Troisième

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 Une interruption dans sa musique laissant place à une sonnerie avertit Olovaï qu'elle avait de la visite. Elle coupa aussitôt le son et s'approcha à pas de loup de l'entrée. Le judas montrait une créature humanoïde à la peau pâle maculée de cercles bleutés et affublée de tubes spiralés latéraux prolongeant son nez. Olovaï lâcha aussitôt la crosse de son arme saisie par réflexe et déverrouilla la porte avec un immence sourire.

  • Raya !

 Les deux nevorgiennes se tombèrent dans les bras.

  • Alors ma belle, tu ne t'es pas trop ennuyée sans moi ?
  • Bien sûr que si, répondit Olovaï ironiquement. La vie sur Nevorg est d'un ennui mortel. Mais comme tu vois, je suis toujours en vie.
  • Phrjhui, lâcha Raya.

 C'était une expression valaroise qui signifiait approximativement "cool".

 Les deux jeunes femmes s'installèrent sur le canapé. La dealeuse servit un alcool léger violet à son invitée.

  • Alors, ce marché si important ? s'enquit-elle après avoir englouti la moitié de son verre, ça s'est bien passé ?

 Raya haussa les épaules.

  • Très bien. Le type ne me connaissait pas, il a voulu me mettre des bâtons dans les roues. Je crois qu'il espérait m'impressionner.

 Olovaï pouffa.

  • Bref, il a suffi que je roule un peu des épaules et l'affaire était dans le sac. J'en ai eu le prix que je voulais. Je pourrais d'ailleurs vendre les mêmes à la concurrence.

 Raya exerçait sur Nevorg la noble profession de marchande d'armes. Elle avait fourni à Olovaï son cher Carbon-V par des voies détournées, cette arme n'existant plus dans le commerce courant, même illégal. Elle-même portait un Lithium 0k, un petit joyau de la production hubynane. Elle revenait d'un voyage de négociation avec une mafia implantée sur Valare-01.

  • Tu t'habitues à ta nouvelle tête ? jeta la pilote du Iron Beetle en se resservant.
  • Ces tubes respiratoires sont un peu déstabilisants, avoua Raya, mais j'adore ma peau.

 Une peau presque blanche à cercles bleus avait remplacé son teint café depuis environ deux semaines, en même temps que deux longs canaux en forme de cornes de bélier s'étaient développés sous la peau de ses joues, dans le prolongement des ses narines. Raya avait fait le choix des greffes et de la thérapie génique pour s'adapter au mieux à l'atmosphère polluée de Nevorg. Les cercles devaient capter la lumière et se servir de cette énergie pour détoxifier les polluants présents dans l'air. Olovaï ne se sentait pas pressée de sauter le pas. Elle préférait encore utiliser un filtre pour sa maison et son casque et tousser à l'extérieur.

  • Tu es magnifique.

 C'était la vérité. Ses longs cheveux noir d'encre n'avaient eux, pas changé et apportaient un contraste saisissant avec les taches bleutées. Pour coller au camaïeu, la marchande d'armes s'était peint les ongles en bleu outremer et ses yeux noisettes-au-miel, comme aimait le dire Olovaï, ressortaient encore davantage dans son visage pointu.

  • Et toi, Oly ? Quelles nouvelles ?
  • Pas grand-chose. Je joue au chat et à la souris avec mes supérieurs.
  • Tu sais quoi ? fit soudain Raya en reposant son verre vide. Je crois que tu broies du noir, Olovaï. Tu as besoin de te changer les idées. Tu m'accompagnerais à la Nevorgie ce soir, pour fêter mon retour ?
  • Pas ce soir. Il faut que je réfléchisse. Je pourrais me faire virer sur ce coup-là, Raya.
  • Hernel va demander après toi, glissa Raya avec un regard qui ne laissait aucune équivoque.
  • Tu n'as qu'à lui proposer une place dans ton lit, plaisanta Olovaï, je suis sûre qu'il gagnera au change !

