Je crois que nous l'avons trouvé ! Monte la garde pendant que j'essaie de m'en servir, ordonné-je à mon ami.
Je m'avance vers l'Oracle avant de m'asseoir sur la chaise. C'est assez bizarre de voir de nouveau un ordinateur, il n'en reste plus beaucoup depuis la Grande Collision. De plus celui-ci a été amélioré par les Undrental.
J'allume la machine, aussi étonnant que cela puisse paraître, j'ai toujours été doué avec l'informatique. Ce n'est donc pas un petit ordinateur comme celui-ci qui va me faire peur !
Je me mets au travail, je dois avouer que réussir à m'introduire dans le système de l'Oracle n'est pas une mince affaire car il faut aussi craquer les codes, mais après une dure bataille j'arrive finalement à accéder à ses fichiers. Finalement, il n'y avait pas tant de protections en terme de sécurité, ce qui est plutôt surprenant pour quelque chose qui est sensé garder les secrets les plus importants du monde.
Je commence à parcourir ses contenus. Je ne sais pas trop ce que je cherche, je ne sais même pas où se trouve ce que je veux savoir.
Je continue mes recherches quand un dossier du nom de « Grande Collision » attire mon attention.
Je clique dessus et un sommaire apparaît à l'écran et le point qui me saute tout de suite aux yeux est « Origine de la Grande Collision ». Je l'ouvre et un texte s'affiche sur l'écran.
Je commence à lire et ce que je découvre au fur et à mesure de ma lecture me glace le sang. Personne n'a jamais su pourquoi ni comment la faille était apparue. Les Undrental n'ont pas voulu nous donner d'explication et maintenant que je lis ça, je comprends mieux leur choix.
Je suis tellement sous le choc par ce que je viens d'apprendre que quand mon ami me secoue, je sursaute avant de lever les yeux vers lui :
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Il y a du mouvement dans le couloir, des martellements qui viennent par ici, on ne devrait pas rester plus longtemps, viens ! me supplie-t-il.
Il m'attrape le bras pour me lever et j'ai juste le temps d'éteindre l'Oracle avant qu'il ne me traîne de force hors de la pièce.
En effet, il y a des bruits de pas qui viennent dans notre direction et nous nous mettons à courir pour ne pas nous faire prendre.
Nous parcourons le chemin en sens inverse à une vitesse vertigineuse.
Ce n'est qu'une fois dans mon lit, en boxer et sous la couette, que je me détends complètement. Nous avons réussi le tour de force de pénétrer dans la salle, de consulter l'oracle, de revenir fissa sans que personne ne nous voit et sans réveiller notre colocataire :
- Adrian, qu'est-ce que tu as pu déchiffrer dans l'Oracle ? Tu avais une tête bizarre.
Je me mords la lèvre, je ne sais pas si je devrais lui raconter ce que j'ai lu. Si cela nous mettait en danger ? Ou bien s'il ne me croyait pas ?
- Rien... C'était rien ne t'en fais pas, tenté-je de mentir lamentablement.
- Ne me prends pas pour un imbécile, je sais que tu me caches quelque chose. Tu peux tout me dire, je serais toujours de ton côté. La preuve, ce soir je t'ai aidé à faire un truc interdit.
Il a raison, c'est mon meilleur ami il me soutiendra toujours !
Je prends une grande inspiration avant de finir par ouvrir la bouche :
- Je suis tombé sur un dossier qui concernait la Grande Collision, son origine y était mentionnée. Ce sont les Undrental, ce sont eux qui ont permis l'ouverture du portail entre le monde des Ombres et le nôtre.
Il m'écoute silencieusement, choqué par ma révélation. Comme tous les autres, il a une confiance aveugle en eux et apprendre qu'ils sont responsables de ce qui est arrivé à l'Humanité doit sérieusement l'ébranler. Je le suis également, je savais qu'ils avaient quelque chose à cacher mais ça, c'est dur à avaler, même pour moi :
- Tu es sûr de ce que tu dis Adrian ? Tu te rends compte que si c'est la vérité, tout ce qu'ils nous ont raconté pourrait être des mensonges ?!
- Je suis au courant ! Je suis autant abasourdie que toi, mais je te jure que je ne me suis pas trompé, c'est bel et bien leur faute !
- Si ce que tu dis est vrai, pourquoi ont-ils fait une chose pareille ? Pourquoi nous avoir aidés après l'apparition de la faille ? C'est illogique ! Pourquoi ouvrir un portail qui signera notre arrêt de mort pour ensuite nous sauver ? Ça n'a pas de sens !
Je l'écoute sans rien dire. Moi non plus, je n'arrive pas à trouver une logique là-dedans et je soupire après un long moment de réflexion :
- Je n'en ai pas la moindre idée. Et nous ne pouvons pas poser la question à qui que ce soit, se serait avouer que nous avons fait une chose interdite. Et puis s'ils ont tout fait pour que cela ne se sache pas, ils ne répondront certainement pas à nos questions et feront sans doute en sorte de régler le problème que nous représentions, pour protéger leur secret.
- Alors quoi ? On reste sagement les bras croisés en attendant qu'ils essaient de mettre leur plan à l'œuvre et tous nous tuer ? lâché-je avec amertume.
- Je ne pense pas que ce soit leur but, sinon ils l'auraient fait depuis longtemps. Mais je ne trouve rien d'autre et pour le moment je ne sais vraiment pas quoi penser. Nous devrions dormir pour avoir l'esprit clair demain matin.
Je ferme les yeux sans attendre sa réponse et je m'endors assez rapidement, épuisé par cette énigme que j'essaie de résoudre. J'ai l'impression qu'il manque un élément, que je passe à côté de quelque chose d'important mais je n'arrive pas à savoir de quoi il s'agit.
Le lendemain, je me réveille à l'heure pour une fois, et tout seul en plus ! Sans l'aide de Jethro ! Celui-ci est d'ailleurs déjà debout, sans doute au réfectoire.
Je m'habille assez rapidement avant d'aller le rejoindre, mon plateau à la main. Il m'adresse un bref hochement de tête que je lui rends. Aucun de nous ne dit quoi que ce soit, nous sommes encore trop perturbés par ce que nous avons appris la veille et c'est tout à fait compréhensible.
Nous réfléchissons chacun dans notre coin à ce que nous avons découvert, aux possibilités qui s'offrent à nous maintenant. Quelle attitude adopter ? Tout dévoiler aux gens ? Garder sagement le secret et vivre avec, en ayant en permanence peur de ce que pourraient faire nos soi-disant alliés ? Allez poser des questions et prendre le risque d'être... éliminés ? Je ne pense pas que les Undrental nous tueraient pour nous faire taire, mais ne pas savoir ce qu'ils feraient dans le cas où nous serions trop curieux me tord les tripes.
Je mange sans grande conviction. J'ai l'impression que la purée forme une boule dans ma gorge et ne demande qu'à ressortir car mon estomac refuse d'avaler quoi que ce soit.
Annotations
Versions