Foulure

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Nos pas résonnent sur les pavés des rues, mêlés aux sons des sabots de nos chevaux et à ceux des roues des charrettes. Nous nous dirigeons vers l'imposante bâtisse en pierre fortifiée qui nous sert de quartier général. La foule de civils qui bordent chaque côté de notre route n'est guère accueillante. Nous avons droit aux regards méprisants des uns et aux visages déçus des autres. Des commentaires fusent de toutes parts :

- Regarde ! Ils sont partis des centaines, mais plus de la moitié n'est pas revenue !

- Et parmi le peu qui rentre, la plupart sont dans un sale état !

- Vu leurs têtes dépitées, j'imagine que cette expédition n'a encore servi à rien !

- C'est une perte de temps et de moyens de financer ces expéditions ! En plus, c'est dangereux !

- Vivement que le gouvernement nous débarrassent de ces bons à rien !

Je n'écoute plus. À quoi bon ? Je connais ces discours par coeur ! Cela fait des années que je les entends encore et encore ! D'aussi loin que je me souvienne, le bataillon d'exploration n'a jamais été apprécié, bien au contraire . . .

Seuls deux enfants, au milieu de tous ces gens, nous contemplent les yeux brillants, pleins d'admiration. S'ils savaient ce que nous avons risqué, le nombre de camarades que nous avons perdu, parmi lesquels les membres de l'escouade Livaï !

Erd, Gunther, Auruo et Petra se sont sacrifiés pour nous protéger, Eren et moi. Je leur en serai éternellement reconnaissante !

Je remarque aussi que le caporal-chef Livaï est particulièrement affecté par leur disparition ! L'expression de son visage est sombre depuis qu'il a découvert leurs cadavres. C'est compréhensible. Il a lui-même choisi ces soldats d'élites qui lui sont restés fidèles et loyaux jusqu'au bout !

En parlant du caporal-chef Livaï, il vient de finir de placer son cheval à la robe sombre dans son boxe et quitte les écuries. Sa démarche est légérement différente d'autrefois : il boite. Il s'est blessé quelques heures plus tôt, lorsque nous tentions de sauver mon jeune frère Eren du titan féminin.

Le militaire l'avait presque vaincue, elle était à sa merci. C'est alors que Mikasa, remarquant que la nuque de l'imposante créature était à découvert, s'est précipitée vers elle pour l'achever ! Seulement, le titan féminin l'a remarquée, sa main s'est levée pour écraser l'assaillante !

Je me suis alors jetée sur ma soeur adoptive, l'enveloppant par derrière de mes bras, faisant de mon corps un bouclier humain ! Seulement, je savais pertinemment qu'avec sa force, le titan allait nous réduire toutes deux en bouillie, nous étions perdues !

C'est alors que Livaï est intervenu ! Il a bloqué la main de l'ennemie en s'en servant comme point d'appui, mais il a marché entre une jointure, et c'est alors que sa cheville s'est foulée !

Je me sens coupable ! J'aurai dû être capable de sauver mes compagnons ! Au lieu de cela, c'est moi qui me suis faite sauvée, au prix de la vie et santé physique de nombre de mes camarades ! Je n'en peux plus d'être inutile !

Je me précipite donc vers mon supérieur et le rejoins dans la cour du quartier général. Je l'interpelle au passage :

- Caporal-chef Livaï !

- Éléonore ? Qu'y a-t-il ?

- Je vous présente mes plus sincères excuses . . . Si j'avais su me montrer à la hauteur, rien de tout cela ne serait arrivé . . .

- Il est inutile de s'excuser lorsque l'on n'a commis aucune faute.

- J'ai fait bien plus d'erreurs que vous ne le pensez . . .

- Je ne suis pas un confesseur. Pourquoi est-ce que tu m'en parles ?

- C'est pour nous protéger que vous avez perdu votre merveilleuse escouade et que vous vous êtes blessé à la jambe !

- Tiens. Tu l'as remarqué . . .

- Oui. C'est pourquoi je tiens à vous soigner en personne. Mon père était médecin, il m'a beaucoup appris. Vous serez bientôt complètement rétabli !

- Ce n'est pas la peine . . .

D'un point de vue hiérarchique, je ne devrai pas lui parler de cette façon, mais je sais qu'il s'agit d'un homme au caractère fort, parfois même têtu, et on ne peut apprivoiser ou faire entendre raison à ce genre de personnes qu'en faisant preuve de fermeté. Mon expérience avec mon jeune frère Eren me l'a bien appris. Je rétorque donc aussitôt :

- Je ne vous ai pas demandé votre avis ou votre permission. C'est une déclaration, pas une proposition.