 La mutante se pourlécha les lèvres, une lueur gourmande dans les yeux.

  • Compte sur moi !

 Olovaï termina son verre sans conviction. Tant pis pour Hernel. Il lui fallait une solution avant tout. Et Raya, malgré tout le respect qu'elle lui inspirait parmi la pègre interplanétaire, ne pourrait sans doute pas l'aider. Elle ne bossait pas pour les mêmes patrons.

  • Et comment va le Iron Beetle ?
  • Une aile tordue lors de la dernière mission, mais ma mécanicienne a réparé ça. Il m'a encore bien sauvé la vie. J'aime tellement ce vaisseau.
  • Je sais, c'est le seul de qui je peux te demander des nouvelles ! Je ne trouve aucun être humain pour lequel tu saurais répondre à cette question.
  • Tu exagères. Dorden et Lanya sont un excellent équipage.
  • Cela veut-il dire qu'il vont bien ?

 Olovaï se tut brusquement. Effectivement, elle avait beau chercher, elle ignorait complètement comment se portaient ses camarades.

  • Ce serait bon que tu te préoccupes plus du bien-être de ton équipe, Oly.
  • Je doute que cela m'aide face à mes supérieurs.
  • Bien sûr que si. Ils peuvent te soutenir. Vous êtes une équipe, oui ou non ?

 La dealeuse y réfléchit un instant. Ils ne formaient pas vraiment une équipe. Un équipage de vaisseau, oui, mais rien de plus. Vraiment rien.

  • Bon, très bien...

 Du geste, Raya l'invita à poursuivre. Devant le silence d'Olovaï, elle insista.

  • D'accord, tu as gagné, sourit la jeune femme. Tu as encore raison. Je ferai attention.
  • Il faut que je te récompenses, plaisanta la mutante. J'ai ça pour toi.

 Elle lui tendit un sachet en tissu contenant visiblement quelque chose d'allongé. Olovaï l'ouvrit.

  • Qu'est-ce que c'est ?
  • Pour ton Carbon-V. J'ai réussi à trouver une recharge.
  • Oh, merci ! s'exclama la pilote en se jetant au cou de son amie.

 Sans cette recharge d'énergie, son arme aurait cessé de fonctionner d'ici quelques mois. Maintenant, il tiendrait cinq ans de plus.

  • Je te trouverai un cadeau pour te remercier.
  • Allons, allons, tu m'as déjà offert Hernel, plaisanta Raya en clignant de l'oeil. Je vais me faire une joie de lui faire oublier sa petit Oly.
  • Bonne chance, rétorqua la dealeuse. Je ne suis pas si facilement oubliable, tout de même !
  • Je ne peux pas le savoir, moi !

 Le rire suivit, mais fut interrompu par des bruits de tir. Les deux femmes se turent instantanément et portèrent la main à leurs armes respectives. Un regard leur suffit pour s'entendre sur la stratégie à adopter. La dealeuse clipsa son netcom à son bras et elles filèrent vers la sortie de secours d'Olovaï. Tout citoyen sensé de Nevorg possédait une sortie de secours.

 La dealeuse ouvrit une trappe dans le sol de sa cuisine. Des barreaux d'échelle se dévoilèrent. Elle tourna un commutateur et un filament bleuté courant tout le long des barreaux s'illumina. La jeune femme s'engagea aussitôt à l'intérieur. La mutante, après un bref regard en arrière, la suivit. Olovaï était arrivée en bas de l'échelle. Un petit boyau se prolongeait, lui aussi garni de sa veinule d'éclairage bleue, où il fallait se plier en deux pour avancer. Des infiltrations d'eau polluée traversaient les murs de terre. Le pilote du Loki pressa le pas et obliqua dans une autre ouverture de galerie à sa gauche. Le silence interrompu seulement par les gouttes d'eau tombant rythmiquement de la voûte pesait plus encore que la fusillade au-dessus. Elle finit par atteindre une autre échelle et un puits vers le haut. Elle rangea son arme à son côté, intima la discrétion d'un signe à Raya et grimpa.

