Juin 1505

Les enfants attendaient avec impatience de participer aux fêtes de la St-Jean. Trois jours de festivités où la ville s’arrêtait. Où seules les démonstrations prévalaient.

Bartolomeo appréciait particulièrement le calcio. Il attendait la finale, tout comme le palio qui clôturait les célébrations de la St-Jean. Lisa préférait quant à elle, le banquet et le bal qui suivait. En tout cas, la St-Jean était un véritable événement attendu par tous. Les citoyens de la ville revêtaient leurs plus beaux atours. Les notables se mélangeaient au peuple. La fête réunissait les classes. Des gens venaient de loin pour assister aux évènements. Les lions, fiertés de Florence, s'exhibaient à la vue de tous. Les rues aussi s’habillaient de couleurs. Les places pavoisaient, s’ornaient de chapiteaux, d’étales où les rouges, les bleus et les verts dans de multiples teintes, cohabitaient. L’exposition artisanale était l’occasion de trouver des objets utiles au quotidien, d’offrir un présent.

Le défilé des chars accordait un moment de purs régals aux grands et aux petits.

Le 24 juin, toute la famille était présente dans les gradins pour regarder la finale du calcio. Cette année, les Bianchi affrontaient les Azzuri. Une déception pour Bartolomeo qui soutenait les Rossi. Les joueurs entrèrent sur le terrain, torse-nu, revêtus de leurs pantalons aux couleurs de leur équipe. L’arbitre le ballon à la main maintenait avec difficulté les calcientis dans leur camp. Lisa, Andrea et Camilla sur les genoux, éprouvait un certain malaise face à l’engouement que ce sport suscitait. Les deux goupes s'opposaient avec violence. Les coups de poing, de pied pleuvaient. Les bianchi menaient au score et la foule s’échauffait. Un azzuri venait de s’effondrer et ne se relevait pas. Ses coéquipiers tentaient de le sortir du terrain. La chevelure blonde du joueur fit se lever Lisa. Elle tira le cou pour mieux voir, elle était un peu loin. Est-ce qu’elle le voyait de partout ? Son obsession l’inquiétait. Elle savait qu’elle devait d’attendre la fin du match avant de lever son doute.

Contre toute attente, les azzuri remontèrent au score et gagnèrent la partie. La foule était en délire, criait, tapait des mains, des pieds pour acclamer les valeureux vainqueurs. Sortir des gradins fut une expédition. Les corps se serraient et piétinaient pour rejoindre les escaliers. Enfin sortie, Lisa se dirigea vers le camp des azzuri pour calmer son doute pendant que Francesco discutait avec l’arbitre. Dans la tente, l’homme qui s’était écroulé sur le terrain était assis entouré de personne qui épongeait son front de linges humides. Décidément, son obsession était totale. Non, ce n’était pas Salai.

Piero, son premier fils, et Bartolomeo avançaient en éclaireurs, alors que Lisa tenait Andréa et Marietta par les mains, Camilla accrochée à ses jupes. Elle les aperçut au loin, Leonard et Salai. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine. Elle était partagée entre l’horreur de ce qu’elle avait entrevu et la fascination qu’elle avait pour l’ange blond. Les deux hommes s’approchèrent alors même que Francesco la rejoignait. Ils se saluèrent tous, Lisa les yeux baissés, n’osant pas regarder Salai, de peur que ses émotions ne soient trop vives sur son visage. Leonard et Francesco se donnèrent rendez-vous pour le lundi suivant afin de régler la question du tableau. Léonard semblait pressé de recevoir son dû. Lisa ne se retourna pas pour dire au revoir et continua de marcher droit devant, s’accrochant aux mains de ses enfants pour ne pas tituber, saoule du bouillonnement de son sang échauffé par la détresse de se retrouver entre son mari et son amant.

Le bal qui clôturait les fêtes battait son plein. La foule était dense. La musique retentissait et les danseurs suivaient les notes de musique avec harmonie. Lisa s’y attendait, mais cela n’empêcha pas son cœur de bondir dans sa poitrine. Elle le vit, plus blond que tous les hommes. Il bougeait au rythme d’un Saltarello entraînant. Sa partenaire, avec son roux caractéristique, elle la reconnue de suite. Albina. Encore une fois, les affres de la jalousie parcouraient ses veines et échauffaient son sang. Léonard assis non loin d’eux, les repéra et s’approcha.

« Francesco.
- Léonard. Quel plaisir ! Venez-vous asseoir ici.
L’artiste ne se fit pas prier.
- Ma dona. Dit-il dans un signe de tête.
- Alors Léonard, j'ai cru comprendre que vous étiez sur un nouveau projet ?
- Oui une fresque commémorative de la bataille d'Anghiari pour le palazzo. D'ailleurs, votre paiement serait le bienvenu Francesco. La fresque demande un certain investissement et...
- Rassurez-vous Léonard. Une fois que j’aurais vu la toile, je vous ferais le paiement. »

Les deux hommes continuèrent à discuter alors que Lisa rivait toujours son regard vers le couple de danseurs. Elle se leva, décidant ainsi de s’approcher de la foule qui suivait le rythme des luths. Elle fit signe à Albina et dès que les dernières notes sonnèrent, elle se dirigea au pas de charge vers les deux danseurs qui retenait toute son attention. Elle se planta devant Albina, demandant à lui parler. Elle mit toute son énergie à ne pas lever les yeux vers un Salai qui lui ne cessait de la dévisager.

Une fois en retrait de la foule, Lisa invectiva Albina :

"Que fais-tu avec lui ?
- Nous dansions.
- J’ai bien vu, mais là n’est pas la question.
Lisa savait que son ton sonnait trop acerbe. Elle n’arrivait pas à se contrôler. De toute façon, dès qu’il s’agissait de Salai, elle perdait la raison. Albina la regarda presque choquée. Ce qui ne lui ressemblait pas.
- Tu ne sous-entends quand même pas que…
Albina ne termina pas sa phrase, trop sidérée par le sous-entendu de Lisa.
- Je croyais qu’il ne s’était rien passé d’autre qu’un baiser entre vous ?
Lisa se figea, mal à l’aise. Elle détourna son regard, incapable de soutenir celui d’Albina.
- Je vois, tu ne m’as pas tout dis.
Son amie sourire en coin, bras croisés sur sa poitrine attendait sa réponse. Lassée d’attendre, elle secoua la tête avant de se retourner en lâchant :
- Difficile de ne pas te comprendre, c’est un homme bien plaisant."

Lisa la regarda s’éloigner. Oui, il était plaisant. Trop. Pourtant, elle doutait maintenant de ses vrais sentiments. N’était-il pas qu’un talentueux manipulateur ?

La fin des fêtes de la St-Jean se déroula sans qu’elle ne rencontre plus l’objet de ses tourments.