Chapitre 13
1505
Meurtrie, elle était pourtant bien obligée de se rendre chez Léonard. Il fallait finir ce tableau et ne plus jamais les revoir. Le son de ses pas qui résonnait sur les pavés, suivait le rythme de son cœur qui battait plus fort à chaque mètre qui la rapprochait de l’atelier. L’engouement des autres fois expirait, remplacé par l’angoissante tristesse de le voir continuer à déambuler dans la vie sans ne plus penser à elle. Son romantisme la dirigeait à sa perte. C’est ce dont sa propre mère l’avait alerté toute son enfance.
A douze ans, elle était tombée amoureuse de Massimo. Il avait quinze ans et la beauté brute des statues des dieux grecs. Tout en muscle harmonieux. Il travaillait la terre dans les vignes de son père. En dessous de sa condition, maugréait sa mère. Elle n’en réalisait pas la portée à l’époque. Il l’embrassa une première fois derrière un tonneau à l’abri des regards. Un baiser furtif juste pour lui rappeler qu’il existait, qu’elle lui plaisait. Ce simple geste la bouleversa. Son imagination mit ses rouages en marche et elle se laissa emporter. Elle lui écrivit une lettre. Elle n'envisaga pas qu’il ne savait pas lire. Elle lui déclama son amour, lui déposa ses rêves de nouveaux baisers. La lettre tomba dans les mains de sa mère. Elle ne comprit pas comment. Massimo fut chassé. Son désarroi égalait les coups de boyau dans son dos. Par sa faute le garçon avait tout perdu. Elle avait dû faire pénitence. Elle jeûna quatre jours et s’abîma dans la prière en récitant le miserere de David cinq fois par jour. Malgré cela, elle ne comprit pas un tel acharnement contre ce qui lui semblait n’être qu’un acte insignifiant.
Aujourd’hui encore, elle gardait cette âme romantique. Elle peinait à voir le mal. Elle ne l’avait pas vu avec Salai. Elle était si sûre de son amour. Mais peut-être que tout cela n’était que de la concupiscence. Sans doute était-elle depuis toujours la pire des pêcheresses ?
Elle passa la séance silencieuse, mettant une distance froide entre Salai et elle, entre l’artiste et elle. Les deux hommes se jetaient des œillades, complices. Elle était gênée, Léonard était au courant de leur relation coupable. Avant de partir, Léonard lui fit savoir que deux séances lui serait encore nécessaire. Elle en ressenti un certain soulagement. Sa douleur était trop dure à contenir. Elle savait qu’elle perdurerait tant qu’elle le verrait.
A mi-chemin du retour, elle s’aperçut qu’elle avait oublié son châle à l’atelier. Elle fit donc demi-tour. Elle frappa à la porte mais personne ne vint. Elle frappa de nouveau, attendit, sans que rien ne se passe. Elle prit l’initiative de pousser le battant de chêne et d’entrer. L'endroit semblait vide. Son châle était toujours là posé sur le bras du fauteuil. Elle voulut le récupérer lorsqu’elle entendit un bruit qui venait de la salle qui servait de chambre. Elle avança à pas feutrés, guidée par sa curiosité de femme. Elle écarta lentement le rideau vert qui séparait les deux pièces. Juste de quoi pouvoir voir. Elle arrêta de respirer. Atterrée par la vue des deux hommes qui s’embrassaient, se caressaient. Les larmes lui montèrent aux yeux. Flouée, elle avait été flouée. Cet homme était un démon. Le surnom qui lui avait été donné, ne l’avait pas été pour rien. Elle laissa retomber le rideau, sans même récupérer le châle qu’elle était venue chercher, s’en alla.
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