 Une trappe ronde métallique lui barra le passage. Olovaï arc-bouta ses bras vers le haut et jeta un regard rapide par la fente. Visiblement RAS. Elle repoussa plus haut le panneau et s'extirpa du sol.

  • Tu peux venir.

 Elles se trouvaient à l'extérieur du terrain d'Olovaï. Le tunnel débouchait dans une extrémité de ruelle à l'abandon. Les tirs fusaient au loin et au-dessus de leurs têtes, sur les toits. Olovaï épaula son Carbon-V.

  • Tu crois qu'ils te cherchent ?

 La dealeuse haussa les épaules.

  • Ils ne sont pas là pour moi. Ils savent que c'est le quartier de mon gang, voilà tout. Ils ont dû attaquer un collègue.
  • Tu veux qu'on y aille ? proposa Raya en chargeant son Lithium 0k.

 Olovaï réfléchit sérieusement à la question. Redorer sa place au sein de l'organisation devenait crucial, mais elle ignorait tout de la situation. Elles n'étaient que deux, sans casque ni équipement secondaire.

  • On va jeter un oeil.

 Son amie mutante hocha la tête et baissa sur ses yeux des lunettes nocturnes perdues dans sa chevelure. Le pilote se plaqua contre l'angle du mur de leur refuge.

  • C'est chez Lutzig, chuchota-t-elle. A l'autre bout de la place.

 On voyait les éclats lumineux de chaque détonation. Un signe de tête suffit aux deux combattantes pour se mettre d'accord ; elles quittèrent leur abri arme au poing pour traverser la place pavée sous les pâles éclairages publics nichés dans des arbres maladifs.

 Olovaï pianota sur son netcom.

  • Lutzig ? Tu me reçois ?
  • Thervus ! Merci, par toutes les planètes ! Ce sont les Requiems, ils sont nombreux et je suis sous feu nourri !

 Olovaï grimaça. Les Requiems faisaient partie de la concurrence de leur gang, à elle et Lutzig.

  • Tu es seul ?
  • Non, il y a deux civiles avec moi ! On est repliés dans le garage.
  • On est deux, on va essayer de les prendre à revers. Où sont-il ?
  • Pas la peine, ils sont déjà entrés ! Ils tirent sur la porte ! Il faut que vous m'aidiez à évacuer les filles !

 Raya rampa jusqu'à elle.

  • Les Requiems achètent toujours des Mercury-9T. La porte ne tiendra pas longtemps.
  • On va contourner. Tiens bon, Lutzig ! On arrive !

 Elle coupa le netcom sans attendre et chercha du regard une autre entrée. Il allait falloir passer par l'étage, puisque les tireurs couvraient l'entrée du garage et la porte principale, situés sur la même façade. Raya indiqua du menton un des arbres-lampadaires.

  • Tu saurais grimper par là ?
  • Ouaip. Tu me couvres ?
  • Vendu.

 Le pilote du Iron Beetle rangea son arme dans son holster et fit craquer ses phalanges. Son amie se laissa tomber, un genou à terre, canon levé. Une fois hissée dans les branches avec une certaine aisance, Olovaï esquiva l'ampoule bleuâtre et essaya de stabiliser ses deux pieds pour pouvoir agripper le rebord du balcon. En faisant jouer ses muscles et en donnant une impulsion des jambes, elle parvint à hisser un de ses pieds à la bonne hauteur. Elle serra les dents en essayant de pousser son poids vers le haut, assez haut pour atteindre la rambarde.

Trop lourde, se morigéna-t-elle. Demain, je retourne à la salle de muscu.

 Un effort supplémentaire la fit basculer. Elle roula sur le sol du balcon et se releva aussitôt. Personne ne l'avait repérée, semblait-il. Elle cogna sur la porte-fenêtre avec son arme et le verre explosa obligeamment. Olovaï se retourna et adressa un signe à Raya.

  • Phrjhui, chuchota cette dernière en rangeant son arme.

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