SRPJ - Toulouse

Ange avait proposé de différer la réunion de synthèse de l’affaire « Mélodie » au début d’après-midi. Il avait souhaité y inviter Philippe pour y présenter les informations obtenues le matin à l’hôpital Purpan.

À quatorze heures, Samira et les autres policiers travaillant sur le dossier attendaient en salle de réunion lorsque Ange arriva accompagné du médecin.

— Bonjour, je vous présente le Docteur Philippe de Loubennes, qui est notre médecin-expert nommé par le Parquet sur cette affaire.

Après un rapide tour de table de présentation, la capitaine lança la réunion.

— Nous avons parlé avec Stéphanie Langlais, qui était une amie de Béatrice Moreau à l’époque des faits. Clem, peux-tu nous faire un résumé ?

— Avec plaisir, répondit la jeune femme. Pour faire simple, Stéphanie a confirmé ce que nous savions déjà, elle nous a permis d’affiner la chronologie. Nous savons également maintenant comment Béatrice Moreau est devenue Sœur Marie des Anges. Elle avait un sérieux problème psychique après son accident et elle se croyait sous l’emprise du démon, incarné dans ce Charles Van Den Brouck. Stéphanie Langlais l’a mise en contact avec un prêtre de la cathédrale. Elle n’a pas pu nous donner plus de détails sur ce point précis, mais quelques jours plus tard elle demandait à se rendre au couvent de Dourgne. Elle a intégré la communauté tout de suite après.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de démon ? demanda Olivier Lacaze. Elle a vu un exorciste ?

Philippe prit la parole.

— Béatrice Moreau, ou Mélodie, comme vous voudrez avait une santé mentale fragile. Comme vous le savez, elle avait déjà été internée après le suicide de son mari. Ce Cornélius l’a de toute évidence contraint à des relations sexuelles dégradantes et pour finir, elle s’est retrouvée enceinte de cet homme. Après l’accident, la perte de son amie très chère et l’avortement, sa raison a de nouveau été ébranlée. Il n’est pas étonnant qu’elle ait imaginé une combinaison diabolique. N’oubliez pas que la chapelle du château était le lieu de pratiques sexuelles sadomasochistes, ce qui peut sembler assez proche des messes noires ou autres cultes sataniques pour une femme qui a perdu tous ses repères. Il est certain qu’un bon psychanalyste aurait sûrement obtenu des résultats positifs, mais son amie n’a visiblement pas cru bon de l’aiguiller dans cette voie.

— Merci Docteur. Ibrahim, concernant Amélie Del Maso, qu’avons-nous ?

— Nous avons trouvé des photos d’elle, et nous sommes retournés voir le jardinier ce matin. Il l’a formellement reconnue comme la femme qui lui a remis le message et les cinquante euros. Elle a effectivement un petit air de ressemblance avec Audrey Tautou. Nous sommes passés à son adresse, à Aucamville, elle n’était pas chez elle, mais peut-être qu’elle travaille. C’est un appartement dans une résidence bien tenue. Nous avons pu parler à des voisins. C’est une habitante sans histoire. Pas de problèmes de voisinage, mais ils n’ont pas pu nous dire où elle est employée. Nous avons jeté un coup d’œil à la boite aux lettres, elle est vide.

— Bon, vous allez planquer en fin d’après-midi et si elle rentre du travail, vous nous l’amenez ici.

— Pas de problème, j’y retourne avec Claude.

— Merci, vous y allez en douceur si possible ! Docteur, j’aurais pu vous laisser enchaîner tout à l’heure, qu’avez-vous à nous dire sur Van Den Brouck ?

— Je crois que ça va vous intéresser, reprit Philippe. Charles Van Den Brouck a été amené à Purpan dans un état critique, transfert par l’hélico du SAMU. Il était très amoché, fractures multiples des membres inférieurs et du bassin, enfoncement de la cage thoracique et trauma crânien. Il était inconscient à l’arrivé aux Urgences. Il est resté à l’hôpital pendant plusieurs semaines. Il a été opéré cinq fois durant cette période. Il a du ensuite séjourner encore plusieurs mois dans un centre de rééducation. À l’issue de cette période, il ne s’est pas présenté à un rendez-vous de contrôle. Ce sont des choses qui arrivent, les rendez-vous sont donnés plusieurs mois à l’avance, et parfois les patients oublient la date. Il lui a donc été envoyé une nouvelle convocation, sans réponse. Le service a essayé de le contacter par téléphone, mais le numéro n’était plus attribué. L’hôpital a cessé de chercher. Quelques mois plus tard, le service d’orthopédie de Purpan a reçu une demande de copie du dossier médical émanant d’une clinique de Buenos Ayres. Ils ont transféré les données par mail et n’ont plus eu de nouvelles ensuite. Cela se passait à l’automne 2012.

— Intéressant, en effet, remarqua Ange. Van Den Brouck s’est donc barré à l’étranger après l’accident, dès qu’il a été suffisamment remis et il a repris son suivi médical là-bas, en Argentine. Il a liquidé ses affaires en France pour pouvoir se refaire une virginité en Amérique du Sud. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi il a conservé le château de la Montagne Noire, sauf s’il avait gardé au fond de lui-même un besoin de vengeance à l’encontre de la femme cause de sa déchéance physique.

— Chez des individus au profil tel que celui de Van Den Brouck, toute opposition appelle une réaction radicale. L’obstacle doit être détruit, l’opposant brisé, commenta le médecin.

— Si Van Den Brouck a vécu à l’étranger jusqu’à ces derniers temps, on doit trouver des traces dans les fichiers consulaires et à la PAF(*), sauf s’il est revenu en Europe via l’Espagne. Sam, peux-tu vérifier de ce côté-là ? Il est possible qu’il ait pris une nouvelle identité en Argentine, mais ce n’est pas si simple, il faut avoir des réseaux et sa fuite me semble un peu improvisée. Contacte le Quai d’Orsay pour savoir s’il a été enregistré dans un consulat en Argentine. Il a peut-être eu besoin de renouveler un passeport. Fait également une recherche auprès des compagnies aériennes et des autorités aéroportuaires.

— Ce sera fait, confirma la capitaine. Clem, tu peux t’en occuper ?

— Parfait, dans ce cas, on refait un point demain en fin de matinée et si vous trouvez cette Amélie, vous me prévenez tout de suite, bien entendu.

(*) PAF : Police de l'Air et des Frontières, chargée des contrôles d'immigration dans les aéroports