À ces mots, je passe une main derrière son dos pour l'entrainer avec moi.

Nous pénétrons dans la grande bâtisse en pierre et nous dirigeons vers une petite pièce à l'écart pour pouvoir le soigner tranquillement, loin des bruits et de l'agitation du reste des troupes.

Je tourne la poignée pour ouvrir la porte et lui dit :

- Installez-vous sur le canapé, je reviens tout de suite.

Il s'y assoit sans broncher. Cependant, depuis un mois que nous nous connaissons, j'ai appris à le cerner et je vois bien que la situation ne l'enchante guère. C'est un homme qui n'hésite jamais à voler au secours des autres, mais qui n'aime pas du tout recevoir l'aide d'autrui. Au fond, on se ressemble plus qu'il n'y parait, tous les deux.

Je me dirige tout d'abord vers le puits qui permet de conserver la neige de l'hiver passé, très utile à diverses tâches. Ensuite, je me procure de l'argile verte et des bandages.

Après plusieurs minutes, je reviens enfin vers Livaï ! J'entre dans la pièce où je l'ai laissé, un panier chargé de mes commissions au bras. Je dépose ce dernier sur le sol et m'agenouille devant mon supérieur.

Je lui ôte sa botte gauche, délace les courroies de son équipement tridimensionnel jusqu'au niveau du genou et relève son pantalon blanc de façon à découvrir la cheville. Je remarque aussitôt :

- Vous avez une belle enflûre !

Je m'empare de la neige, que j'ai préalablement placée dans un tissu et enroule sa cheville de ce dernier. Il me demande :

- C'est froid, qu'est-ce que c'est ?

- De la neige. Le froid permet de désenfler la zone concernée.

- Je vois.

Après quelques minutes, la neige ayant fondu, je pose le tissu humide de côté. En mettant à nouveau ma main dans le panier, j'y récupère un pot, que j'ouvre en déclarant :

- À présent, je vais vous appliquer un cataplasme d'argile verte.

- À quoi ça sert ?

- Cette substance est à la fois un anti-inflammatoire, un cicatrisant et un adoucissant. Il vous sera très utile ! Bien évidemment, il faudra penser à le changer régulièrement. Je me charge de tout, vous n'avez aucun souci à vous faire.

- Très bien.

J'applique et étale la pâte ferme sur sa cheville. Une fois que cette dernière en est recouverte, je m'empare des bandages et les enroule autour du membre. Je veille à bien serrer afin de maintenir l'articulation. J'explique ensuite à Livaï :

- C'est bon. Je changerai le cataplasme dans quelques heures. En attendant, vous devez vous ménager. Ne sollicitez surtout pas trop cette jambe ! Plus elle est au repos, plus vite elle guérira. Si vous lui exigez trop d'efforts, vous risquez de retarder le processus de guérison ou même d'aggraver votre cas. Est-ce bien compris ?

- Combien de temps cela doit durer ?

- Cela dépend de la gravité de la foulure et de l'organisme de chacun . . . Dans votre cas, je dirai quelques semaines au maximum, si tout se passe comme prévu.

- Tss ! C'est tout ce qui me manquait, ronchonne-t-il, en fronçant ses sourcils.

- N'oubliez pas les consignes que je vous ai données.

- C'est bon, j'ai compris.

Il rabaisse le canon de son pantalon et relace les courroies de son équipement avant d'enfiler à nouveau sa botte gauche en cuir brun.

Il se lève ensuite et se dirige vers la porte. Il ouvre cette dernière, mais, juste avant de quitter la pièce, se retourne vers moi. Il plonge son regard gris bleuté dans le mien pour m'adresser ces mots :

- Merci.

Je lui réponds, avec le sourire :

- De rien, je n'ai fait que mon devoir. Ce serait plutôt à moi de vous remercier.

Il secoue légérement sa tête de gauche à droite, puis s'éloigne, en fermant la porte en bois derrière lui.

C'est en posant mes yeux bleus sur mon matériel pour le ranger, que je me rends compte qu'il n'a pas suivi ma consigne de ménager le plus possible sa cheville ! Et moi, je n'ai même pas pensé à le retenir et le rappeler à l'ordre ! Mais où avais-je donc la tête ?

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