Chapitre 5
Novembre 1503
Elle espérait avoir pensé à tout, ne pas avoir fait d’oubli. L’enjeux était de taille. Un seul faux pas et vous pouviez être relégué au rang d’infréquentable. Le feu de la cheminée réchauffait l’atmosphère humide de ce mois de novembre. Les chandeliers avaient été portés au milieu de la table pour plus de visibilité.
Lisa trônait au bout de la grande tablée. Sa plus belle nappe ornait la table tout comme ses plus beaux couverts. Elle aussi s’était parée de ses plus beaux atouts. Sa robe rouge relevait son teint de brune. Ses cheveux était relevé en un chignon parsemé de pierres. Ses pendants d’oreilles chatouillaient son cou délicat. Elle brillait, plus étincelante que le cristal de ses verres. Elle regardait les convives s’abreuver du vin qu’elle avait commandé pour l’occasion. Anna s’assurait avec un professionnalisme méticuleux que tous les convives soient toujours approvisionnés. Le brouhaha de la tablée démontrait la réussite du repas. Les époux avaient eu l’audace de s’assurer la présence de musiciens. L’après repas fut donc dansant pour le bonheur des invités. Lisa ne s’était pas amusée ainsi depuis longtemps. D’ailleurs elle ne se souvenait pas s’être jamais amusée de la sorte. Son visage était rayonnant.
Lisa s’approcha de Francesco qui était en compagnie d’un homme d’une cinquantaine d’année, cheveux longs grisonnants, à la mode florentine. Il avait le teint halé par le soleil, une longue barbe grisonnante lui mangeait le visage. Ses rides du front creusaient de larges sillons montrant qu’il était homme à réfléchir sans cesse. Son habit était simple, élégant, noir. Une aura de puissance se dégageait du personnage. Il riva son regard sur son visage. Un regard appréciateur. Il la dévisageait avec un œil expert, intense. C’était assez malséant de se faire dévisager de la sorte. Son mari observait la scène avec contentement. Si elle avait mieux regardé ses doigts, elle aurait deviné son métier. Du bleu, du rouge en tachait les extrémités. Son habit noir était également taché çà et là d’autres teintes.
« Leonard, voici ma femme Lisa.
- Il faut que je peigne le visage de votre femme Francesco. Une telle beauté doit être immortalisé »
L’homme, Léonard, était peintre. Son attitude trouvait tout son sens. Il était un homme aguerrit à l’art de l’observation. Lisa se rappelait son nom. Il était l’un des meilleurs. Était-il sincère ou usait-il seulement d’artifice mercantile quand il disait vouloir peindre son visage ? Elle n’aurait su le dire. Dans son affabilité, l’homme restait mystérieux comme l’était sa légende.
Son mari sembla réfléchir un court instant.
« Voilà une idée qui me plaît. Et puis de nos jours, tout le monde à son portrait. »
Le tout le monde était un peu fort. Seulement les plus riches. Lisa se demanda si la dépense était bien nécessaire mais ne partagea pas son opinion qui put paraître grossière.
Ses joues rosirent même de plaisir. Ce serait pour elle, un grand honneur d’avoir un portrait bien à elle. Comme une grande dame. Elle savait qu’elle n’en était pas une mais avec son visage immortalisé sur une toile, elle serait comme elles. Voir son portrait sur l’un des murs de sa maison était un caprice qu’elle n’avait pas osé réclamer. Francesco conclut l’affaire en homme décidé qu’il était. Il acquiesça et s’interrogea sur les détails pratiques. Lisa se faisant bonne élève, écouta les directives. Tous les jeudis, elle se rendrait à son atelier pour poser pour le portrait. Il lui expliqua qu’il avait l’habitude de travailler avec des musiciens pour éviter l’ennui à ses modèles. Elle trouva l’idée aussi étrange que rassurante. Elle détestait l’ennui. En tout cas, elle était convaincue que le génie de cet homme lui rendrait justice. Il fit une longue tirade sur ces techniques auxquelles elle n’entendait rien. Alors qu’elle restait debout à quelques pas de la table, Leonard se leva d’un pas lent, tourna autour d’elle, contemplant son futur modèle. S’intéressant déjà aux courbes et aux ombres. Elle le regarda faire sans ciller, le visage froid. Celui qu’elle prenait quand elle était mal à l’aise. Elle n’osait pas proférer la moindre remarque. Elle laissait l’artiste s’évader au-delà du temps pour entrevoir le résultat de son futur tableau. Déjà, elle pensait au choix de sa robe, celle qu’elle porterait pour ses séances.
Cette nouvelle la mettait d’une humeur plus joyeuse que d’habitude. Une envie de danser lui échauffait les pieds depuis qu’elle avait rencontré l’artiste. Le peintre Léonard lui-même peindrait son portrait. Comment ne pouvait-elle pas être joyeuse ? Francesco voyait bien se dessiner sur le visage de sa femme un sourire à pleine dents. Il ne l’avait vu que très peu de fois ce sourire. Il était heureux de la voir dans cette énergie.
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